Brésil : La résistance indigène occupe le Museu da Língua Portuguesa (musée de la langue portugaise) à São Paulo

Publié le 30 Janvier 2023

L'exposition Nhe'ẽ Porã : Mémoire et transformation invite les visiteurs à plonger dans la mémoire, la lutte et l'esprit du patrimoine linguistique et culturel des peuples autochtones.


Victória Martins - Journaliste de l'ISA

Vendredi, 27 janvier 2023 à 10:10

Sur le mur du premier étage du Museu da Língua Portuguesa (musée de la langue portugaise), à São Paulo, un texte de l'artiste, activiste et communicatrice Daiara Tukano marque le pouvoir du mot et l'énorme patrimoine que constitue la diversité linguistique brésilienne. "La terre est vivante, la langue est mémoire, le mot a du pouvoir, le mot a de l'esprit", écrit-elle. "Nos langues sont un territoire. Avec les mots, nous dessinons des mondes, nous créons des alternatives pour reforger les pensées. Nous avons besoin d'écouter les bonnes paroles pour qu'elles puissent nous émouvoir." 

C'est précisément ce que propose l'exposition Nhe'ẽ Porã : mémoire et transformation, ouverte au public jusqu'au 23 avril 2023 : inviter les visiteurs à ouvrir leur esprit et à écouter les histoires, les paroles et les vies indigènes avec plus de respect. Regardez la vidéo :

"Il est fondamental de comprendre que la connaissance, la pensée, naissent de la diversité", souligne Daiara, commissaire de l'exposition. "Nous sommes sur une seule planète, confrontés à [l'une] des plus grandes extinctions massives de l'histoire, au changement climatique... [Tout] dépend du fait que nous apprenions à fouler [le monde] d'une manière différente, à croire en la vie et à permettre l'existence des peuples autochtones."

L'exposition se concentre sur les plus de 175 langues parlées aujourd'hui par les 305 peuples indigènes du Brésil, qui ont résisté à cinq siècles d'effacement de leurs cultures et cosmovisions originales. On estime qu'avant l'arrivée des Portugais, il y avait plus de cinq millions d'habitants sur ce territoire, parlant environ un millier de langues différentes. Plus que cela, il plonge dans les multiples univers et modes de vie qui tendent à se perdre chaque fois qu'une langue disparaît.  

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Urne funéraire de la culture Marajoara, une des pièces de l'exposition.
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Exposition Nhe'e Porã, au Musée de la langue portugaise
Des forêts de langues, des artefacts, des images historiques et des œuvres exclusives présentent aux visiteurs les univers et les savoirs indigènes 📷 Ciete Silvério.

Nhe'ẽ Porã marque le lancement au Brésil de la Décennie internationale des langues autochtones, déclarée par l'ONU pour les années 2022 à 2032. L'exposition est soutenue par l'UNESCO, l'Institut Socio-environnemental (ISA), le Musée d'Archéologie et d'Ethnologie de l'Université de São Paulo (MAE-USP), le Musée de l'Indien de la Fondation Nationale des Peuples autochtones (Funai) et le Musée Emílio Goeldi de Pará. 

Les visiteurs de Nhe'ẽ Porã découvriront les œuvres de plus de 50 professionnels autochtones, parmi lesquels des artistes visuels, des photographes, des cinéastes, des communicateurs et des chercheurs - des noms tels que Denilson Baniwa, Tamikuã Txihi, Jaider Esbell, Paulo Desana et Daiara Tukano elle-même, qui, en plus de concevoir l'ensemble de l'espace d'exposition, a également ajouté une peinture originale au corps de l'exposition. 

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Carte des langues indigènes
La carte des langues autochtones du continent est l'un des points forts de l'exposition 📷 Ciete Silvério

La collection comprend des artefacts, des pétroglyphes et des pièces d'artisanat, des images et des documents historiques, des interviews vidéo et des stations interactives où il est possible de s'informer sur les arbres linguistiques qui résistent aujourd'hui au Brésil et d'écouter des histoires, des chansons et des discours dans des dizaines de langues indigènes.

Il y a aussi des pièces créées exclusivement pour l'exposition, comme une animation montrant la baisse du nombre de langues parlées dans le pays entre 1492 et l'époque actuelle en raison des massacres commis par les colonisateurs, des conflits entre les groupes ethniques et des impacts des travaux d'infrastructure, racontée par Daiara ; en plus des cartes qui enregistrent la distribution géographique des langues indigènes non seulement au Brésil, mais dans tout le continent américain.

"L'exposition n'a pas été conçue pour être vue une seule fois", souligne Daiara. "Elle est faite pour être découverte, pour avoir plusieurs approches et provoquera tout le monde. Chaque fois que vous reviendrez, vous trouverez d'autres façons de naviguer, d'apprendre et de penser". 

Bien au-delà des objets présentés, l'exposition s'articule autour d'arbres, de constellations, d'oiseaux et même d'une rivière de mots, qui traverse tout l'espace, escalade les murs, se retourne et se transforme en une pluie linguistique qui, à son tour, alimente à nouveau la rivière. "Nous avons trouvé un moyen de transformer un espace carré en un espace circulaire, qui traverse une série de récits et de souvenirs", ajoute Daiara. 

Rien n'est isolé ; chaque audio, image et artefact est contextualisé par rapport à des périodes historiques, des moments politiques et des tensions sociales. "Il ne s'agit pas seulement de parler de sons de mots, nous parlons de pensées et de la façon dont elles sont exprimées de diverses manières", évalue la conservatrice. 

Elle attire l'attention, par exemple, sur l'exploration des différentes plateformes où les autochtones élaborent et enregistrent des récits sur eux-mêmes et sur le monde, des livres à Youtube, ainsi que sur la réflexion sur la relation de la langue portugaise, imposée par les colonisateurs, face aux langues autochtones.

Dans une vidéo entièrement parlée en yanomami, le chaman Davi Kopenawa résume : "votre langue est douce, mais c'est aussi une épidémie".

Les bons mots - la signification de Nhe'ẽ Porã en guarani Mbyá - ne sont pas nécessairement agréables. "Nous parlons de tristesse, de violence, de douleur, de deuil et de mensonges", explique Daiara. L'exposition vient cependant partager les expériences indigènes et marquer l'existence et l'importance des leaders historiques et de la nouvelle génération de guerriers à travers le patrimoine le plus riche - et souvent oublié - que sont leurs langues et leurs cosmovisions. 

"Les bons mots sont ceux qui guérissent", conclut la conservatrice. "[Nous espérons] qu'ils pourront être reçus au plus profond du cœur". 

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Daiara Tukano
L'artiste, communicatrice et activiste Daiara Tukano, commissaire de l'exposition 📷 Claudio Tavares/ISA

Nhe'ẽ Porã : mémoire et transformation

Quand : Jusqu'au 23 avril

Où : Museu da Língua Portuguesa - Station Luz, São Paulo

Horaire : du mardi au dimanche, de 9h à 16h30

Billets : R$20.00, avec entrée gratuite le samedi

traduction caro d'un article paru sur le site de l'ISA le 27/01/2023

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