Chili : Le devoir de décoloniser la politique : l'urgence d'un nouveau paradigme pour la délibération dans la constituante

Publié le 2 Septembre 2021

31/08/2021
 

Nous décoloniser nous donne la force de comprendre ce qui est antérieur au modèle qui nous a apporté les problèmes sociaux que nous avons et pourquoi nous avons besoin d'une nouvelle constitution. Qu'y avait-il avant le néolibéralisme ? Que pourrons-nous créer en nous comprenant en tant que peuple décolonisé ?


Par : Natalia Contreras Quiroz, École d'éducation en histoire et géographie, Faculté d'éducation, Université catholique Silva Henríquez ; et David Román Soto, Département d'éducation différentielle, Facultés de philosophie et d'éducation, Université métropolitaine des sciences de l'éducation.

Début août, sur le réseau social Twitter, la présidente de la Convention constitutionnelle et représentante du peuple mapuche, Elisa Loncón, a invité l'ancienne ministre de l'éducation, pinochétiste et leader de la droite chilienne, Marcela Cubillos, à se décoloniser. Plus précisément, ses mots étaient : "Analyse limitée, Marcela. Je vous invite à lire et à vous décoloniser en pratique afin de ne plus voir l'autre comme une menace pour vous".

Considérant que la nation chilienne est composée d'une culture métisse et diverse, nous pensons qu'il est nécessaire de rappeler que nous avons une histoire de colonisation qui a impliqué des actions d'acculturation et d'assimilation culturelle, et qui n'a pas pris fin avec le processus d'indépendance du pays, au contraire, elle s'est approfondie et consolidée après des années de gouvernements oligarchiques.

Cela est devenu évident avec les échanges d'opinions qui ont surgi dans l'installation de la Convention constitutionnelle, qui d'une manière ou d'une autre montrent que le comportement hégémonique des représentants du pouvoir de la classe politique chilienne est encore latent. Puisque nous sommes au milieu d'un processus clé pour transformer notre système démocratique élitiste en un système interculturel et inclusif, nous avons voulu contribuer à cette discussion en réfléchissant sur le devoir de décoloniser la politique.

Nous sommes un peuple majoritairement métis, qui a subi les effets d'une culture coloniale dans le passé et d'une culture néolibérale dans le présent. Ces phénomènes ont ségrégué, exclu et exploité notre société, sa culture, son économie et même ses droits fondamentaux, d'où la nécessité manifeste de nous décoloniser, car, tout comme la conscience de classe existe, nous développons aujourd'hui de plus en plus une conscience de colonisés.

Lorsque nous parlons de culture coloniale, nous le faisons à partir de l'historicité du concept et aussi de son expression en tant que vision contemporaine et néolibérale de l'autre, qui, comme le souligne Elisa Loncón, est considéré comme une "menace". Dans la perspective coloniale, cet autre est une construction de la représentation qui est assimilée aux structures de domination. Le civilisé, l'occidental, l'oppresseur, celui qui appartient à la culture hégémonique regarde l'autre, crée une vision de l'autre, dans l'intention de gouverner, de subjuguer, d'exploiter et de faire disparaître tout ce qui pourrait contredire l'ordre du système de domination. C'est ainsi que la construction de la réalité qui est faite de l'autre s'impose avec tant de force que l'autre la suppose, l'intègre et l'accepte. Telle est l'importance de l'invitation de la convention Mapuche, qui non seulement met en évidence le regard colonial de l'ancien ministre de l'éducation, mais lance également un appel à d'autres personnes qui ont été colonisées et qui sont conscientes de cet ethos social. Un appel que nous devons nous approprier pour ne plus naturaliser les relations de hiérarchie et d'infériorité et, au contraire, pour nous donner les moyens de lutter pour la justice sociale.

