Des langues et des hommes : Les langues pano-tacananes
Publié le 6 Avril 2022
Une des dernières Pacahuara
Ce tronc linguistique de la selva péruvienne, bolivienne et brésilienne se divise en deux groupes , pano et tacana. Presque toutes les classifications modernes sont d’accord pour réunir les deux groupes de langues pano et tacana sous le même tronc mais la possibilité que les correspondances lexicales assez nombreuses entre ces deux groupes soient dues à un contact aréolaire ancien suggéré par les correspondances morphologiques qui sont beaucoup plus faibles que les correspondances lexicales.
Les pano formaient un bloc réparti dans tout le long de la frontière entre le Pérou et le Brésil et autrefois aucune enclave indigène d’autres familles linguistiques se trouvait sur leur territoire. Ce territoire semble avoir été occupé en permanence depuis près de 2000 ans malgré les innombrables pressions extérieures (tupi, arawak, andine, coloniale). La similitude entre les diverses langues pano est aussi frappante que leur unité géographique. C’est sans doute l’une des clés de leur cohésion.
Du point de vue culturel, la similitude est bien présente également, que ce soit l’habitat dans de vastes maisons communes nommées malocas, l’alimentation végétale basée sur le manioc doux, la banane plantain et la valorisation annuelle du maïs, que ce soit la conservation de mâchoires comme trophées de chasse, l’endo- cannibalisme funéraire, le dualisme asymétrique, l’utilisation du tabac au lieu de l’ayahuasca comme hallucinogène chamanique et l’emploi de venin de crapaud kampo comme stimulant cynégétique, que ce soit l’utilisation de masques faciaux faits avec des calebasses, le système rituel centré sur l’initiation des jeunes de l’un ou de l’autre sexe, que ce soit la cohésion stylistique de l’ornementation des objets et des corps......
Je comptabilise dans la classification ci-dessous 25 langues pano et 6 langues tacana vivantes.
Un chiffre de 51.000 locuteurs /2009) en tout est reporté sur wikipedia. Je reste de mon côté prudente dans le cas des langues qui sont dites éteintes.
Ce groupe de langues regroupe quelques peuples qui vivent en isolement volontaire (on les appelle PIACI au Pérou) au sein de la forêt amazonienne. Ce sont des peuples très vulnérables d’autant que l’offensive sur les terres amazoniennes et leurs ressources est une cruelle réalité dans tous les pays concernés et que rien n’est fait actuellement de la part des états pour protéger ces minorités.
pano en vert foncé et tacana en vert clair De Davius - Trabajo propio, Dominio público, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6859335
Classification inspirée de Loos (1999 :229)
Dans cette classification il y a 3 groupes principaux et un groupe de langues non regroupées.
Il n’y a aucune sous-division.
SOUS-GROUPE YAMINAHUA
- Yaminawa/Yaminahua – 1390 locuteurs (2001/2003), Pérou : Ucayali, Loreto, Brésil : Acre, Bolivie : Pando
- Amawaca/Amahuaca, 220 locuteurs (1995/2000), Pérou, Amazonas
- Cashinawa/Huni Kuin/Kaxinawa/tuxinawa, 2000 locuteurs (2003), Pérou, Brésil Amazonas
- Sharanawa/shanindawa/chandinawa/inonawa/marinawa, 453 locuteurs (2000/2007) Pérou : Ucayali
- Yawanawa , Brésil, Pérou, Bolivie, ne parlent plus leur langue
- Chitonawa/murunawa , peuple isolé, Bolivie/Pérou
- Yoranawa/nawa/parquenawa, peuple isolé, Pérou : Ucayali
- Moronahua/moronawa/nishinahua, Pérou
- Mastanawa, Pérou : Ucayali
- Shawanawa/arara shawadawa* : 7 locuteurs, Brésil, Acre
- Shanenawa/shaninawa/xaninaua*, quelques locuteurs âgés, Brésil, Acre
SOUS-GROUPE CHACOBO
Les garçons Katukina pano dans la TI du rio Campinas IT. Photo : Edilene Coffaci de Lima, 1998
- Chácobo (chákobo), 550 locuteurs (2000), Bolivie : Beni dont un groupe isolé
- Arazaire langue éteinte
- Atsawaca (yamiaca/atsawaka) langue éteinte
- Yamiaka langue éteinte
- Katukina/canannawa/wanninawa, 315 locuteurs (1998), Brésil : Acre
- Pacawara/pacahuara/pacaguara, 17 locuteurs (2000), Bolivie Beni
SOUS-GROUPE CAPANAWA
- Capanawa/kapanawa/pahenbabeko, 390 locuteurs (2000), peuple isolé, Pérou/Loreto
- Shipibo/konibo/xetebo (shipibo-conibo, shipibo-konibo), 30.000 locuteurs (2008) Pérou, Ucayali, Loreto
- Remo (sakuya/kukini) langue éteinte
- Marubo (marabo) 1040 locuteurs (2000), Brésil : Amazonas
- Wariapano/panobo/pano langue éteinte
- Isconawa/isconahua/iscobakebo, 82 locuteurs (2003) Pérou, Ucayali
- Canamari/taveri/matoinahã/kanamari, langue éteinte
- Panobo langue éteinte
- Tuxinawa (tushinawa) langue éteinte, la langue était parlée à Acre, Brésil
- Parannawa langue éteinte
- Nukini (est-ce la langue kukini ou remo ?) Brésil : Acre
LANGUES NON REGROUPEES
- Cashibo/cacataibo/kakataibo/comabo , 5000 locuteurs (1999), Pérou : Huanuco, Ucayali
- Culino (kulino, kulina, curuça) 32 locuteurs, Brésil, Amazonas
- Karipuna, Brésil : Rondônia, langue éteinte
- Kaxariri /kasharari, 270 locuteurs (2001), Brésil : Rondônia
- Matsés/mayoruna/matis. Pérou Amazonas
- Matis* 320 locuteurs brésil Amazonas (leur langue est-elle une variante de matsés ?)
