Colombie : Lettre à Iván Duque sur le rapport Hunger Hotspost (2022) - FAO/PAM
Publié le 10 Février 2022
par comunicaONIC dans Comunicados ONIC 08 février 2022
Bakatá, 08 février 2022
Docteur
IVÁN DUQUE MÁRQUEZ
Président de la République de Colombie
Objet : Demande de résolution urgente des revendications des peuples indigènes concernant leur autonomie alimentaire et le respect des accords du Plan national de développement 2018-2022.
L'Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC), en tant qu'autorité nationale pour la gouvernance indigène, appelle à la transparence et au dialogue horizontal afin d'apporter une réponse immédiate aux problèmes nutritionnels et à l'atteinte à l'autonomie alimentaire des peuples indigènes de Colombie, en particulier les peuples plurinationaux Yukpa et Wayuu.
Les façons dont les peuples autochtones comprennent et conceptualisent les affections de la santé du corps ne sont pas détachées de la compréhension de la santé des territoires. Pour comprendre les afflictions et/ou les déficiences du corps, il faut les comprendre en relation avec le territoire, pour diagnostiquer le corps, il faut diagnostiquer le territoire : soigner l'un implique de soigner l'autre. Pour les peuples indigènes, la question de la santé du corps/territoire est vaste et diverse, mais nous sommes tous d'accord pour dire que la santé humaine ne peut être séparée de la santé environnementale.
Pendant des décennies, l'Occident a conceptualisé de manière anthropocentrique le binarisme nutrition/malnutrition, cette dernière étant souvent appelée faim, ou plus récemment insécurité alimentaire. Parallèlement, ils ont créé des indicateurs et des normes mondiaux ambigus pour mesurer ces éléments et définir les besoins d'un corps en termes de calories, de vitamines, de minéraux, de poids, de taille, etc. Cette compréhension du corps a contribué à l'expansion du régime alimentaire des entreprises : un jour, elles publient un rapport sur les besoins des personnes affamées et le lendemain, les grandes industries conçoivent des produits enrichis, des paquets d'aide alimentaire ou agricole, des engrais, des semences génétiquement modifiées, etc., tout cela pour traiter/guérir ce qu'elles ont diagnostiqué auparavant, pour intervenir sur les corps et pénétrer dans les territoires, pour transformer les modes de vie, les modes d'alimentation, les modes d'être.
Au fil du temps, à la suite de nos luttes et de nos adaptations à la culture nationale, nous avons appris à dialoguer avec les manières dont l'Occident comprend la santé et la nutrition. A plusieurs reprises, nous avons reçu dans nos territoires des fonctionnaires qui mesurent nos corps et nos systèmes alimentaires selon leurs normes, dans presque tous les cas des paramètres et des protocoles nous ont été imposés. Nous avons demandé à plusieurs reprises, même devant les Hautes Cours et leur jurisprudence, que soient conçues et mises en œuvre de véritables approches différenciées permettant un dialogue interculturel/inter-scientifique horizontal et respectueux, afin que les politiques publiques en matière d'alimentation et de nutrition ne continuent pas à privilégier le savoir occidental comme seul modèle légitime pour traiter nos problèmes alimentaires.
Nous ne sommes pas des peuples de minutes et de paquets nutritionnels, nous sommes des peuples de récoltes, de gestion biocentrique des écosystèmes alimentaires, nous sommes des peuples de rivières, de déserts, de jungles, nomades, semi-nomades, ruraux, urbains, de plages, de landes ou de hauts plateaux. Dans nos lois d'origine, nous avons nos propres indicateurs pour gérer la santé de notre corps au milieu des transformations environnementales, géographiques et historiques complexes que nous avons vécues. Nous avons fait d'énormes efforts d'autonomie et d'agence pour faire face aux dommages causés à la nature qui nous ont été imposés.
