Pérou : Le 1er mai et le front uni

Publié le 1 Mai 2022

"Cette date internationale invite à de nombreuses méditations. Mais pour les travailleurs péruviens, la plus actuelle, la plus opportune est celle qui concerne la nécessité et la possibilité du front unique".

Par José Carlos Mariátegui La Chira*.

Le 1er mai est, dans le monde entier, une journée d'unité du prolétariat révolutionnaire, une date qui unit tous les travailleurs organisés dans un immense front uni international. À cette date, les mots de Karl Marx résonnent, unanimement suivis et obéis : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous". A cette date, toutes les barrières qui différencient et séparent l'avant-garde prolétarienne en divers groupes et écoles tombent spontanément.

Le 1er mai n'appartient pas à une Internationale, c'est la date de toutes les Internationales. Les socialistes, les communistes et les libertaires de toutes nuances sont aujourd'hui mélangés et mêlés dans une seule armée qui marche vers la lutte finale.

Cette date, en somme, est une affirmation et une affirmation que le front uni prolétarien est possible et réalisable et qu'aucun intérêt, aucune exigence actuelle ne s'oppose à sa réalisation.

Cette date internationale invite à de nombreuses méditations. Mais pour les travailleurs péruviens, la plus actuelle, la plus opportune est celle qui concerne la nécessité et la possibilité du front uni. Dernièrement, il y a eu quelques tentatives de sécession. Et il est urgent de se comprendre, il est urgent de prendre des mesures concrètes pour empêcher ces tentatives de prospérer, pour les empêcher de miner et de saper l'avant-garde prolétarienne naissante du Pérou.

Mon attitude, depuis mon incorporation à cette avant-garde, a toujours été celle d'un partisan convaincu, celle d'un fervent propagandiste du front uni. Je me souviens l'avoir déclaré dans l'un des premiers cours de mon cours sur l'histoire de la crise mondiale. Répondant aux premiers gestes de résistance et d'appréhension de quelques vieux libertaires hiératiques, plus soucieux de la rigidité du dogme que de l'efficacité et de la fécondité de l'action, je disais alors du haut de la tribune de l'Université populaire : " Nous sommes encore trop peu nombreux pour nous diviser ". Qu'il ne soit pas question d'étiquettes ou de titres".

J'ai par la suite répété ces mots ou des mots similaires. Et je ne me lasserai pas de les répéter. Le mouvement de classe, parmi nous, est encore trop naissant, trop limité, pour que nous songions à le briser et à le diviser. Avant que ne vienne l'heure inévitable d'une scission, il nous appartient de faire beaucoup de travail en commun, beaucoup de travail en solidarité. Nous avons beaucoup de longs voyages à entreprendre ensemble. C'est à nous, par exemple, d'éveiller la conscience et le sentiment de classe dans la majorité du prolétariat péruvien. Cette tâche appartient autant aux socialistes qu'aux syndicalistes, aux communistes qu'aux libertaires. Il est de notre devoir à tous de semer les graines du renouveau et de diffuser les idées de classe. Nous avons tous le devoir de conduire le prolétariat loin des assemblées jaunes et des fausses "institutions représentatives". Nous avons tous le devoir de lutter contre les attaques et les répressions réactionnaires. Nous avons tous le devoir de défendre la tribune, la presse et l'organisation prolétarienne. Nous avons tous le devoir de défendre les revendications de la race indigène asservie et opprimée. Dans l'accomplissement de ces devoirs historiques, de ces devoirs élémentaires, nos chemins se rencontreront et s'uniront, quel que soit notre but ultime.

Le front uni n'annule pas la personnalité, il n'annule pas l'affiliation d'aucun de ceux qui le composent. Il ne signifie pas la confusion ou l'amalgame de toutes les doctrines en une seule. Il s'agit d'une action contingente, concrète, pratique. Le programme du front uni considère exclusivement la réalité immédiate, sans aucune abstraction ni utopie. Prôner le front uni, ce n'est donc pas prôner le confusionnisme idéologique. Au sein du front uni, chacun doit conserver sa propre affiliation et sa propre idéologie. Chacun doit travailler pour son propre credo. Mais tous doivent se sentir unis par la solidarité de classe, unis par la lutte contre l'adversaire commun, unis par la même volonté révolutionnaire et la même passion du renouveau. Former un front uni, c'est avoir une attitude de solidarité face à un problème concret, face à un besoin urgent. Il ne s'agit pas de renoncer à la doctrine que chacun sert ni à la position que chacun occupe dans l'avant-garde ; la variété des tendances et la diversité des nuances idéologiques sont inévitables dans cette immense légion humaine qu'on appelle le prolétariat. L'existence de tendances et de groupes définis et précis n'est pas un mal ; au contraire, c'est le signe d'une période avancée du processus révolutionnaire. L'important est que ces groupes et tendances sachent se comprendre dans la réalité concrète du jour. Qu'ils ne se stérilisent pas de manière byzantine dans des ex-confessions et des excommunications mutuelles. Qu'ils n'éloignent pas les masses de la révolution par le spectacle des querelles dogmatiques de leurs prédicateurs. Qu'ils n'utilisent pas leurs armes et ne perdent pas leur temps à se blesser les uns les autres, mais à combattre l'ordre social, ses institutions, ses injustices et ses crimes.

Essayons de ressentir cordialement le lien historique qui nous unit à tous les hommes de l'avant-garde, à tous les pères du renouveau. Les exemples qui nous parviennent quotidiennement de l'extérieur sont innombrables et magnifiques. Le plus récent et le plus émouvant de ces exemples est celui de Germaine Berton. Germaine Berton, anarchiste, a tiré avec précision avec son revolver sur un organisateur et chef d'orchestre de la terreur blanche pour venger l'assassinat du socialiste Jean Jaurés. Les esprits nobles, élevés et sincères de la révolution perçoivent et respectent ainsi, au-delà de toute barrière théorique, la solidarité historique de leurs efforts et de leurs œuvres. Elle appartient aux esprits mesquins, sans horizons et sans ailes, aux mentalités dogmatiques qui veulent pétrifier et immobiliser la vie dans une formule rigide, privilège de l'incompréhension sectaire et de l'égoïsme.

Le front uni prolétarien, heureusement, est parmi nous une décision et un désir clair du prolétariat. Les masses exigent l'unité. Les masses veulent la foi. Et c'est pourquoi leur âme rejette la voix corrosive, dissolvante et pessimiste des négateurs et des sceptiques, et recherche la voix optimiste, cordiale, jeune et féconde de ceux qui affirment et de ceux qui croient.

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* José Carlos Mariátegui La Chira était un journaliste, écrivain et homme politique péruvien, initiateur et forgeur du socialisme au Pérou. Connu sous le nom d'Amauta ou maître en raison de sa célèbre revue Amauta, son œuvre défie le temps et l'histoire en raison de la fécondité de ses idées et de son attitude rénovatrice et révolutionnaire permanente.  

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Source : El 1° de Mayo y el Frente Unico a été écrit en 1924 et publié dans El Obrero Textíl, vol. V, n° 59, Lima, 1er mai 1924.

traduction caro d'un texte paru sur Servindi.org le 1er mai 2022

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #PolitiqueS, #1er mai, #Mariátegui, #Pérou

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