Mexique : Tzam trece semillas : La paix est le chemin
Publié le 14 Mai 2022
Par Mikeas Sanchez
En mémoire de Bertha Cáceres, Mariano Abarca, Samir Flores et toutes et tous les défenseurs du territoire ensemencé et qu'aujourd'hui est semence.
En ces temps de violences indicibles, de guerres, de trafic de drogue et de féminicides, est-il possible de parler de paix ? Dans une homélie célébrée en décembre 2021 par le curé Marcelo Pérez, ami et mentor spirituel de plusieurs villages où nous avons combattus pour la défense de nos territoires, il a entendu cette phrase : « La paix est nécessaire pour obtenir la justice car les droits de l'homme de tous les temps sont juste, en échange la paix est toujours juste ».
Cependant, parler de paix ne peut se réduire à un simple discours ou à une simple disposition à être contre la violence et la guerre. La paix doit être un mode de vie, comme l'illustre le père Marcelo, qui accompagne les peuples du Chiapas qui luttent contre divers projets extractifs tels que l'exploitation minière, l'extraction d'hydrocarbures et les centrales hydroélectriques. La paix devrait être un mode de vie, même s'il est possible de penser à la paix, de vivre dans des contextes de menaces et d'affectations aux défenseurs du territoire ? Même la vie du prêtre craint un constant danger, avec un prix élevé sur sa tête, en plus de la calomnie et du discrédit de sa récupération morale. La paix est une alternative au bombardement médiatique d'une culture de la violence.
Il est courant de voir des images d'émeutes, d'affrontements et de meurtres sur les médias sociaux, à la télévision et sur d'autres plateformes numériques. Le sang est montré dans le meilleur style des films gore, utilisé comme un aliment pour la morbidité et la curiosité. Ce "naturel" dans l'exposition du crime et de la violence n'est comparable qu'à la manière dont les nouvelles du showbiz sont présentées : d'abord le sang, ensuite le spectacle ou vice versa.
Les images horrifiantes favorisent chez les spectateurs de vidéos une culture d'acceptation de l'horreur, qui ne surprend plus lorsqu'il s'agit de prédictions de mort, de menace de guerre nucléaire ou de dévastation climatique, même si de "vrais scientifiques" s'écrient devant les caméras que, si des mesures urgentes ne sont pas prises, la planète s'effondrera. Malheureusement, c'est le cinéma hollywoodien qui est arrivé en tête, a battu des records au box-office et a emporté l'imagination du public.
Pour convaincre l'homo videns, comme Geovanni Sartori a nommé les sociétés téléguidées, il est essentiel de revenir à l'origine, à l'essence de ce qui est humain, et c'est ici que je partage quelques idées philosophiques du peuple Zoque, qui pourraient bien contribuer aux multiples pensées pacifistes des autres cultures du monde, plutôt que de continuer dans la linéarité de la pensée unique.
Passer de l'homo videns à l'homo somnis
L'abominable guerre en Ukraine est un sujet quotidien, et ce n'est pas étonnant, la menace d'une guerre nucléaire imminente nous terrifie tous, mais les guerres ont toujours existé, des guerres de basse intensité et/ou psychologiques, mais tout aussi désastreuses et inhumaines. Les peuples d'Abya Yala sont également confrontés à nos propres guerres, aux déplacements forcés, aux meurtres et aux disparitions. Aucune vie n'a plus de valeur qu'une autre, mais dans le cas des peuples indigènes, d'autres facteurs entrent en jeu, comme la discrimination et le racisme. D'un côté, on méprise la déclaration de guerre entre pays, mais de l'autre, on naturalise la violence quotidienne, la guerre de tous les jours : femmes disparues, journalistes menacés, défenseurs de la terre assassinés.
La guerre est méprisée, mais la paix est peu promue. Rien qu'au Chiapas, on parle de plus de 14 000 personnes touchées par le déplacement forcé ; tant à Aldama que dans l'ejido Esquipulas Guayabal de Chapultenango, des centaines de familles vivent en état de guerre, sans que l'État mexicain n'intervienne à ce jour. Passer de l'homo videns, hommes et femmes spectateurs de tragédies et amateurs de spectacle, à l'homo somnis, hommes et femmes qui rêvent, qui frémissent à la douleur des autres parce qu'ils sont capables de reconnaître l'espèce à laquelle ils appartiennent, doit être l'objectif des générations futures. La planète Terre est à un point critique, la crise climatique est une réalité irréfutable, même si le sujet d'une gifle aux Oscars a plus d'impact dans les médias que le récent plan présenté par les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) de l'ONU pour éviter les pires impacts de la hausse des températures sur la planète, mais qui se soucie de ces questions ?
