Chronique de la première réunion internationale des gardes indigènes

Publié le 8 Décembre 2022

Source de l'image : IDL

Servindi, 4 décembre 2022 - La première rencontre internationale des gardes indigènes, qui s'est tenue au lac Imiría, dans la région d'Ucayali, avec la participation de mécanismes d'autodéfense de Colombie et du Pérou, a sans aucun doute été un événement majeur du mois de novembre.

L'objectif était d'échanger des expériences, des stratégies et des pratiques face aux multiples menaces dont souffrent les peuples autochtones face aux acteurs sociaux liés aux économies légales et illégales qui génèrent des pressions sur leurs territoires.

Heureusement, Jacopo Tosi, de l'Espace Peuples Indigènes de l'Instituto de Defensa Legal (IDL) partage avec nous une chronique de l'événement que nous reproduisons ci-dessous.

Première réunion internationale des gardes indigènes à Ucayali

Chronique de la première réunion internationale des gardes indigènes tenue au lac Imiría à Ucayali.

Guardia Guardia, force, force !

Par Jacopo Tosi*

 

IDL, 4 décembre 2022 - La communauté indigène de Caimito, sur les rives du lac Imiría, berceau du peuple Shipibo-Conibo-Xetebo, a accueilli la première réunion internationale des gardes indigènes. Il y a quelques heures, le soleil avait déjà entamé la deuxième étape de son voyage de routine lorsque, le 19 novembre, une vedette rapide transportant des représentants de mécanismes d'autodéfense appartenant à des peuples indigènes péruviens et colombiens a traversé, après un voyage d'environ six heures, le ravin qui débouche ensuite sur le lac où vit Caimito. La rencontre qui devait avoir lieu du 19 au 23 novembre entre plusieurs peuples autochtones de deux nations différentes était sur le point de commencer.

Sur le bateau se trouvent plusieurs représentants de la Garde indigène Shipibo, hôte de l'événement, dont le président Marco Tulio Guimaraes s'occupe des derniers détails logistiques avant l'arrivée dans la communauté. D'autres sont des membres de la garde indigène Kakataibo accompagnés du vice-président Segundo Pino Bolivar. Le vice-président de Central Asháninka Río Ene (CARE), Saúl Vega Samuel, et la trésorière Yanet Velasco Castillo. Trois représentants de l'Association des nationalités Asháninka de la vallée de Pichis (ANAP) : Cornelio Sharisho, Jhony Gilberto Lázaro Suarez et Hernán Fernández Rosas. Trois représentants des gardes indigènes colombiens y ont également participé : Celia Umenza Velasco, leader de l'Association des conseils indigènes du nord du Cauca, Luis Efrén Largo, du resguardo indigène Cañamomo Lomaprieta, et Javier Peña de la garde marron. Ils étaient accompagnés de membres des équipes techniques des associations alliées : le Centre Shipibo Conibo, le Conseil Shipibo Conibo Xetebo (COSHICOX), Forest Peoples Programme (FPP) Pérou, FPP Colombie et l'Institut de défense juridique (IDL).

L'objectif de la réunion était de stimuler l'échange d'expériences, de stratégies et de pratiques face aux multiples menaces que subissent les peuples autochtones de la part des acteurs sociaux liés aux économies légales et illégales qui génèrent des pressions sur leurs territoires, ainsi que les relations problématiques avec les organes de l'État et aussi la coopération entre les organes d'autodéfense autochtones eux-mêmes et entre ceux-ci et les forces de l'ordre nationales.

Pour cette raison, la réunion a été structurée en trois journées principales, au cours desquelles des travaux de groupe ont été organisés le matin, dans lesquels chaque association avait pour objectif de réaliser une auto-analyse macro-thématique : le premier jour, le thème était le type de menaces auxquelles sont confrontées les communautés indigènes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, le deuxième était axé sur les stratégies organisationnelles de défense du territoire et de la vie, et le troisième sur les modes de relations (actuelles et souhaitées) entre les associations elles-mêmes et entre celles-ci et l'État.

L'après-midi, les informations, les stratégies et les questions critiques qui ont émergé au cours des matinées ont été partagées lors de sessions plénières visant à stimuler une comparaison qui conduirait à un enrichissement mutuel. Enfin, les soirées ont été consacrées à des activités culturelles visant à valoriser l'un des objectifs communs des différentes associations : la préservation des identités culturelles en maintenant un lien fort entre les stratégies d'autodéfense et les pratiques spirituelles et ancestrales qui les accompagnent.

