Mexique : Tzam trece semillas : Pa apait janum yio, valiug iuw kió pa paitká. Vivre bien, être en paix

Publié le 23 Mai 2022

Image : Juana Inés Albañez Arballo

Par Juana Inés Albañez Arballo

Du point de vue de mon peuple indigène, et plus particulièrement de mon point de vue personnel en tant que femme du peuple Pai Pai, j'ai appris que le concept du mot "paix" fait référence à un état de bien-être et de sécurité, exempt de guerre, de conflit et de revers. La paix, dans ma terre indigène, est menacée par les conflits ancestraux, mais il y a aussi la résistance, que nous connaissons comme la façon de "vivre bien" ou en paix. Les conflits auxquels nous sommes confrontés sont toujours liés à l'invasion de notre territoire, au paternalisme gouvernemental qui tente de nous sauver de notre situation sans rien connaître des formes d'organisation des Jaspuy paim Pa Ipai1, qui vivent en clans et dans ces structures claniques nous nous organisons pour réaliser différentes activités au sein de la communauté ; en tant que peuple originaire, nous cherchons à vivre bien et en paix au quotidien à partir de chacun de nos Pa Sr'umul T'tor (différents clans ou familles).

Je ne veux pas dire que les conflits n'existent pas dans notre village, ils existent, mais ils sont réglés ici, sans l'intervention de personne. La méconnaissance de nos modes de règlement des conflits dure depuis des décennies et je suis très fatiguée de tout ce qui a été écrit sur nous et qui n'a rien de juste. Comment se fait-il que chaque clan travaille à la paix en fonction de nos propres modes de vie sur notre territoire ? Nous le faisons comme nous le savons et comme on nous l'a appris ; bien que les définitions de ceux qui nous ont enquêté aient toujours été imprécises et incomplètes, nous répondons en leur "donnant le change", comme on dit familièrement. Depuis de nombreuses décennies, on dit que nous avons disparu en tant que peuple autochtone, que nous ne sommes plus, que nous ne parlons plus, que nous ne chantons plus, que nous ne racontons plus ce qui a été enseigné auparavant, et pourtant nous continuons à nous organiser en paix pour effectuer le travail au sein de la communauté qui a permis aux nouvelles générations de survivre, à qui nous apprenons à apprécier leurs racines et à toujours chercher à vivre bien et à vivre en paix, bien que la perception du mkliay2 puisse être différente.

Peut-être que le silence fait partie de la paix et que la désinformation à notre égard en tant que peuple est préférable pour que nous continuions à encourager nos propres formes d'organisation et de résistance. En fin de compte, nous sommes une nation au sein d'un territoire mexicain, au sein d'un pays qui ne s'est pas vraiment soucié de la destination de notre peuple et de ce que l'avenir nous réserve. Dans notre nation, on obéit aux coutumes et aux traditions et on respecte ce que les ancêtres nous ont laissé, c'est une bonne façon de parler de la paix ou, dans notre cas, de parler du "bien vivre". Nous avons également pris des choses de l'extérieur, nous avons essayé de prendre les bonnes choses pour les adapter à nos modes de vie et d'organisation ; cela se fait que l'on vive à l'intérieur ou à l'extérieur de la communauté. Je soulignerai toujours que la paix est en chaque personne qui fait ce qu'elle ressent et pense afin de vivre ensemble en communauté.

Peut-être le mot "paix" et sa connotation se trouvent-ils dans le travail des femmes et leur vaste connaissance de l'artisanat, de la médecine, de la langue, de l'oralité, des contes, des chansons et des histoires qu'elles enseignent à leur progéniture ; peut-être la paix se trouve-t-elle dans le travail que les hommes accomplissent à la campagne ou dans les villes et dans l'appréciation et le soin qu'ils apportent à leur famille. La paix, c'est bien vivre avec l'arrivée de la saison des pluies et de ses bienfaits, c'est connaître le moment de couper de la terre les fruits que la forêt nous donne, la paix, c'est la coexistence dans le respect et l'harmonie qui se travaille depuis des temps ancestraux, où chaque natif Pa Ipai fait son travail et cela est reconnu par la communauté elle-même.

Le paternalisme avec lequel nous, les peuples autochtones, avons été traités pendant des décennies les a empêchés de nous connaître réellement et de savoir que nous sommes des sujets de droit, que nous n'avons pas besoin que quelqu'un de l'extérieur vienne nous traiter comme des objets d'étude et rédige ensuite ses perceptions et interprétations de manière erronée. Ces personnes ne peuvent pas dire ou affirmer, depuis leurs bases colonisées, quelle serait la meilleure méthode pour vivre bien et en paix pour nos peuples. Leurs idées sur le sens du développement et de la plénitude sont les leurs, pas les nôtres, ils ne savent pas que la lignée ancestrale de nos racines, il y a des milliers d'années, est venue sur cette terre, comment faisait-on alors pour vivre bien, comment faisait-on pour vivre en paix ? Littéralement, seuls ceux d'entre nous qui l'ont vécu le savent.

1 "Les non-baptisés" est l'auto-ascription que nous utilisons pour nous reconnaître en tant que peuple autochtone.

2 Mot qui dans notre langue signifie "homme mexicain, qui n'appartient pas à la communauté".

Portrait de l'auteur : Autoportrait

PEUPLE PAI PAI 

Juana Inés Albañez Arballo

Née dans la communauté indigène de Santa Catarina, dans la municipalité d'Ensenada, en Basse-Californie. Fille de Mme Adelaida Albañez Arballo qui fut son professeur et sa référence dans son apprentissage de la langue Pa Ipai. Elle a grandi avec les enseignements de son grand-père Juan Albañez Higuera, qui était le dernier chef traditionnel de la communauté, et a donc pu apprendre les chants et les danses traditionnelles du Kuri-Kuri. Elle a écrit un livre de poèmes en espagnol et dans la langue Pa Ipai ; elle continue à travailler au sein de sa communauté en tant que promotrice de la langue au nom de l'Institut national des peuples indigènes. Elle étudie actuellement le droit à l'Université autonome de Baja California (UABC).

traduction caro

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Peuples originaires, #Mexique, #Pai pai, #Tzam trece semillas, #Paix

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