L'industrialisation du lithium en Bolivie et la participation sociale

Publié le 7 Mai 2022

En 10 ans, le contrôle social ne s'est pas traduit par l'exploitation des gisements situés dans le Salar de Uyuni. Bien qu'il s'agisse d'un droit établi dans la nouvelle Constitution politique, la consultation préalable n'a jamais été mise en œuvre. Les deux consultations publiques réalisées n'étaient qu'une obligation pour obtenir des licences environnementales. Les communautés indigènes de Potosí demandent à connaître l'impact des bassins d'évaporation, des installations industrielles ou des usines d'approvisionnement en eau. Au-delà des erreurs de mise en œuvre, l'industrialisation échoue parce que le gouvernement du MAS ne favorise pas un espace de dialogue dans lequel tous les acteurs participent à la prise de décision.

Par José Carlos Solón*

Debates Indígenas, 6 mai 2022 - Au cours des années 1980, des études menées en Bolivie ont identifié le Salar de Uyuni comme le plus important gisement de lithium de la planète. À l'époque, le métal le plus léger qui existe est utilisé pour fabriquer de l'aluminium, du verre, des graisses, des lubrifiants, des réfrigérants et, dans une moindre mesure, des piles. Les technologies de stockage de l'énergie venaient d'être développées et les marchés commençaient à s'intéresser de plus près au lithium et à la localisation de ses gisements.

Dans ce contexte, les gouvernements boliviens néolibéraux ont adressé une invitation directe à une entreprise américaine pour exploiter le Salar de Uyuni : Lithco. Ce mouvement a déclenché l'une des plus importantes luttes de résistance et de défense des ressources naturelles du pays. Différents secteurs de la société se sont alliés pour empêcher l'octroi des ressources naturelles du salar : le Comité civique potosinista (COMCIPO), l'Université Tomás Frías de Potosí (UTF) et, en particulier, la Fédération unique des travailleurs paysans de l'Altiplano sud (FRUTCAS). Au final, la lutte populaire s'est soldée par une victoire.

Dès son arrivée au pouvoir, le Mouvement vers le socialisme (MAS) a proposé un modèle visant à mettre fin au pillage des ressources naturelles du pays et à exporter des produits à valeur ajoutée. Dans le premier plan de développement économique et social, la formule suivante a été définie : Propriété souveraine + gestion publique + valeur ajoutée + partenaire stratégique + participation et consultation sociales + harmonie avec la nature + redistribution = nouveau modèle de développement. Si ces sept éléments se sont développés de manière inégale depuis le début de l'industrialisation, la participation et la consultation sociales ont été l'un des éléments les moins respectés.

Au cours des dix dernières années, le processus d'industrialisation du lithium bolivien a démontré les véritables limites de la formule. Elle a généré une dette interne de 881 millions de dollars : du jamais vu dans l'industrie minière bolivienne. En revanche, les taux de production et de génération de revenus qui avaient été établis au départ, en 2008, n'ont pas été atteints. Alors que le gouvernement du MAS prétend qu'il profitera bientôt de l'eldorado dormant qui se trouve dans les salines d'Uyuni, il semble courir après un mirage d'abondance, où la souveraineté sur ses ressources est remise en question.

Participation sociale et lithium

La participation sociale est une question centrale de la Constitution politique de l'État plurinational de Bolivie adoptée en 2009. La loi 341 sur la participation et le contrôle social, adoptée en 2013, prévoyait la création d'"espaces permanents" de participation et de contrôle social dans les entreprises publiques. Ces espaces devaient être mis en œuvre dans l'entreprise publique chargée du processus d'industrialisation : Yacimientos del Litio Boliviano (YLB). Toutefois, cela ne s'est jamais produit dans la pratique.

Comme dans d'autres entreprises publiques, la participation sociale à YLB a été réduite à des audiences publiques de "responsabilité", qui n'ont lieu qu'une fois par an. Les présentations comportent généralement entre 10 et 20 diapositives montrant quelques données (sans développement ni analyse) sur l'exécution du budget, les crédits, et parfois la production et les ventes. En bref, les mécanismes de participation et de contrôle social établis dans la Constitution et la loi ne sont pas appliqués dans l'entreprise qui gère le processus d'industrialisation du lithium.

D'autre part, dans le cadre des études d'évaluation des incidences sur l'environnement, deux consultations publiques ont été organisées dans le but d'obtenir des licences environnementales pour les usines industrielles de chlorure de potassium et de carbonate de lithium. La première a eu lieu en 2012 et était en fait un simple événement informatif où certaines préoccupations des organisations de la région ont été exprimées. Le procès-verbal ne compte que trois pages et n'explique pas l'impact des bassins d'évaporation industriels. En revanche, l'entreprise publique a la possibilité d'indiquer qu'elle aura besoin de 20 mètres cubes pour chaque 100 tonnes de chlorure de potassium produites et que les sources d'eau seront San Jerónimo (eau douce) et le Río Grande (eau saumâtre).

