A mon fils de Viviane Dubrai-Snoek
Publié le 10 Janvier 2023
A MON FILS
Viviane Dubray
Mon grand fils, mon petit, ils t’ont eu, ils t’ont tué,
Ils t’ont martyrisé puis ils t’ont assassiné !
Sur le grabat souillé, rongé par la vermine,
Sans un regard d’amour, sans une main câline,
C’est la mort à vingt ans,
Mon enfant.
La faim, le froid, les coups ont brisé ta jeunesse,
Tu voulais vaincre et vivre ! en vain ; quelle détresse !
Et je te vois, le corps douloureux, décharné,
Désespéré, farouche au sort abandonné
Devant la mort, sans arme
Et sans larmes.
Mon beau gars, ma fierté, ce qu’ils ont fait de toi !
Chers yeux au franc regard, chères mains aux longs doigts,
Cher sourire……quel fut le fils du dernier rêve
Mon fils ? Evoque-t-il monts, vallées, plaines, grèves,
Forêts, bois ou taillis
Du pays ?
Rêves-tu d’un visage inconnu de ta mère,
D’une fille en ton cœur gentille passagère ?
Des fraternels amis, des compagnons sans peur
Dans l’ombre unis, dressés contre l’envahisseur
Force de résistance
D’espérance ?
Toi, glacé, rêvas-tu de soleil radieux ?
De rythmes endiablés, de chants mélodieux
Des airs d’harmonica du campeur des auberges,
De la claire Dordogne aux pittoresques berges,
Du feu de camp dansant
Dans le vent ?
Et je pense au vent froid du nord de la Bavière,
Au vent d’hiver sifflant, hurlant sur ta civière,
Aux gueules affamées des fours toujours fumants,
Il m’obsède, semblable aux appels des déments
Criant, dansant, sadiques
Et lubriques.
Le vent de Flossenbourg, il portait dans ses flancs
Plaintes, râles, soupirs, cris et gémissements….
Mon fils as-tu rêvé parfois de ma présence ?
Ai-je pu dans un songe apaiser ta souffrance,
Te dire doucement
C’est maman ?
Monstres, tueurs d’enfants, hyènes, chacals, rapaces,
Le genre humain blessé crie, « Honte » à votre race ;
Au cruel clan des loups, moins cruelle est la loi.
Assassins de mon fils vous avez tué sa foi
Et germé de la haine
Dans ma peine.
J’aurais voulu vous voir attachés aux poteaux,
Laissés encore vivants aux becs des noirs corbeaux !
Le Pape et Nuremberg ont montré leur clémence….
Déçus et outragés d’une injuste sentence,
Nous restons ulcérés
Poings serrés.
Pardonner au fascisme, à l’assassin cynique !
Au meurtre organisé cruel et scientifique !
De ces crimes l’horreur et tout au long du temps
Fera pâlir d’effroi les visages d’enfants
Sur cette page noire
De l’histoire.
Les cendres de nos fils sont restées sans tombeaux
Et fécondent, là-bas, la terre des bourreaux…
Il ne te reste rien, pauvre maman meurtrie !
Pas même une humble pierre avec amour fleurie ;
En ton cœur rien ne luit,
C’est la nuit.
Mais mon fils, ma douleur ne peut me rendre lâche.
Tu m’as légué mourant, je le sens, l’âpre tâche
D’aider à vous venger, faire que votre mort
Aux vivants de demain prépare un meilleur sort.
Cesse ta plainte mère
Debout mère !
N’entends-tu pas l’appel des nouveaux bâtisseurs ?
Le souffle des élans constructifs et vengeurs
Qui grondent demain à travers les espaces ?....
Aux mains jeunes d’ardeur, j’unirai mes mains lasses,
Je t’en fais le serment,
Mon enfant.
Avec mes remerciements sincères à D.L pour me permettre d'éditer ce magnifique et émouvant poème.
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Qui était Viviane Dubray ?