Le terme de décolonisation naît d'une réflexion sur la compréhension de ce que nous sommes en tant que peuple latino-américain, à partir des origines de la modernité. Dans le contexte de la modernité, la colonisation apparaît avec la "découverte et la conquête" de l'Amérique en 1492, dans laquelle, dans une perspective eurocentrique, le monde conquis émerge pour la connaissance globale et son exploitation. La modernité se développe sous l'aile des Lumières, plaçant l'être humain blanc au centre pour la cooptation du pouvoir, de la connaissance et du capital. En ce sens, le processus de colonisation a été fructueux dans notre région pour deux raisons : la capacité de l'homme européen à assimiler les peuples à partir de sa propre vision et du déploiement des armes ; et la réinterprétation de la cosmovision indigène, subjuguant la population comme conséquence de l'évangélisation. Les effets de ce processus pour le territoire latino-américain ont été négatifs ; le développement de la raison européenne a signifié la déprédation culturelle et le pillage économique. C'est pour cette raison que la colonisation, dans une perspective latino-américaine, doit être éradiquée de nos manières de construire la société, la connaissance, la vie politique et culturelle.

L'une des tensions les plus importantes entre le regard colonisateur et l'expérience de ceux qui prônent la décolonisation est la vision du monde. Il existe une vision du monde dans laquelle nous faisons partie de la nature, du point de vue des nations indigènes et latino-américaines, l'être humain n'est pas le centre de l'univers, il est une partie de l'univers qui coexiste et dialogue avec la nature. Il en va autrement dans le monde eurocentrique, surtout depuis la modernité colonisatrice, où l'être humain est au centre de la construction du savoir (humanisme) et de la réalité, de la géopolitique, de l'économie et de la société. Dans ce scénario, et fortement sous l'influence actuelle du néolibéralisme, la nature est une machine que nous faisons fonctionner, une idée qui est très éloignée chez les peuples natifs, puisqu'ils ne considèrent pas la nature comme une machine, mais comme une source de fertilité, même comprise comme une mère, et la mère n'est pas exploitée, mais protégée et préservée non seulement en termes concrets, mais aussi en termes symboliques.

Les grands alliés du néolibéralisme sont le consumérisme et l'individualisme, c'est pourquoi décoloniser signifie intégrer l'idée de coopération. Il est nécessaire de construire le regard à partir de l'œil de celui qui regarde, de la position que chacun a, du contexte socioculturel que chacun possède. A partir du monde latino-américain, nous pouvons nous demander ce qui se passe avec le monde extérieur selon nos propres pensées. Les points de vue des peuples sont déterminants pour la construction dynamique et socioculturelle que chaque peuple décide d'avoir et qui n'est pas soumise ou subordonnée, mais dépend des caractéristiques de ces peuples.

Mardi 18 août, une partie de la droite, représentée par 15 électeurs (RN, indépendants de droite et certains d'EVOPOLI), a affirmé dans une lettre ouverte la nécessité de participer aux retrouvailles entre les peuples indigènes et le Chili. Ils maintiennent l'existence d'une dette historique avec les peuples indigènes, en vogue depuis 30 ans, depuis le retour à la démocratie. Cependant, la droite chilienne n'a systématiquement pas fait partie des solutions pour les peuples indigènes, mais plutôt elle fait constamment partie du problème, puisque le développement du capital oligarchique dans les régions où vivent les nations indigènes est basé sur l'exploitation de la terre et des personnes, de sorte qu'un climat de compréhension sera possible, si seulement l'oligarchie rend aux peuples leur possession territoriale et ne reste pas seulement dans les discours de bonne éducation pour continuer à boycotter le processus constituant et transformateur que nous sommes en train de réaliser.

Nous décoloniser nous donne la force de comprendre qu'il y a quelque chose d'antérieur au modèle qui nous a apporté les problèmes sociaux que nous avons et pour lequel nous avons besoin d'une nouvelle constitution. Qu'y avait-il avant le néolibéralisme ? Que pourrons-nous créer en nous comprenant comme un peuple décolonisé ?

Nous sommes convaincus qu'il est urgent de nous décoloniser car cela signifie valoriser, selon les mots d'Elicura Chihuailaf, la "belle morenidad" des peuples originels et de notre société métisse.

traduction carolita d'un article paru sur Mapuexpress le 31/08/2021

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