Brésil : Sonia Guajajara : "Les candidats indigènes au Brésil peuvent construire une bonne vie pour tous les peuples"

Publié le 15 Septembre 2022

Sonia Guajajara, leader des peuples et candidate au poste de députée fédérale pour le Parti Socialisme et Liberté, représente une candidature pour l'accès à la terre, l'identité, le bien vivre et la reconstruction du Brésil.

Laura Salomé Canteros
María Eugenia Waldhüter
Rocío Prim
Camila Parodi
Traduction : Julia Giménez
10 SEP 2022 06:00

Le 2 octobre, les élections générales au Brésil auront lieu et 156 millions de personnes ayant le droit de vote décideront qui présidera les pouvoirs exécutif et législatif nationaux et les assemblées des États et des districts fédéraux. Ce seront les élections qui définiront immédiatement la carte géopolitique de l'Amérique latine et des Caraïbes et Luiz Inácio Lula da Silva, deux fois président, est le favori de la rue et des sondages pour revenir gouverner le pays après la mauvaise gestion néolibérale de ces dernières années qui a démantelé les politiques de santé et d'éducation, négligé la pandémie de COVID 19 et initié une haine systématique des femmes, des peuples indigènes et de la Nature.

São Paulo est un État central pour la politique brésilienne. C'est là que sont basées la plupart des grandes entreprises dont les décisions affectent les populations et les territoires de tout le pays, en particulier les peuples autochtones qui luttent pour survivre et maintenir la nature en vie. Représentant les voix ancestrales, mais aussi les propositions de gauche qui découlent des mandats collectifs, Sonia Guajajara, leader des peuples et candidate à la députation fédérale pour le Parti Socialisme et Liberté (PSOL- SP). Nous nous sommes entretenus avec elle à l'approche d'une élection clé visant à vaincre dans les urnes le fascisme de l'État, représenté par l'actuel président Jair Bolsonaro, et à affronter le banc ruraliste et son lobby cupide au Congrès. Une candidature pour l'accès à la terre, l'identité, le bien vivre et la reconstruction du Brésil.

Que signifie votre candidature en termes individuels et collectifs ? 

En vérité, je n'ai pas lancé la candidature, elle a été lancée par le mouvement indigène comme une alternative pour affronter directement les reculs et le retrait des droits dans le système. (Jair) Bolsonaro s'est montré l'ennemi numéro un des peuples indigènes et faire cette attaque directe depuis le mouvement n'est pas suffisant. La candidature de l'Assemblée générale autochtone est anti-systémique afin que nous puissions occuper des espaces dans les lieux de pouvoir et essayer d'apporter un changement structurel. En 500 ans, nous n'avons qu'un seul représentant indigène au Congrès national et cela ne peut être considéré comme normal. Nous devons élargir cette représentation au sein des Assemblées législatives et également au sein du Congrès national.

Nous sommes à presque un mois des élections, quelle est votre évaluation de la campagne et quels sont les défis pour les jours à venir ?

Tout d'abord, la structure. Les campagnes électorales étant très inégales, de nombreux partis offrent des ressources et des structures à leurs candidats et, principalement, aux candidats considérés comme prioritaires. Ces priorités ne sont jamais nous, jamais une femme indigène, jamais une femme noire, jamais une LGBT. Nous devons aller dans les partis et demander du soutien. Notre défi est donc que les partis comprennent la présence des autochtones en tant que candidats prioritaires.

Dans notre cas, à partir de l'expérience indigène, nous comprenons que la façon de faire de la politique est welfariste. Les souffrances et les besoins des gens sont utilisés en échange de votes, et nous ne voulons pas reproduire cette façon de faire de la politique. Nous voulons que les gens soient conscients de voter pour la cause, de voter pour la garantie des droits et pas seulement pour pouvoir bénéficier d'une prestation ponctuelle. L'autre possibilité est que le système lui-même soit configuré pour que nous n'occupions pas cette place. Il est donc toujours plus difficile pour les gens de faire confiance et de croire en ces candidatures. C'est pourquoi il est important de montrer que les candidatures indigènes sont une alternative pour protéger l'environnement, pour protéger la biodiversité, pour protéger l'eau. En bref, être capable de provoquer une prise de conscience politique, écologique et environnementale chez les gens. Ce sont les candidatures indigènes qui peuvent construire un monde plus juste, plus égalitaire et une bonne vie pour tous.

Nous nous demandons ce que ces élections signifient pour les femmes indigènes, quelles sont les dettes historiques de l'État brésilien à leur égard et quelle est leur proposition de reconstruction au sein du front électoral proposé par le PT ?

Le Brésil est un pays où le machisme est très fort et ce machisme a également atteint les territoires indigènes. Il est très difficile pour nous, femmes autochtones, de faire tomber ces barrières. Quoi qu'il en soit, nous nous engageons sur différents fronts de lutte et jouons un rôle de premier plan dans la participation des femmes autochtones aux espaces de leadership et de prise de décision. Pour nous, c'est beaucoup plus difficile parce qu'en plus d'être des femmes et des femmes indigènes, nous sommes confrontées à ce que l'on appelle le machisme culturel, où de nombreux peuples ne permettent pas aux femmes de participer à certains espaces parce que la culture ne le permet pas. Et la vérité est que pour nous, ce n'est pas une culture, ce n'est pas une culture d'être une servante, ce n'est pas une culture d'être subordonné aux hommes. Nous y sommes confrontées ici et nous le faisons également par le biais du mouvement des femmes indigènes, qui n'a qu'un an. Nous avons mené les marches des femmes et, à partir de là, nous promouvons un changement important afin qu'il y ait une meilleure compréhension de la participation des femmes au mouvement indigène. 