Viviane Rollier, épouse Dubrai, puis épouse Dubrai-Snoek
- Née le 22 septembre 1899 à Gueugnon-sur-Loire (Saône-et-Loire, 71)
- Décédée le 30 octobre 1972 à Créteil, Val de Marne
- Son père est Achille Rollier, il est chapelier
- Sa mère est Marie-Louise Brutinel, elle sans profession
- Elle a un frère qui était plus tard installé comme chapelier à Paris
Vie privée
- 27 avril 1921, à l'âge de 21 ans, elle épouse Richard Dubrai (28/09/1896), représentant de commerce en chapellerie. La famille Dubrai est une famille bourgeoise, elle a une résidence secondaire en Corrèze et possède une automobile
- 30 septembre 1924, naissance de son fils unique Gérard, Raymond, Guy Dubrai au 19 bis rue de Chaligny à Paris 12e. Viviane, à la naissance de son fils est sans emploi
- Ils habitent au 6 rue Montebello à Vincennes, puis s’installent à Vitry-sur-Seine après le décès de Richard qui survient le 19 juin 1929.
- Alors âgé de 33 ans, à la suite d’une discussion avec sa femme, il est descendu dans le sous-sol de sa maison et s’est suicidé en se tirant une balle de revolver dans la tête. (archives privées D.L). Selon un voisin, cela s'est passé dans la maison de Corrèze quand Richard Dubrai a appris que Viviane avait une liaison avec Charles (de son prénom Israël) Snoek.
- Le 29 janvier 1945 décède son fils Gérard en déportation au camp de Flossenbürg en Bavière.
- Le 27 mai 1947 mariage avec Charles Snoek, son compagnon depuis les années 1930 dont elle se sépare en 1967. Charles Israël Snoek est né le 11 avril 1896 à Paris. Leur adresse est 21, rue de l'Union à Alfortville. Il est secrétaire à la mairie de Malakoff, ancien combattant de la première guerre mondiale, syndiqué à la CGTU puis à la CGT, militant communiste. Il sera élu le 12/05/1935 conseiller municipal de Bonneuil-sur-Marne (94) et le 13/06/1945 conseiller municipal d'Alfortville jusqu'en 1947. Arrêté le 19/12/1939 pour propagande syndicale, il sera interné à Djella Bossuet (Sidi Bel Abbès, Algérie). Il décède le 15 avril 1981 à St Céré (46).
Domicile.....les HBM
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Rue Véron
A Alfortville, elle vivait dans les HBM de la rue Véron. Les HBM (Habitations à Bon Marché) étaient l’équivalent en France des actuelles HLM (Habitations à Loyer Modéré), qui ont été construites entre 1915 et 1936 suite à la crise du logement et aux conditions économiques difficiles au lendemain de la première guerre mondiale.
Dès 1929, Alfortville devient une municipalité communiste: Marcel Capron (1896-1982) est élu maire; il est réélu en 1935 et conserve cette fonction jusqu'en 1939. Dès son premier mandat, de nombreux travaux sont effectués : par exemple des logements sociaux (de type HBM) sont construits, des quartiers insalubres sont réhabilités. Toute une politique en faveur de l'enfance est également menée. (source vidéo ci-dessous)
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Ce document muet rassemble des éléments de montage d'un documentaire consacré aux actions de la municipalité d'Alfortville, probablement réalisé en vue des élections municipales de 1935. Afi...
https://www.cinearchives.org/catalogue-d-exploitation-494-473-0-0.html
......Au niveau professionnel
- Assistante sociale à Vitry-sur-Seine dans les années 1920.
- 1929 : Elle est déjà directrice du dispensaire d'Alfortville au 54 rue Jules Guesde. Elle a rejoint le dispensaire à la demande du maire Maurice Capron.
- Viviane a de grandes compétences médicales qu'elle va parfois utiliser pour pratiquer des avortements gratuits aux femmes qui en ont besoin, au péril de sa vie.