Dans le sommeil, personne n'est étranger, nous sommes faits de la même chose : de la chair, des os, des joies, des peines et des souvenirs. Revenir à l'homo somnis, c'est revenir à l'imagination, à l'esprit de service, à l'amour. Cependant, l'imagination, le service et l'amour sont des concepts banalisés dans le cinéma et la musique, tout comme dans la politique et la religion. Revenir à l'imagination, c'est revenir au rêve collectif, laisser l'individualité se tordre devant le feu de la mémoire. Imaginer, c'est se connecter à l'essence de l'être humain, c'est revenir à l'origine. L'homo videns et la génération dite millénaire sont déconnectés l'un de l'autre, non pas séparés de facto, mais orientés vers cette déconnexion. L'imagination est un pouvoir, retirer ce potentiel aux êtres humains revient à les transformer en entités manipulables, incapables d'imaginer l'avenir.
L'importance du rêve réside dans son mystère, dans sa qualité unique d'être intangible et incontrôlable, et l'énigme et la confidentialité ne sont-elles pas des ressources inestimables à notre époque ? Dès la conception de la culture Zoque, les conflits humains naissent et se résolvent pendant le sommeil. Les sages grands-parents ont sauvegardé ce savoir pendant des millénaires et continuent à le perpétuer, en encourageant les enfants à raconter leurs expériences de rêve dès leur plus jeune âge, une sorte de thérapie de groupe où chacun parle de ses peurs et de ses désirs. Et ce ne sont pas seulement les enfants qui racontent leurs rêves, mais aussi les adultes, comme un moyen d'entrer en relation avec le cœur de chacun.
La paix est la voie, mais pour l'atteindre, nous devons rêver collectivement, nous imaginer dans ces collectivités, nous détacher de l'ego et rêver d'une société humaine unique, loin du fanatisme religieux, du consumérisme effréné et de la politique vulgaire. Bien sûr, ce n'est pas une tâche facile, en particulier apprendre à se libérer de l'ego, il y a un besoin humain de reconnaissance, d'admiration et de preuve de valeur. Plus nous faisons du travail communautaire, plus nous nous reconnectons à notre essence primitive. Nous sommes constitués de 60 trillions de cellules, de cœurs et de pensées, de joies et de peines, de plénitude et de déchéance. La paix est le chemin car nous passons par Nasakobajk.
Comme le cœur aimant d'un enfant
-La vengeance ne doit pas toujours s'épanouir,
dit mon grand-père.
Mieux vaut attendre le temps de la terre
qu'avec la lenteur d'un escargot de rivière
révèle ses inconforts intérieurs.
Aucune douleur ne se produit sans le deuil de Nasakopajk.
Aucune larme ne tombe
sans que la Dame de la montagne n'en souffre un peu.
Ne cherches pas la vengeance, la justice à courte vue,
il faut plus de temps à l'aigle pour s'abattre sur la perdrix,
que de temps au chasseur pour tirer une balle.
-Ne poursuis pas la justice de ton cœur malveillant,
dit ma grand-mère.
Attends, attends l'élargissement des racines de la ceiba...
pour atteindre la sagesse,
attends les millions de pas que la fourmi doit faire
pour atteindre le sommet de la colline.
Attends, comme le cœur d'un enfant attend jusqu'à ce qu'il devienne fort.
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Sunopi’apä unes’tzyi’okoy
-Ji’ nhwyiä tä’ jakpa’ kora’ajä-
numpa äj’ atzpä’jara,
Wäpäre’ nhtä’ joka’ nasakopajkijs nhtyosykuy
makapä’ ponyi jojpajk’sokijse
yajk’ kejpapäis ponyi’ponyi nhkyskuy.
Nitumäpä toya’ ji’ syi’unh’nhkäri, nasakopajk toyapäjkpa’.
Nitumäpä jäki’uy ji’ syi’unh’ nhki’eke,
toyapäjkpa’ te’ tzama’yomo’komi.
Uj’ metzu jujtzi’e yajk pakä’ mij’ nhkiskuy, jinhte’ jyiämpäkipä’tiyä’
nhkiäspa’senh’omo tajpi’is te’ jontzyi
pujtpa’ wina’ te’ tujkuyis’mpyiämi.
-Uj’ nhkänatzäyu’ ne’ nhkyisyi’ka’upä mij’ nhtzokoy-,
numpa äj’ tzumayi.
Joka’, joka’ mäja’ajpasenhomo te’ pistinh’ijs wyatzi
wäkä nhkiänukä te’ käsipä’musoki’uy,
joka’ wyjtpa’senh’omo te’ jajtzi’uku
wäkä mujsä nhkyänukä te’ wit’kotzäjk.
Joka’, jyokpajse une’is tzyi’okoyis wäkä’ mpyiämipäkä.
traduction carolita
Mikeas Sánchez
(Ajway, Chiapas, Mexique, 1980).
Poétesse, productrice radio, traductrice, enseignante et promotrice de la santé communautaire. Elle est membre de ZODEVITE (Zoques en défense de la vie et du territoire), du Centre de la langue et de la culture zoque et du Collectif des défenseurs de Nasakobajk. Elle a hérité de la sensibilité poétique de son grand-père Simón Sánchez, chaman, musicien et danseur, de qui elle a appris le rythme et la musicalité des prières traditionnelles. Elle a publié six livres de poésie. Ses travaux les plus récents s'attachent à rendre visible la lutte de la nation zoque pour la défense de son territoire.