Le deuxième processus de consultation publique a eu lieu en 2018, en vue de la construction de l'usine industrielle de carbonate de lithium. L'événement a été suivi par 152 personnes et le procès-verbal est encore plus concis que le précédent : il ne fait que deux pages. Parmi les personnes présentes figuraient des députés nationaux, des maires, des corregidores et des membres des communautés touchées : Río Grande, Llica, Colchani, Pampa Grande, Colcha K, San Pedro de Quemes, Villa Mar, Zoniquera, Julaca, Pozo Cavado et Culpina K.

Les préoccupations exprimées par les participants étaient principalement liées à la consommation d'eau, à la contamination que l'extraction pourrait générer, et aux sources de travail pour les habitants de la région. Cependant, dans la systématisation de l'entreprise qui a mené le processus de consultation, un grand nombre de compliments à l'initiative du gouvernement ont prévalu. Par conséquent, il est pertinent de s'interroger sur l'intention réelle de ce processus de consultation et de le comprendre, en fait, comme une simple exigence de validation du projet d'industrialisation du gouvernement.

Enfin, dans ce procès-verbal de 2018, la clarification de la nature de la Consultation publique est frappante : un mécanisme de participation citoyenne qui se distingue du processus de Consultation par consentement libre, préalable et éclairé, qui est un droit des peuples autochtones. De cette façon, les fonctionnaires de Yacimientos del Litio Boliviano ont souligné les caractéristiques de la Consultation Publique sans donner plus d'explications ou de justifications sur les raisons pour lesquelles un processus de consultation préalable n'a pas été réalisé comme l'exige la Constitution Politique de l'Etat.

Un droit constitutionnel ignoré

Au lieu d'informer en profondeur et de répondre aux préoccupations des représentants et des autorités des populations locales, les deux consultations publiques ont été menées dans le seul but de se conformer à l'exigence formelle d'obtenir un permis environnemental. Il est important de souligner que, dans l'État plurinational de Bolivie, la consultation pour le consentement préalable, libre, éclairé et de bonne foi des peuples autochtones a un statut constitutionnel et son application doit être mise en œuvre avant tout type d'impact sur les communautés. Cependant, à ce jour, aucun processus de consultation n'a été mené avec les peuples autochtones qui pourraient être affectés par les bassins d'évaporation, les installations industrielles ou les usines d'approvisionnement en eau.

Les organisations affiliées à la FRUTCAS ont soulevé la demande de "consentement" lors de leur congrès d'unité tenu les 21 et 22 décembre 2019, alors que le MAS n'était plus au gouvernement. Sur le point des ressources d'évaporation du grand Salar de Uyuni, le vote résolutif de la Commission des ressources naturelles indique : " [Il faut] rappeler au gouvernement que toutes les mesures législatives et administratives qui affectent les territoires indigènes, en particulier les ressources d'évaporation du grand Salar de Uyuni, doivent être encadrées par la Constitution politique de l'État et le droit international. Dans ce contexte, nous demandons l'application [des] droits au consentement libre, préalable et éclairé aux habitants du sud-ouest de Potosí".

 

Dans le processus d'industrialisation du lithium, la participation, le contrôle social et la consultation du consentement libre, préalable et éclairé ont été inexistants. Il est nécessaire d'analyser pourquoi un processus qui a commencé par une large participation sociale a fini par oublier de promouvoir l'intervention des organisations sociales. Pourquoi le gouvernement du MAS n'a-t-il jamais mené un processus de Consultation de Consentement Libre, Préalable et Informé avec les peuples indigènes et les paysans qui pourraient être affectés ? Est-il possible de construire un nouveau "modèle de développement" sans une participation sociale effective ?

La Bolivie croit au processus d'industrialisation du lithium depuis plus d'une décennie. Cependant, au-delà des erreurs d'architecture et de mise en œuvre, l'industrialisation a échoué parce que le gouvernement du MAS n'a pas promu un espace de dialogue dans lequel tous les acteurs, en particulier les autochtones de la région, peuvent participer à la prise de décision. Les outils d'une participation sociale efficace n'ont pas été exploités, pas plus qu'ils n'ont généré davantage de revenus pour le pays. En 2022, de nouvelles entreprises se sont intéressées au salar d'Uyuni et à deux autres salars : Coipasa et Pastos Grandes. Cette fois, le gouvernement de Luis Arce Catacora a lancé un appel d'offres. Rien ne semble indiquer que les populations locales de la région ont été consultées.
 


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*José Carlos Solón est sociologue titulaire de deux maîtrises : science politique à Sciences Po Paris et études environnementales à l'École des hautes études en sciences sociales. En 2022, il a publié son livre Espejismos de abundancia. Los mitos de la industriización del litio en el Salar de Uyuni.

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Source : Publié dans le bulletin mensuel de Debates Indígenas pour le mois de mai 2022. Thème : Affaires courantes https://debatesindigenas.org/notas/160-industrializacion-del-litio-bolivia.html

traduction caro d'un article paru sur Servindi.org le06/05/2022

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