.......Au niveau militant
- Militante communiste de la banlieue sud-est dans les années 1930 où elle adhère au PC d’Alfortville.
- 1931 : secrétaire du syndicat CGTU des employés et ouvriers communaux de la Seine.
- Membre du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme. Diverses interventions paraissent dans la presse la citant jusqu'en 1937.
- Membre du Front National de Lutte pour la Libération de la France elle est arrêtée le 27 juin 1941 et internée à la prison de Fresnes. Le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France était un mouvement de résistance intérieure français créé par le PCF par un appel public le 15 mai 1941 dans la quotidien L’Humanité en vue d’un large rassemblement patriotique ouvert aux non communistes afin de rallier les différentes composantes de la société française.
Sources : maitron, archives privées de D.L
Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme
Le comité a été fondé à Paris en 1934 lors du congrès mondial des femmes. La section française semble être la plus importante en termes d’adhérents (200.000) et d’action. La présidente est Gabrielle Duchêne (1870/1954).
Proche du communisme sans le revendiquer clairement, le mouvement émerge dans la lignée du Mouvement Amsterdam-Pleyel.
Le comité d’initiative féminin pour la défense de la paix, composante du comité mondial s’engage en faveur du Front populaire en France et soutient la résistance des républicains espagnols.
Il sera dissous en octobre 1939.
Source : Guide des sources de la paix à la contemporaine
Lors d’un meeting du Comité mondial des femmes de la Région Parisienne, Viviane Dubray prend la parole pour démontrer dans un rapport très documenté le rôle des comités dans la travail social ; comment les femmes des comités peuvent soutenir le travail social des municipalités de Front Populaire et faire elles-mêmes un travail social pratique dans le but de venir en aide à toutes les familles de leurs localités et de leurs quartiers qui en ont besoin (source archives personnelles de D. Laly).
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Le vote des femmes en France : féminisme, pacifisme et antifascisme à l'heure du Front populaire
Accueil Découvrez toutes nos études Le vote des femmes en France : féminisme, pacifisme et antifascisme à l'heure du Front populaire Date représentée : avr-36 Comité national des femmes cont...
Ce coeur qui haïssait la guerre voilà qu'il bat pour le combat et la bataille.
Robert Desnos
Ces français qui étaient « indésirables »
En raison de la « loi des suspects » et de la répression anti-communiste et anti-syndicaliste, la plupart des élus communistes sont déchus de leur fonction, rapidement arrêtés et internés, de même que des dirigeants syndicalistes ou de simples militants considérés comme des « meneurs ».
Les arrestations se multiplient assez vite dont celle de jeunes gens pris lors de manifestations anti-allemands, distribuant des tracts, en plus des communistes on voit apparaître des internés qualifiés de « gaullistes » ou arrêtés pour avoir prononcé des paroles hostiles au gouvernement de Vichy ou à l’occupant.
Pour les internés anciens militants beaucoup sont ceux qui ont soutenu les républicains espagnols, qui ont participé à la guerre avant d’être démobilisés, des anciens combattants de la première guerre mondiale, parfois de grands blessés, médaillés qui ressentent particulièrement les conditions de leur internement et le comportement de l’état français envers eux.
Les internés sont des hommes et des femmes de tous âges, la répression qui va s’intensifiant, les épouses et des enfants (plus de 15 ans) d’internés ou de militants recherchés seront également arrêtés, suspectés de poursuivre l’activité de l’autre ou par représailles.
Source Musée.resistance.chateaubriand.fr
Les camps d'internement
CHATEAUBRIANT, CHOISEL
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Le Camp de Châteaubriant ou Centre de séjour surveillé de Choisel interne des romanichels et des droits communs.
Il dépend du sous-préfet et est surveillé par des gendarmes français.
Les premières troupes allemandes arrivent à Châteaubriant le 17 juin 1940.
