Mexique : Tzam trece semillas : Justice (de María del Carmen García Vazquez)

Publié le 11 Septembre 2022

Image : Carmen García

Par María del Carmen García Vazquez

Je suis une femme du peuple Yaqui. Pour moi, si la justice existait, nous, les peuples autochtones, ne subirions plus la dépossession de la terre, de l'eau ou de tout autre élément de nos territoires ; si la justice existait, il n'y aurait plus de morts, les défenseurs ne seraient pas assassinés ou ne subiraient pas de criminalisation. Si la justice existait, les peuples autochtones ne feraient pas l'objet de discriminations. Mais à l'heure actuelle, nous, les autochtones, n'avons pas beaucoup de possibilités d'emploi, on ne nous donne pas de travail et nous sommes rarement acceptés dans une université. Il semble que ceux d'entre nous qui viennent des peuples indigènes n'ont pas leur place dans la société actuelle, dans ce qu'ils appellent la "vie moderne". Parfois, les indigènes sont discriminés rien qu'en nous regardant, nous sommes discriminés à cause des costumes traditionnels que nous portons, à cause de nos vêtements ; dès qu'ils nous voient pour la première fois, ils sont surpris et nous considèrent comme des marginaux.

Dans le cas des femmes, s'il y avait une justice, on nous respecterait, on respecterait notre parole, notre être de femme. Souvent, on dit aux femmes autochtones que nous sommes ignorantes, que nous ne savons rien. Il ne peut y avoir de justice pour les femmes autochtones de cette manière. Si la criminalisation de ceux d'entre nous qui défendent nos terres et nos eaux se poursuit, il ne peut y avoir de justice ; si ceux d'entre nous qui défendent notre territoire continuent à être assassinés, il ne peut y avoir de justice. Ce que nous, les femmes Yaqui, voulons, c'est que l'on respecte le territoire ancestral, ce qui est à nous depuis longtemps, ce qui était à nous depuis longtemps avant que n'arrivent ceux qui ont toujours voulu nous déposséder. Ce n'est qu'en respectant le territoire qu'il y aura une justice.

En ce moment, Andrés Manuel López Obrador a planifié un plan de justice pour le peuple Yaqui ; il est venu demander publiquement pardon pour tout ce qui s'est passé dans notre histoire, pour tout ce qui a été fait à nos ancêtres pendant le Porfiriato ; mais ce plan de justice n'a pas été préparé avec la participation de tout le peuple Yaqui ; le gouvernement fédéral n'a fait appel qu'à certaines autorités qui ne sont pas légitimes mais qui soutiennent le gouvernement fédéral. Pour qu'une autorité Yaqui soit légitime, elle doit avoir son peuple, ses troupes, être en charge de son église et avoir sa garde traditionnelle ; si une autorité ne possède pas ces éléments, ce n'est pas une autorité, elle n'est pas reconnue comme une autorité légitime. Malgré cela, le président de la république a reconnu les autorités qui n'ont pas d'église, de garde ou de troupes, c'est-à-dire qu'il a reconnu des autorités qui ne sont pas légitimes mais qui le soutiennent. Comment peut-on rendre justice quand on travaille avec des autorités illégitimes ? Toute cette situation génère davantage de divisions au sein de la population, mais nous savons que c'est ce que le gouvernement a toujours fait, en utilisant cette stratégie de diviser pour régner. Lopez Obrador fait la même chose, en divisant davantage avec ce soi-disant plan de justice.

Une chose importante pour qu'il y ait vraiment une justice, c'est de libérer les prisonniers politiques et de mettre fin à la dépossession, pour qu'ils nous laissent vivre en paix dans notre ville, dans notre brousse, pour qu'ils arrêtent de nous embêter. C'est très difficile à réaliser car ces mauvais gouvernements veulent nous déposséder comme ils ont toujours voulu le faire. Dans le plan de justice fédéral, il est également mentionné qu'ils nous donneront un district de l'eau ; cela a généré une controverse et divise la population. La racine de tout est que cela a été planifié avec des autorités qui ne sont pas légitimes, ce sont les mêmes personnes qui nous ont attaqués le 21 octobre 2016, ils ont attaqué la garde traditionnelle et mon village Loma de Bácum. Comme une des conséquences de cette attaque, ils ont accusé Fidencio Aldama d'homicide sans les preuves nécessaires pour soutenir cette accusation, ceux qui nous ont attaqués se sont présentés comme des témoins contre nous. Fidencio Aldama se battait contre l'installation d'un gazoduc sur notre territoire et maintenant il est un prisonnier politique puni pour avoir défendu le territoire. Ceux qui l'accusent sont venus de différentes villes pour essayer d'imposer une autorité, l'objectif était que cette autorité signe le gazoduc, ils avaient déjà tout prévu, ils avaient déjà leurs dossiers qui criminalisaient les compagnons de notre peuple, ils avaient déjà les accusations disant qu'ils les avaient battus et qu'ils les avaient violés, alors qu'en réalité ce sont eux qui sont venus nous attaquer, ce sont eux qui ont tout provoqué au profit de ceux qui voulaient autoriser le gazoduc.