- Nokamán/nocamán langue éteinte
- Poyanawa/puyanawa/puinaua, Brésil : Acre, 12 locuteurs
- Txinawa/shipinawa langue éteinte
- Korubo*, peuple isolé, Brésil, Amazonas (leur langue est-elle une variante de matsés ?)
- Sensi (tenti, mananahua) langue éteinte, Pérou : Ucayali
- Kapishto*
- J’ai rajouté ces langues* dans cette classification.
TACANA
situation du peuple Araona
- Araona
- Capachene (kapaheni) langue éteinte
- Caviña
- Caviñeno
- Maberano
- Machui
- Arasa
- Chirigua
- Chumana
- Maropa
- Sapibocona
- Guariza
- Tacana (tupamasa/takana)
- Ayaychuma
- Babayana
- Chiliuvo
- Idiama (ixiama)
- Pamaino
- Pasaramona
- Saparuna
- Siliama
- Tumupasa ou maraconi
- Toromona
- Uchupiamona
- Yabaypura
- Yubamona
- Tiatinagua (Tambopata-Guarayo)
- Guacanahua ou guarayo
- Chama
- Baguaja
- Chunchu
- Yamaluba
- Echoja
- Huanayo
- Kinaki
- Mokino
Ou Version simplifiée
TAKANA
- Ese’eja (guarayo, chama, tiatinagua, huarayo, guacanawa, chuncho, tatinawa, ese exa) 1867 locuteurs, Bolivie La Paz, Beni, Pando, Pérou : Madre de Dios, Puno
- Caviñena (kavinenya, caviñeno), 601 locuteurs, Bolivie, Beni
- Takana :
- Takana/tacana, Bolivie : La Paz, Beni, Pando, 1821 locuteurs
- Reyesano = maropa, san borjano, 12 locuteurs Bolivie Beni
- Araona = carna, cavina, 111 locuteurs, Bolivie La Paz
- Toromona, Bolivie, Pando, peuple isolé
cavineños pêchant dans le rio Beni
Suppositions de relations avec d’autres groupes de langues
Greenberg (1956) suggère que le tronc linguistique pano-takana fait partie du phylum macro-takana auquel appartiennent en plus des langues de ce tronc, les groupes mosetén, mataco, luel, vilela, maskoy, charrúa, opaiéguaicurú.
Swadesh (1959) suggère que ce tronc linguistique faisait partie de son groupe W7 comprenant le quechua, l’aymara, l’uru-chipaya, le mosetén, l’ona-tehuelche.
Migliazza (1978) a étudié les liens possibles entre les 2 troncs linguistiques pano-takana et yanomami, dont les résultats n’ont pas été confirmés.
Fabre (1991) a étudié les liens possibles entre les deux troncs pano-takana et uru-chipaya qui semblent refléter un état ancien de contigüité aréolaire, excluant une relation génétique comme peu probable.
Pour ce tronc linguistique nous avons la date lexicostatistique de 47 siècles minimum de divergence fournie par Swadesh (1959).
Wistrand-Robinson (1991) émet l’hypothèse d’une relation génétique entre les langues pano et la souche uto-aztèque. Il propose une date de séparation uto-aztèque/pano totalement inacceptable historiquement et linguistiquement (1650 ans selon l’auteur, 337 après JC).
Les travaux de Key et Clairis (1978) montrent un réseau de connexions lexicales entre la kawésqar et les langues du groupe chon s’articulant avec un autre réseau entre les groupes chon et maco-pano-takana comprenant 2 langues isolés du sud bolivien, le mosetén et le yuracaré. Ce qui selon les auteurs suggèrerait une filiation génétique.
Key (1978) dans une autre étude propose l’inclusion du mapudungun, une langue qui pour Stark est apparentée génétiquement aux langues maya, uru-chipaya et l’altiplano bolivien et yunga (mochica) de la côte nord du Pérou. La conclusion tirée par cette auteure est non convaincante et se méthodologie sévèrement critiquée.
sources : wikipedia en espagnol, diccionario etnolinguistico y guia bibliografica de los pueblos indigenas sudamericanos de Fabre, El sello de los antepasados de Philippe Erikson,