Suite à une rafle de responsables en octobre 1940, réalisée par la police française, les militants sont incarcérés à Paris, puis à Clairvaux ou Fontevrault et sont transférés à Châteaubriant en mai 1941.
Ils vont former la troisième partie du camp (à côté des Romanichels et des droits communs).
Le 21 août 1941, une loi sur les otages décrète que tous les détenus du camp sont devenus otages.
Le 23 octobre 1941, 27 otages dans le camp de Châteaubriant sont livrés aux nazis et fusillés, en représailles de l'assassinat du Feldkommandant de Nantes le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel allemand Karl Hotz. Ils seront fusillés à la carrière de la Sablière.
Le plus jeune des 27 otages, Guy Môquet, avait 17 ans. Il sera fusillé avec Charles Michels, député communiste du 15e arrondissement de Paris, Jean-Pierre Timbaud, secrétaire de la fédération des métaux CGT de la région parisienne, deux trotskistes, Marc Bourhis et le maire de Concarneau Pierre Guéguin et bien d'autres.
source : http://www.ajpn.org/internement-Camp-de-Choisel-59.html
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« Ces morts, ces simples morts sont tout notre héritage. »
Pierre-Louis Basse
Les 27 fusillés, témoignages de femmes
Un ou une détenu se poste en hauteur derrière la porte fermée et gardée et regarde par le vasistas ce qui se passe. Le récit des événements, seconde par seconde est transmis aux codétenus. Chez les femmes, c’est Viviane Dubrai, infirmière avant son arrestation, qui est juchée en hauteur et décrit les évènements en direct. Tout le monde tend l’oreille.
https://gw.geneanet.org/levrel?f=Margot_Bistouillardes&lang=fr&m=NOTES
"Montée sur une table, Viviane regarde par une lucarne au-dessus de la porte et nous raconte : les Allemands vont à la baraque des otages... Jean-Pierre Timbaud (dirigeant du syndicat CGT des métaux) fait un signe de la main... Avec Andrée, je l'avais croisé la veille à l'infirmerie. Il était avec Charles Michels (député de Paris). « Je veux des roses rouges sur ma tombe », avait-il dit. Charles Michels nous avait embrassées en expliquant que nous lui rappelions ses filles.
Nous bousculons les gendarmes et assistons au départ des camions. Les otages chantent La Marseillaise. Nous la reprenons. Non, nous la hurlons. Mes camarades disent avoir entendu les salves de l'exécution. Je ne m'en rappelle pas. À ce moment-là, dans ma mémoire, il y a un grand vide. (Odette Nilès)
Les femmes internées à Chateaubriant
Lorsqu’ils apprennent la prochaine arrivée du convoi du 16 septembre 1941, les Internés du camp P1 se démènent pour remettre en état le camp P2 pour les accueillir, ils vont jusqu’à réserver une des rares baraques à double paroi pour les femmes. Ils y mettent même quelques fleurs sauvages dans des boites de conserve vides pour adoucir leur accueil.
A leur arrivée, à 23 h 30, Jean-Pierre TIMBAUD et Charles MICHELS, qui veillent à la bonne organisation du camp côté détenus, accueillent les femmes qui s’installent dans la baraque 12 qui fait comme toutes les autres environ 18 mètres de long pour 6 de large.
Il y a alors 24 châlits situés de part et d’autre d’un alignement de 4 tablées de 12 et 3 poêles vont arriver qui ne sont pas trop pour chauffer l’hiver une si grande baraque où l’humidité et le vent s’infiltrent. Ils manqueront de combustible de toute façon.
Les Internés du P1 n’ont pu se procurer de la paille à temps pour le P2, aussi chaque poche servant de paillasse et posée sur un cadre grillagé n’est remplie que de papier froissé qui s’écrasera au bout de quelques secondes. La paille finira par arriver pour remplacer le papier peu de temps après.