Les Yaqui ont été privés de notre eau, de nos rivières et maintenant ils ont commencé avec nos terres et notre territoire. Nous résistons actuellement au gazoduc qu'ils veulent faire passer sur nos terres, un gazoduc qui affecterait notre peuple et pourtant ils veulent nous l'imposer, c'est un projet qui n'affecte pas seulement le peuple Yaqui mais aussi le sol, les animaux, les plantes, toute la vie. Le gazoduc est l'une des principales injustices que nous subissons actuellement, c'est quelque chose de très douloureux et de très compliqué, quelque chose pour lequel nous sommes criminalisés. L'homme blanc, l'homme Yori comme nous l'appelons dans notre langue, nous discrimine parce que nous sommes indigènes et maintenant aussi parce que nous nous opposons au gazoduc. Les Yori disent que nous ne voulons pas de développement, que nous nous opposons au progrès, mais la réalité est que ce gazoduc ne nous profite pas, le développement qu'ils proclament n'est commode que pour eux, il ne nous apporte aucun bénéfice en tant que Yaquis, en tant que peuple originaire. Il y a eu beaucoup de criminalisation contre nous pour nous être opposés au gazoduc, pour avoir défendu notre territoire, qui a toujours été convoité par les Yori, qui a toujours été convoité par le capitalisme.

Grâce à nos ancêtres, la nation Yaqui a conservé son territoire, grâce à nos ancêtres qui ont également lutté pour ce territoire, nous l'avons toujours. La dépossession a commencé avant et c'était à nos ancêtres de résister comme nous le faisons aujourd'hui ; aujourd'hui la dépossession continue, les mauvais gouvernements et les entreprises transnationales, dans notre cas IEnova, une filiale de Sempra Energy, ont voulu nous déposséder, la menace de dépossession a toujours été là, au moins depuis le Porfiriato quand beaucoup de Yaqui ont été déportés au Yucatán et Veracruz pour les faire travailler dans les plantations de henequén. Quand nous lisons ou écoutons des histoires sur nos ancêtres, cela nous fait beaucoup de mal d'entendre parler de leurs souffrances, ils étaient obligés de travailler dans des conditions terribles sans pouvoir se nourrir correctement, il y a des livres qui parlent de tout cela, de tout ce que nos ancêtres Yaqui ont souffert à cette époque pour les faire sortir de leur territoire. Aujourd'hui, les injustices continuent, ils veulent prendre ce qui nous appartient, ce qui est ancestral ; ils veulent installer ce gazoduc sur le territoire Yaqui et nous sommes criminalisés pour nous y opposer, Fidencio Aldama est maintenant un prisonnier politique pour s'être opposé au gazoduc, il a été condamné à 15 ans et 6 mois de prison ainsi qu'à une amende de 75 000 pesos, tout cela pour avoir défendu son territoire.

De toutes les mauvaises choses qui nous arrivent, certains pensent que la justice n'est pas pour nous, qu'elle ne vient pas, qu'elle met du temps à arriver, et quand la justice arrive, c'est parce que nous, peuples en résistance, l'avons réclamée. Si la justice arrive, ce sera parce que nous l'avons réclamée, si elle arrive, ce sera parce que nous n'avons pas gardé le silence.

Portrait de l'auteur : Archives personnelles

PEUPLE YAQUI

María del Carmen García Vazquez

Défenseure du territoire Yaqui. Elle est née à Ciudad Obregón, Sonora, mais vit à Loma de Bácum depuis sa naissance. Elle participe à la résistance à l'installation d'un gazoduc en défense du territoire Yaqui depuis 2014. Elle a accompagné la recherche de la justice dans les cas de violence contre les femmes et les filles Yaqui. Elle a également accompagné les familles des dix défenseurs Yaqui disparus et a accompagné leurs efforts de recherche.

traduction caro

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