Le Pérou mobilisé. Le pouvoir de la communauté
Publié le 24 Janvier 2023
Raúl Zibechi
23 janvier 2023
Nous sommes des milliers de milliers, ici,
maintenant. Nous sommes ensemble, nous avons
rassemblé village par village, nom par nom, et nous sommes
en train de comprimer cette immense ville
qui nous haïssaient, qui nous
méprisaient comme des excréments
de chevaux.
José María Arguedas
“A nuestro Padre creador Túpac Amaru Himno-Canción
"Nous sommes tous unis pour cette cause. Nous allons tous vivre ou nous allons tous mourir". crient les femmes Aymara à Puno en faisant leurs adieux aux caravanes qui partent pour Lima. "Nous n'allons pas les laisser nous piétiner comme par le passé."
Les peuples indigènes et les paysans organisent la plus grande mobilisation depuis au moins deux décennies, depuis la fin du régime d'Alberto Fujimori en 2000, lorsque la Marche des Quatre Suyos (en référence aux quatre régions du Tahuantinsuyo) a rassemblé des centaines de milliers de personnes à Lima à l'occasion des fêtes nationales.
À cette occasion, la marche a été appelée par le candidat battu par la fraude, Alejandro Toledo, qui deviendra plus tard président. Diverses personnalités, mouvements sociaux, partis politiques de gauche, mais aussi du centre et de la droite, comme APRA, le Parti populaire chrétien et Acción Popular, ont participé à la marche.
Maintenant, c'est complètement différent. Il n'y a eu aucun parti ou organisation. Il s'agissait d'une décision communautaire, prise dans des centaines de réunions et d'assemblées, portant des cercueils dans des veillées collectives et dans des rassemblements de familles élargies, "village par village" comme l'a écrit Arguedas.
Il n'est pas né d'une fraude électorale mais du rejet de la violence génocidaire des classes dirigeantes péruviennes, qui détestent les Indiens. Ils les méprisent. Ils les humilient. C'était la rage accumulée au cours des siècles, actualisée jour après jour par le racisme le plus vulgaire qui soit.
Je vais vous raconter quelque chose que j'ai personnellement vécu, il y a 38 ans. Je faisais la queue à l'aéroport de Juliaca pour embarquer sur un vol pour Lima en août 1985. Alan García, qui semblait progressiste à l'époque, venait de prendre ses fonctions. Dans la file d'attente et à l'aéroport, il n'y avait presque que des indigènes, Aymara et Quechua, dans leur tenue traditionnelle et leurs tongs andines. À un moment donné, un homme blanc d'une quarantaine d'années, un Péruvien de la côte, qui disait être ingénieur, s'est approché de moi. Regardant vers les autres personnes, il dit : "Ce que vous voyez ici n'est pas humain, c'est un mélange d'humain et de lama. Regardes leurs pieds, ils ne sentent pas le froid".
J'étais certain, encore aujourd'hui, qu'une partie importante du Pérou ressentait la même chose que cet ingénieur. Il y a moins de Blancs au Pérou que dans l'Afrique du Sud de l'apartheid, mais leur racisme est tout aussi cruel, comme nous l'ont appris José María Arguedas, Hugo Blanco et tant de compas.
Hugo raconte dans ses mémoires que sa conscience est née alors qu'il était enfant, lorsqu'il se promenait dans la sierra et qu'il a vu un propriétaire terrien marquer le corps de son serviteur au fer rouge, de la même manière qu'il marquait le bétail.
Mais l'horreur se répète sans cesse, de manière cyclique, comme cela a été le cas au cours des 500 dernières années. En un mois, les balles de la police ont tué plus de 50 personnes et en ont blessé plus de 600. Presque tous dans le sud, presque tous des indigènes.
L'étude du collectif saludconlupa.com, de l'Asociación de Periodismo con Lupa, sur les blessures causées à 50 personnes (12 morts et 38 blessés) lors des mobilisations, "révèle l'utilisation d'armes à feu à haute vélocité à bout portant sur les organes vitaux", notamment le thorax et l'abdomen (https://bit.ly/3iThMHL). Ils tiraient pour tuer. Une chose que la police elle-même n'ose pas faire dans des villes comme Lima, notamment dans les quartiers de la classe moyenne.
Le massacre a eu sa réponse, dont le point culminant pour l'instant a été le 19 janvier : plus d'une centaine de routes bloquées, trois aéroports pris d'assaut, des centaines de milliers d'habitants envahissant Lima. Sans organisations ni leaders pour les rassembler. Pas d'appareils ou d'avant-garde. Il s'agissait d'une décision communautaire prise par le bas, dans les territoires des personnes, dans leurs organisations de vie quotidienne.
Certains disent que l'échec de la construction de l'État national péruvien est désormais évident. Héctor Béjar, professeur aujourd'hui, guérillero dans les années 1960, dit qu'il ne voit pas de solution institutionnelle pour le Pérou. Que le système était arrivé à sa fin, que ceux d'en bas ne lâcheraient pas prise et que ceux d'en haut misaient sur des mitrailleuses. Il conclut : "Nous pourrions organiser des élections avec du temps et du calme, dans lesquelles les mains des médias seraient liées, les médias seraient ouverts au peuple, l'investissement dans les candidats serait interdit et puni, et il y aurait des élections vraiment démocratiques, ce qui est une utopie" (https://bit.ly/3ZRomPB).
C'est pourquoi, faisant confiance à la sagesse séculaire du peuple, je crois que le but de ces mobilisations n'est pas de convoquer des élections, encore moins de réintégrer Castillo, ni même une assemblée constituante. Toute cette lutte, tout ce combat, c'est pour la dignité, pour le respect en tant que peuples. C'est pourquoi les femmes de la pollera crient : "Nous sommes tous unis".
C'est à nous d'écouter et d'apprendre.
traduction caro d'un article paru sur Désinformémonos le 23/02/2023
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Perú movilizado. La potencia de la comunidad
Somos miles de millares, aquí, ahora. Estamos juntos, nos hemos congregado pueblo por pueblo, nombre por nombre, y estamos apretando a esta inmensa ciudad que nos odiaba, que nos despreciaba como a
https://desinformemonos.org/peru-movilizado-la-potencia-de-la-comunidad/