Il n’y a pas de cabinet de toilette non plus. Il en sera installé un plus tard, toujours par les détenus, en fait un grand bac comportant 6 robinets, au fond de la baraque, séparé du reste par un bout de tissu et comportant une porte au bout (on en verra l’opportunité).
Il fait une chaleur étouffante en cette fin d’été sous ce toit de tôle ondulée (ma tante margot et les bistouillardes)
En tout en 6 mois, 57 internés du camp de Châteaubriant sont pris comme otages, 48 d'entre eux sont fusillés et les 9 autres sont envoyés en déportation.
Du 1er au 11 mai 1942, le camp de Choisel est évacué :
- 1er mai : les "indésirables" hommes sont transférés au camp de Rouillé ;
- 4 mai : les Juifs étrangers sont transférés au camp de Pithiviers ;
- 7 mai : les détenus politiques hommes sont transférés au camp de Voves ;
- 9 mai : les détenus pour marché noir sont transférés au camp de Gaillon ;
- 11 mai : les détenues politiques et femmes « indésirables » sont transférées au camp d'Aincourt.
http://www.ajpn.org/internement-Camp-de-Choisel-59.html
Poème sur les fusillés de Chateaubriant de Viviane Dubray
Ce poème de Viviane Dubrai daté du 30 octobre selon Odette Nilès (dans son livre La petite fiancée de Guy Môquet) décrit le déroulement de cette journée :
22 OCTOBRE
Châteaubriant, Choisel, Carrière sanglante !
Ces mots qui font frémir prononcés à voix lente
Pour qu'ils soient à jamais incrustés dans nos coeurs
Symbole d'héroïsme et vision d'horreur !
Au seuil de la baraque, immobile et tremblante,
La conscience troublée de me voir impuissante,
Je vois gardes français et soldats allemands
Mitrailleuses braquées, mettre le siège au camp.
Dans le silence alors s'avancent les otages
Ils saluent poing levé, criant ferme : " Courage!"
Calmes, simples, fiers, sublimes et si beaux
Qu'ils semblent les vainqueurs de leurs tristes bourreaux.
Qu'ils soient jeunes ou vieux, tous ont la même flamme.
J'entends Granet nous dire : "Embrassez bien ma femme."
Et le cœur bondissant, je réponds au salut.
De pleurs mes yeux voilés qu'en bloc ne les voient plus.
Ordre est donné : "Chacun dans une baraque." Muettes,
Pâles, désemparées, aux crânes des tempêtes,
Nous guettons faits et bruits. Que font-ils enfermés
Dans la baraque six, nos amis condamnés ?
Des camions, des soldats, des moteurs grinçants grondent....
Je risque un œil. Je vois Timbaud, Ténine......Ils montent
Dans un triste fourgon, mains liées; mais leurs voix
Libres, frappent près d'eux tous les chiens aux abois.
Soudain, la Marseillaise et l'Internationale.
Ils nous chantent leur foi, c'est leur lutte finale !
Le camp répond. Le chant monte, s'enfle, grandit....
Ils partent.....Les rumeurs s'estompent, c'est fini.....
Vite on se rue dehors, on pleure, on chante, on crie...
Ils en ont pris vingt-sept et comble d'infamie
L'un dix sept ans à peine, et trois moins de vingt ans
Têtes dignes d'un tueur et non d'un conquérant.
En ordre rassemblés, nous leur crions vengeance.
C'est l'heure !....Ils vont mourir. Recueillons-nous....Silence
Ils sont tombés chantant- dans leur dernier sommeil
Sans bandeaux, regards fiers - irradiés de soleil.
Peuple de tes combats, ce sont de lourdes pages
Le temps n'oubliera pas ces grands et fiers visages
Que les balles d'Hitler ont fait muets et glacés
Par leur vie, par leur mort, nos devoirs sont tracés.
Vous complices, tremblez, la douleur est féconde
France en tes flancs meurtris, tressaille un nouveau monde
L'étoile soviétique illustre le ciel noir
De l'homme en désarroi, lumineux espoir.