La première journée a commencé par un échange de cadeaux entre les invités, des objets symboliques qui représentent les histoires de résistance de ces peuples et à travers lesquels s'ouvre un espace narratif privilégié. En son sein, ils commencent à se connaître, à s'explorer, ce qui génère des moments de rencontre dus au fait qu'ils partagent des objectifs et des passés communs, malgré les différences évidentes dues au contexte géographique, politique et socioculturel. Car ce qui émerge dès le début, c'est précisément le partage des modes d'existence qui naissent des mots utilisés au fur et à mesure du premier tour de présentation, au cours duquel s'expriment aussi les attentes et les désirs pour la rencontre.

Les trois représentants de la Guardia indigena colombienne se sont séparés pour rejoindre l'un des trois groupes formés par les trois peuples indigènes péruviens invités, afin de connaître le contexte péruvien et, en même temps, de conseiller et de stimuler l'émergence de débats sur des aspects concrets. La Garde colombienne a une longue histoire de résistance, notamment aux gangs armés tels que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et au trafic de drogue, et a acquis au fil des ans un niveau d'expérience et d'autorité dont les jeunes gardes Shipibo et Kakataibo peuvent s'inspirer. Un tel niveau de structuration et d'auto-organisation au Pérou ne peut être atteint que par les comités d'autodéfense Asháninka eux-mêmes et quelques autres associations, comme les rondas campesinas (patrouilles paysannes).

Ce qui ressort de la première journée est un scénario dans lequel les problèmes rencontrés par les différents peuples coïncident clairement. Prenons quelques exemples directement issus de la plénière de l'après-midi. En ce qui concerne les menaces qui viennent de l'extérieur des territoires autochtones mais qui leur sont inhérentes, nous avons trouvé dans toutes les auto-analyses des processus exagérément lents et lourds d'attribution de titres fonciers et de reconnaissance des organisations autochtones, la négligence de l'État concernant l'application des lois en faveur des peuples autochtones (comme la consultation préalable), la criminalisation par l'État, le trafic de terres et les invasions du territoire par des acteurs appartenant au monde des économies illicites, en particulier le trafic de drogue.

En ce qui concerne les menaces à l'intérieur des territoires communautaires eux-mêmes, c'est-à-dire provenant des acteurs autochtones eux-mêmes, bien que parfois influencées de l'extérieur, l'éventail des histoires de cas qui ont émergé est plus varié. Citons encore quelques exemples : les conflits sociaux internes aux communautés causés par des acteurs externes (1), ainsi que par les dirigeants indigènes eux-mêmes incapables d'exercer correctement leurs fonctions, la faible inclusion des femmes et des jeunes dans la vie politique communautaire, le manque de coordination entre les organisations et les fédérations indigènes et les conflits entre leurs représentants, et la perte progressive de l'identité culturelle.

En revanche, la deuxième journée a révélé de plus grandes différences dans l'organisation territoriale des différentes organisations, ce qui s'explique par les différentes expériences et, surtout, par le fait que les comités d'autodéfense asháninka fonctionnent depuis plusieurs décennies, tandis que les gardes indigènes shipibo et kakataibo ne sont apparus que l'année dernière. En effet, les premiers sont plus structurés et organisés en termes de présence sur le territoire (divisé en trois niveaux : communauté, zone et bassin), grâce à une présence plus solide et à des protocoles éprouvés, au point que le président de l'ANAP, Abner Abel Campos Santos, a déclaré que "la sécurité indigène amazonienne (SIA) fonctionne si bien que les agressions subies par les dirigeants et les membres des communautés ont diminué de manière drastique".

Cependant, même dans le cas des deux nouveaux gardes, l'autodéfense repose sur l'utilisation de drones et de nouveaux appareils, dont les cours de formation ont été dispensés par des organisations autochtones et alliées. La coopération au sein de ces mécanismes d'autodéfense et entre eux et les forces de sécurité de l'État est également un aspect en développement, et il est à espérer que l'efficacité démontrée par les exemples fournis par les invités colombiens sera un jour atteinte. Les pratiques ancestrales qui accompagnent la défense du territoire ont ensuite été partagées, comme l'utilisation de plantes médicinales qui revigorent les justiciers, ainsi que la mise à disposition de mécanismes d'autodéfense ancestraux pouvant être utilisés en cas d'extrême nécessité.

Enfin, l'accent a été mis sur la nécessité d'éviter la confrontation avec les envahisseurs en recourant à un dialogue pacifique et en utilisant des réseaux d'information tels que le SIA. Policarpo Sánchez Rodríguez, modérateur de la réunion, a insisté sur l'importance de faire bon usage des informations dans une perspective préventive, en considérant l'importance d'établir de bons réseaux de communication. De cette façon, à long terme, la garde indigène, ainsi que d'autres mécanismes d'autoprotection, peuvent se transformer en organes dont la fonction principale n'est plus de punir les crimes commis par des acteurs à l'extérieur ou à l'intérieur des territoires indigènes, mais d'agir en tant que garants de la paix et de la sécurité.