Nous avons une bannière de lutte sur la garantie territoriale, c'est-à-dire le droit au territoire. La terre est ce qui garantit notre identité, le fait d'être indigène. Et nous continuons avec cette bannière dans le but d'augmenter la participation des femmes dans ces espaces politiques. Nous sommes celles qui protègent le plus la terre, et nous sommes aussi celles qui sont le plus touchées par la violence politique de l'État, par le racisme et le patriarcat, et nous devons aussi affronter cela au sein des structures du pouvoir. Nous luttons pour nos peuples et nos territoires, en comprenant que l'environnement est notre propre corps. C'est pourquoi nous disons que nous sommes celles qui prennent en charge la défense de la biodiversité et de la planète. Nous, les femmes autochtones, sommes la guérison de la Terre.

Ces dernières années, nous avons assisté avec inquiétude à la destruction de l'Amazonie par l'avancée de l'agrobusiness. En tant que défenseure des territoires et gardienne de la Nature, quelles actions doivent être entreprises pour arrêter ce modèle ?
C'est une lutte constante et nous devons mener un combat en coordination avec d'autres mouvements et avec la société, parce que nous seuls, les peuples indigènes seuls, ne pouvons pas assurer cette lutte contre l'agrobusiness, contre les compagnies minières, contre les compagnies forestières. Nous devons renforcer nos bases, cette connexion entre les autres secteurs pour faire davantage pression sur eux. Nous ne pouvons pas croire que l'élection de Lula (da Silva) résoudra tous les problèmes. 

Comment lisez-vous les propositions faites par Lula da Silva face à ces problèmes ? 

La détérioration du gouvernement de (Jair) Bolsonaro sur l'Amazonie équivaut à 50 ans de destruction. Nous devons donc reconstruire les politiques que nous avons perdues afin de commencer à construire un nouveau projet politique pour un pays avec notre participation. Nous voulons être avec ce gouvernement avec Lula, pour participer aussi aux organes et à la structure du gouvernement dans les politiques de santé, d'éducation, d'environnement et de justice. Nous devons accompagner cette participation indigène également dans la gestion de la politique.

Et nous voulons que notre mouvement reste fort afin de continuer à pousser, à être à l'avant-garde, à se battre pour les politiques publiques et la mise en œuvre des droits car aucun droit n'est mis en œuvre seul. Nous savons qu'avec Lula, ce ne sera pas suffisant, nous devons continuer à descendre dans la rue pour exiger le respect des droits constitutionnels acquis et toujours lutter pour l'égalité et la participation dans tous les espaces.

Nous voyons dans ces élections une puissante visibilité de la communauté noire, des LGBT, des peuples indigènes et des femmes. Que signifient ces leaderships après presque quatre ans de mauvaise gestion, de fascisme et de politiques génocidaires ? 

Chaque mouvement maintient ses bases articulées, nous savons que constitutionnellement le pouvoir vient du peuple. Mais nous savons que la démocratie n'est pas représentative, elle n'envisage pas toute la diversité des peuples et des cultures, et cela n'est plus acceptable. Nous devons penser à une démocratie qui a notre visage sur sa photo. Il est clair que ce n'est pas seulement en élisant un gouvernement de gauche que nous allons établir nos bases et que nous voulons seulement occuper le pouvoir. 

Comment construire le pouvoir populaire ?

Nous devons continuer à nous exprimer et ne pas commettre la même erreur que le gouvernement du PT et de nombreux mouvements, à savoir attendre qu'un gouvernement de gauche donne le ton. Et cela ne s'est pas produit, car le gouvernement avec d'autres partis a fini par empêcher le gouvernement lui-même de se rapprocher du peuple. Donc, le pouvoir populaire se construit sur la base du renforcement de la base et de tout le renforcement des mouvements sociaux que nous construisons fortement chaque jour.

Vous articulez-vous ou vous identifiez à d'autres luttes et victoires au Brésil et dans la région ?

Ici, surtout pour la campagne électorale, nous sommes liés aux mouvements féministes, au caucus Quilombola, au caucus du Mouvement des travailleurs sans abri (MTST), au Mouvement des travailleurs sans terre (MST) et au mouvement LGTBQI+ ; aux peuples et communautés traditionnels. Nous sommes connectés de la base au niveau national. Pour la campagne, ce renforcement est très important car nous voulons élire un banc qui contient chacune de ces représentations. Nous voulons un caucus indigène, un caucus quilombola, un caucus des sans-terre, un caucus des sans-abri, un caucus féministe, un caucus LGBT, un caucus culturel, afin que nous puissions atteindre le Congrès national et y créer un caucus qui porte la voix de la terre, de l'eau, de la biodiversité. Un caucus capable d'affronter le caucus ruraliste du Congrès national. Nous devons créer un caucus culturel pour s'opposer au caucus biblique qui impose sa foi et sa religion au détriment de la diversité culturelle et populaire.

Au niveau international, nous avons une articulation avec la COICA, du bassin amazonien, avec l'Alliance globale des collectivités territoriales, formée par le Brésil, l'Amérique centrale, l'Indonésie et le Congo. Nous sommes dans l'articulation et la participation au système de l'ONU et de l'OEA et aussi dans les conférences sur le climat et la biodiversité. Nous disposons d'un réseau international à partir duquel nous agissons lorsqu'une position plus forte est nécessaire de l'extérieur. Dans notre cas, pour faire pression sur le gouvernement Bolsonaro, nous maintenons une position contre l'approbation des mesures au Congrès national. Nous nous levons et nous articulons chaque jour aux niveaux local, régional, national et international afin que nos bannières soient hissées le plus haut possible et qu'à un moment donné, nous puissions crier collectivement victoire.

traduction caro d'une interview parue sur el salto le 10/09/2022

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article