France, raison, clarté guide une fois encore
Abats l'esprit obscur, tourne-toi vers l'aurore
Pour que la terre un jour dans ses enfantements
A des millions de morts ne demande le sang.
Source Alain Guérin, 100 poèmes de la résistance.
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AINCOURT
Ce camp est situé dans le Département de Seine et Oise et a été créé sur la base des bâtiments d’un ancien sanatorium fermé le 9 juin 1940. Il ouvre le 5 octobre 1940. Y ont été détenus entre cette date et mai 1942, 1176 internés hommes. Avant l’arrivée des femmes, ces hommes sont envoyés dans différents autres camps, prisons centrales et en déportation, un quart de ceux envoyés au camp de Compiègne ont été déportés à Auschwitz, peu en reviendront. (source ma tante margot https://gw.geneanet.org/levrel?f=Margot_Bistouillardes&lang=fr&m=NOTES
93 femmes sont arrivées au camp d’internement d’Aincourt à partir du 11 mai 1942 alors que le camp était vidé de nombreux prisonniers. Elles viennent du camp de Choiseul à Chateaubriant où elles ont été témoin de la journée du 22 octobre 1941 où furent fusillés 27 patriotes dont le plus jeune était Guy Môquet.
L’histoire d’Odette Nilès, l’une des dernières survivantes d’Aincourt et petite fiancée de Guy Môquet est l’une des rares connues. Elle raconte qui sont ces femmes « des jeunes filles, des femmes arrêtées par la police de Vichy, certaines depuis 1940 avaient déjà connu les prisons de Fresnes et de la Petite Roquette. Dès le début de l’occupation, elles avaient manifesté pour l’indépendance de la France. Elles réclamaient du pain pour leurs familles, leurs enfants. Ces françaises, attachées à libérer leur pays du régime de Vichy établi par Pétain au service des nazis ont contribué à forger la résistance ».
« 60 femmes sont des internées politiques et 33 sont dites « juives, étrangères, prostituées ou condamnées de droit commun ». Les femmes ne savent pas qu’il y a 120 hommes internés en mai 1942 au camp d’Aincourt. Elles sont astreintes aux corvées liées au fonctionnement de la collectivité de leur bâtiment, ne sortent jamais afin de ne pas croiser les hommes, qui, eux sont astreints aux corvées extérieures.
Témoignage de Huguette Rapetti-Engler, internée au camp d’Aincourt (extraits) :
« Les dernières arrivées se sont intégrées dans les collectifs existants. Par groupe d'affinité, par groupe d'âge. J'avais 21 ans. J'ai été accueillie par le groupe de filles de 18, 19, 20 ans qui venaient de Châteaubriant. Avec les aînées (30-35 ans), nous étions à la baraque 24. Il a fallu vivre, s'organiser, s'occuper avant toute chose. […/…] Pas de flics à l'intérieur du camp. Et nous partagions tout : colis, bouquins, savoir, heure de français (je garde précieusement un devoir annoté par Marguerite Flavien, prof de philo, assassinée par la milice à Lyon en juin 1944), heure de chorale, heure de courrier, heure de détente, heure de dessin, heure de théâtre (rien moins que Musset, M olière, Shakespeare), heure d'anglais, de lecture (j'ai lu trois fois à haute voix " Autant en emporte le vent "), secourisme, gymnastique, rythmique, commentaires de tout ce qui provenait du dehors. […/...] »
https://musee-resistance-chateaubriant.fr/wp-content/uploads/2020/04/expo2016_resisterartculture_panneau12_texte.pdf
Le camp d’Aincourt sera fermé début 1942 et évacué sous ordre de Vichy le 15 septembre.
Il deviendra une école de Groupes Mobiles de Réserves (GMR).