Toutefois, cela nécessite la reconnaissance et le soutien de l'appareil d'État, comme c'est en partie le cas en Colombie, où la garde indigène est au moins reconnue au niveau municipal et intégrée dans les mécanismes politiques locaux.

Le thème de la troisième journée était précisément celui-ci, à savoir comment établir des relations de coopération entre les mécanismes d'autodéfense autochtones eux-mêmes et entre ceux-ci et l'appareil d'État et les forces de l'ordre nationales. Pour obtenir une reconnaissance institutionnelle et juridique, ces associations doivent d'abord être structurées de manière ordonnée et fonctionnelle pour leur fonction, ainsi que faire l'objet d'une coordination et d'un soutien préalables et fondamentaux de la part des organisations et fédérations de représentation indigène déjà reconnues par l'État au niveau régional et national (une en particulier, AIDESEP).

Les réflexions qui ont émergé au cours des trois jours ont été innombrables, et la présence des représentants des gardes indigènes colombiens, qui ont partagé leurs expériences, les phases critiques de leurs processus de consolidation et les stratégies adoptées pour la défense de leur territoire, ont été d'une grande valeur pour leurs homologues péruviens, qui ont exprimé à plusieurs reprises leur enthousiasme pour la participation de leurs frères du nord. L'union des différentes gardes indigènes colombiennes dans une forme ancestrale d'organisation des peuples indigènes pour la protection collective non violente, à l'échelle nationale, a convaincu les représentants des homologues péruviens que l'établissement de cet objectif faciliterait la collaboration et la coopération non seulement entre ces associations mais aussi avec l'État.

Comme dans le contexte colombien, les mécanismes d'autodéfense qui existent depuis des années et les gardes indigènes émergents au Pérou entendent donc assumer un rôle susceptible d'exercer une plus grande influence politique et d'accompagner ainsi le mouvement et les luttes indigènes. Pour ce faire, il sera nécessaire d'agir à différents niveaux, comme l'éducation, qui devra nécessairement être interculturelle afin d'intégrer et de faire en sorte que les segments les plus jeunes de la population autochtone soient inclus dans les processus politiques en cours, en les rendant protagonistes. Il faudra également faire pression sur les aspects liés à la préservation de l'identité culturelle, qui est menacée par un système éducatif et un État qui ne reconnaissent pas la valeur de l'identité indigène. C'est pourquoi la coordination avec les différents ministères de l'État est l'un des premiers objectifs fixés par les participants à l'événement.

En outre, la projection de documentaires, comme celui de Celia Umenza Velasco (1), ainsi que le partage et l'écoute de l'hymne national de la garde indigène colombienne (2) - qui a rappelé à ceux qui l'avaient oublié l'énorme pouvoir de connexion de la musique (3) - ont généré un processus de cohésion dont on a pu constater l'augmentation exponentielle au cours des différentes journées. Le fait de partager des histoires de vie, un quotidien et des dynamiques existentielles similaires, bien que situés dans des contextes géopolitiques différents, a généré un sentiment d'unité face à des ennemis communs et le sentiment d'avoir initié un processus qui se greffe sur le mouvement indigène mondial préexistant.

Force est de constater que les gardes indigènes Shipibo et Kakataibo, un an après leur création, ont encore plus d'aspirations que de réels succès. Mais l'air électrique véhiculait la conviction que ce n'est que le début d'un mouvement fondé sur la fraternité et la complémentarité des peuples présents. Il s'agit d'un processus qui n'en est qu'à ses débuts et qui se poursuivra avec l'inclusion de plus en plus d'acteurs sociaux qui peuvent apporter plus d'expériences et élargir le réseau international qui est en train de se former. Et même si le chemin peut sembler tout sauf simple, et rien ne le laisse supposer, ce sont ces contextes de communion (même spirituelle) qui donnent la confiance nécessaire et créent les liens qui rendent réellement possibles les processus de changement. Pour résumer le concept par les mots du président de la garde autochtone Shipibo, hôte de l'événement : "Entre peuples, nous marchons mieux".

Per aspera ad astra

* Phrase latine qui, en anglais, signifierait "Through effort, triumph/Par l'effort, le triomphe", "Along the rough path, to the stars", "Through the roughness of the road, to the stars" ou "Towards the stars through difficulties" (Wikipedia).

Références :

(1) https://www.youtube.com/watch?v=B9Qede2_j1

traduction caro d'un article paru sur Servindi.org le 04/12/2022

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