Malheureusement, les discours sur la faim et la malnutrition créés par l'Occident se sont matérialisés dans nos corps/territoires. Pour beaucoup de nos peuples, la faim est déjà une réalité créée. C'est pourquoi, au-delà d'entrer en polémique avec les méthodologies du récent rapport de la FAO et du PAM (Hunger Hotspost, 2022), et de demander au gouvernement du président Iván Duque d'accepter ce rapport, nous l'exhortons à RESPECTER nos modes de vie et notre diversité. Nous exigeons la RECONNAISSANCE de nos méthodes de mesure, de représentation et de conceptualisation de la santé et du bien-être des corps/territoires.
Pendant que la FAO, le PAM et le gouvernement discutent pour savoir s'il faut nous mettre ou nous retirer de leurs cartes de la faim, nos enfants continuent de mourir et nos territoires continuent d'être pillés, nos rivières polluées, l'Amazonie continue d'être exploitée, pillée et brûlée sans discernement ; dans le Pacifique, des communautés sont déplacées et assassinées.
Les analyses présentées par la FAO et le PAM dans le rapport Hunger Hotspost (2022) ont une portée globalisante et homogénéisante, et ne prennent pas en compte les particularités locales de nos territoires. Nous avons exprimé notre volonté d'articuler avec ces agences du système des Nations Unies et de mettre à leur service notre Système de Suivi Territorial (SMT-ONIC), afin d'obtenir des instruments qui permettent une meilleure et plus grande représentativité statistique qui se traduira par des bénéfices réels pour nos peuples. Ce n'est plus le moment de traiter les gens comme des mineurs alors qu'il s'agit d'identifier les effets sur la bonne vie de nos peuples. Nous avons besoin d'un travail articulé, horizontal et respectueux pour avancer dans la construction de nos propres cartes, indicateurs et outils statistiques.
Au cours de ces années, nous avons fourni des efforts et du dévouement au gouvernement pour concevoir et conclure des accords sur les politiques d'alimentation et de nutrition pour les peuples indigènes, qu'il a acceptés et souscrits dans le plan de développement national ; cependant, à ce jour, ces accords n'ont pas été respectés :
1. L'accord F42 du plan de développement prévoit la construction d'un module indigène de l'enquête nationale sur la situation nutritionnelle (ENSIN). Il n'a pas été mis en œuvre.
2. Que les résultats (et surtout les méthodologies) des Études nationales sur la situation alimentaire et nutritionnelle des peuples autochtones (ENSANI), que l'ICBF réalise depuis 2012 pour les peuples en danger d'extinction physique et culturelle, sans impliquer la Table permanente de consultation nationale des peuples et organisations autochtones (MPC), soient publiés de manière transparente.
3. À ce jour, l'accord C4 du plan de développement, qui prévoit l'élaboration d'un chapitre autochtone pour le plan alimentaire national, n'a pas été respecté. Les 11 agences gouvernementales qui composent la Commission intersectorielle pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle (CISAN) ont à plusieurs reprises manqué de respect au dialogue avec la Table de concertation permanente (TCP), en particulier l'ICBF et le ministère de l'Agriculture, dont l'absence et l'omission ont été absolues. Le CISAN ne dispose d'aucun rapport sur la mise en œuvre des plans FNS au niveau local, ni sur la volonté ou les actions d'articulation avec les plans de vie des peuples autochtones. Nous demandons l'exécution rapide de l'accord C4. Qu'une sous-commission indigène de la CISAN soit formée pour concevoir et surveiller la mise en œuvre de la politique alimentaire directement avec nos peuples, au niveau le plus local de nos territoires. Poursuivre la pratique gouvernementale consistant à injecter des ressources dans le tonneau sans fond du discours de la faim, qui depuis des décennies est devenu un état d'exception permanent (dans notre pays, celui qui possède la plus grande richesse naturelle et la plus grande biodiversité au monde), qui conduit beaucoup de nos peuples à l'extermination physique et surtout à l'extinction culturelle.