Après l’évacuation d’Aincourt, des femmes seront dirigées vers :
- le camp de Gaillon en septembre 1942 ;
- puis celui de Monts (La Lande) en février 1943, alors que certaines femmes sont hospitalisées à l’hôpital de Vernon et ne partent pas dans ce transfert ;
- ou de Mérignac en août 1943 (ou certaines seront sous la coupe de Papon) ;
- de Poitiers (début janvier 1944) ;
- et vers Auschwitz pour Hélène Mabille, Marie Levy et Thérèse Chassaing ;
- d’autres furent déportées au camp de Ravensbrück dont peu reviendront.
Sources : Odette Nilés, Guy Môquet mon amour de jeunesse
Sources et liens sur Aincourt
- Article qui cite la présence Viviane à Aincourt
- Brochure Aincourt centre d’internement de 1940 à 1942, détourné de sa vocation première, celle de soigner
- Le Parisien.fr, article du 4 octobre 2020
- Mémoire vive.org, Aincourt un camp français près de Paris
- Fondation résistance.org, Centre de séjour surveillé d’Aincourt
- Mémoire d’Aincourt
- Roger Colombier, site et livre
- Le livre de Roger Colombier, Aincourt, le camp oublié doit être réédité fin 2023 par les éditions Le temps de cerises.
- Vidéo le camp d’Aincourt un lieu de mémoire, Val d’Oise, Fernand Devaux
Camp de La Lande à Monts, Indre-et-Loire
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Le camp de La Lande est construit en 1937 avec 3 autres pour loger une partie des nombreux ouvriers travaillant à la poudrerie nationale du Ripault qui est toute proche. Ce camp est réquisitionné par la gestapo après l’armistice du 22 juin 1940. Il abrite tout d’abord des juifs polonais évacués de Moselle.
En septembre 1942, 42 juifs de ce camp partent pour le camp de Drancy et seront déportés à Auschwitz. 14 personnes survivront.
Après les détenus juifs, des femmes communistes seront détenues dont une sera exécutée dénoncée comme juive par une infirmière française. Ce camp après la guerre servira de résidence à des employés de Ripault et du laboratoire Roger Bellon. Ses installations sont détruites dans les années 60 et des lotissements sont construits à son emplacement (wikipedia)
« Le 2 octobre 1942, 227 femmes résistantes arrivent au camp de La Lande en provenance de La Roquette et des Tourelles.
Le 4 octobre, 31 femmes arrivent en provenance de Pithiviers avec 2 enfants et des militantes isolées arrêtées à Tours et dans les Côtes du Nord ;
Le 16 février 1943, c’est le camp de Gaillon qui est transféré à La Lande. 140 militantes internées arrivent en gare de St Pierre des Corps où elles resteront la nuit alors qu’un bombardement intense a lieu sur Tours et elles devront manifester pour être mises à l’abri. Ces femmes, dont certaines arrêtées dès 1940 avaient déjà fait plusieurs prisons et camps, La Roquette, Chateaubriant, Aincourt, Gaillon (…)
Qui étaient toutes ces femmes ?
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C’étaient des jeunes filles et des femmes arrêtées par la police française et la gestapo. La plupart d’entre elles militaient avant 1939 dans des organisations luttant contre la guerre (syndicats, Parti Communiste Français, jeunes filles de France, Auberges de jeunesse).
Dès l’arrivée des allemands, elles avaient manifesté contre l’occupation de notre pays, elles étaient à des postes divers un des maillons qui a aidé dès 1940 à constituer la trame de la résistance française contre l’ennemi.
Les femmes étaient en fait, dans tous les rouages de la résistance contre l’occupant.
Ces femmes, il fallait les empêcher d’agir, faire taire leurs voix, d’où la nécessité de les enfermer dans des camps de concentration comme Monts et ensuite de les déporter.
Extrait d’un poème d’une de nos camarades internées à La Lande :
Ainsi qu’en terre aride un coin de blé mûrit
Qu’en le morne désert l’oasis sourit
Parmi ces morts vivants des femmes sont venues
Sereines en chantant le front haut tête nue
Elles ont bien souffert blessées dans leur tendresse
L’époux en exil, les enfants en détresse
Les fruits de leur labeur éparpillés au vent
Pour elles ni le cœur ni l’esprit ne se vendent. *
Viviane Dubrai
(j’ai recopié ce poème tel quel, seulement le dernier vers me laisse penser que le dernier mot est vendant pour respecter la rime).
Source : ADIRP 37-41, De l’internement à la déportation : Le camp de La Lande
Discours prononcé par Jacqueline Derrien au camp de La Lande lors de la pose de la première plaque le 12 octobre 1988 https://adirp37-41.over-blog.com/2019/06/le-camp-de-la-lande-a-monts.html
*****
Autres sources sur les camps
- L'internement, la France des camps : https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/linternement-la-france-des-camps-1938-1946
- Au sujet de la prison de la Pierre Levée : https://www.vrid-memorial.com/la-pierre-levee-a-poitiers/
Pour récapituler
Ce que l’on sait du parcours de Viviane dans les camps :
- 27 juin 1941 : prison de Fresnes
- ? Poitiers prison de la Pierre Levée
- Septembre 1941 : Chateaubriant (on sait que les femmes y sont arrivées à cette période)
- Mai/septembre 1942 : Aincourt
- Gaillon
- La Lande à Monts : des femmes y arrivent en octobre 1942 (venant de La Roquette, des Tourelles, de Pithiviers)
- Puis en février 1943 du camp de Gaillon où des femmes étaient arrivées le 13 septembre 1942 en provenance d’Aincourt
- ?
Pour avoir une idée du parcours des femmes dans tous ces camps, un témoignage bien construit et précieux sur les dénommées Bistouillardes :
Ma tante Margot et les Bistouillardes
Carte des camps en France
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Merci encore à D.L. pour la confiance accordée ainsi que pour les archives
Caro
La poésie m’a permis de suivre le chemin de Viviane car ses mots ont été semés, quoi qu’il en soit, ils ont laissé des traces. Des traces d’elle, il y en a, mais peu, pourtant elles existent. Il suffit pour cela, de tirer un fil et de voir venir à soit les perles d’un collier qui déploie une histoire, certes, fragmentée, mais cette histoire, j’aimerais la raconter comme elle se présente aujourd’hui à nous.
La poésie crée des liens, ce n’est pas pour rien que dans les prisons, dans les lieux d’enfermement, y compris dans les conditions de détention les plus terribles, elle a surgi, s’est cachée, voire s’est terrée, mais jamais ne s’est tue, transmise en catimini ou enterrée au cœur des pierres.
Et ici, avec Viviane, nous avons affaire à de la très belle poésie, elle suit les normes de l’époque évidemment, mais elle a surtout cette particularité qui est celle de la poésie du cœur. Cette encre difficile à trouver pour ceux qui veulent poétiser car elle n’est accessible qu’à ceux qui ont du cœur et savent, parfois s’en servir pour écrire, c’est cette encre qui permet d’écrire des poèmes de vie et d’amour, de mémoire et de force, de vitalité et d’éternité.
Grâce à ces poèmes-là, dont le premier et le plus connu sur les fusillés de Chateaubriant, paru sur ce blog, il y a plus de 10 années, est venu s’ajouter un autre dont c’est le thème premier de cet article-ci et qui découle du 1er poème du blog via un commentaire instructif, puis un autre encore, par-delà les recherches sur le net.
Et peut-être y en a-t-il d’autres ?
Ici la porte est ouverte à toutes les informations pour que soit gardée la mémoire vive d’une femme nommée Viviane qui nous envoie, de là où elle est dans la grande prairie aux étoiles, des signaux pour que jamais, la mémoire de ceux qui se sont battus pour notre liberté, ne s’éteigne.
caro