4. Nous exigeons une solution immédiate à la crise migratoire humanitaire à laquelle sont confrontés nos peuples, en particulier les plurinationaux Yukpa et Wayuu (Sentencia T 302 DE 2017), et les Emberá qui ont été déplacés vers les villes, y compris la capitale. Nous exigeons le respect de la sauvegarde des peuples autochtones conformément aux différentes ordonnances de suivi de la Cour constitutionnelle. Ce gouvernement doit assumer ses responsabilités face aux crises humanitaires et ne pas laisser l'aide alimentaire d'urgence aux mains de l'aide internationale. Nous continuerons à soutenir le PAM et les autres agences multilatérales qui ont réussi à atténuer les crises, mais nous avons besoin de toute urgence d'une politique frontalière étatique sérieuse, responsable et non idéologisée. Les territoires ancestraux des peuples plurinationaux ont été limités par les frontières actuelles, et il est nécessaire de reconnaître cette situation et de prendre des mesures de politique migratoire conformes à ce statut des peuples frontaliers.
5. Il est urgent que le ministère de l'agriculture assume son rôle de stimulation d'une agriculture à faible émission de carbone, que nous concevions des actions concertées pour l'échange d'aliments en circuits courts entre les paysans et les peuples autochtones et une catégorisation des besoins d'aide d'urgence. Ces derniers alors que les transformations structurelles permettant la paix et le respect de l'autonomie alimentaire des peuples sont en cours de réalisation. Il n'est plus tolérable que depuis plus de 70 ans, la seule option consiste à apaiser la faim avec la Bienestarina (un produit ultra-transformé/fortifié fabriqué principalement à partir de soja et de produits agricoles génétiquement modifiés).
6. Nous avons besoin et exigeons des solutions dignes pour faire face aux ravages des discours sur la faim et la guerre, car tous deux font partie de la même racine coloniale qui s'est matérialisée sous la forme d'un paysage malade dans nos corps/territoires. Nous devons renforcer nos économies locales, la production d'aliments sains, nous ne pouvons et ne voulons plus dépendre des colis alimentaires d'urgence qui perpétuent la pauvreté, la misère, l'indignité, et qui sont devenus notre pain quotidien.
7. Il est impératif de remplir le mandat constitutionnel du droit à la paix. Dans l'accord de paix dont a hérité le gouvernement, le point 01 a convenu de la construction d'un système de garantie progressive du droit humain à l'alimentation et de la reconfiguration de la Commission intersectorielle pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle (CISAN). Cet engagement exige un respect total.
Il s'agit d'une décennie décisive pour faire face à la crise environnementale et climatique ; les peuples autochtones apportent des solutions et ont conservé ce que le monde reconnaît désormais comme stratégique : les forêts et la diversité biologique. Les peuples indigènes savent se nourrir et produire sans polluer ; c'est le chemin inverse du discours de la faim et de la logique de la guerre. Nous demandons au gouvernement d'honorer la Constitution et les plurivers qui coexistent dans ce pays.
Cordialement :
Le Conseil Majeur de Gouvernement de l'ONIC.
Copie : Luis Guillermo Guerrero Pérez (Président de la Cour constitutionnelle), Daniel Palacios (Ministre de l'Intérieur), Lina Arbeláez (Institut colombien du bien-être familial, Secrétariat technique de la CISAN), Rodolfo Enrique Zea Navarro (Ministre de l'Agriculture, Président de la CISAN), María Victoria Angulo (Ministre de l'Education), Mireia Villar Forner (Coordinatrice résidente des Nations Unies en Colombie), Pedro Medrano (Directeur régional du PAM).
traduction caro d'un communiqué paru sur le site de l'ONIC le 08/02/2022
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ONIC - Carta a Iván Duque sobre el informe Hunger Hotspost (2022) - FAO/PMA
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