Mexique : Comment la défense d'une rivière a ouvert la voie à l'autonomie des autochtones
Publié le 21 Août 2021
La lutte contre un mégaprojet hydroélectrique a réuni les peuples Náyeris, Wixárikas, Tepehuanes et Mexicas de la Sierra del Nayar, dans l'ouest du Mexique. Trois ans après avoir empêché la construction du barrage de Las Cruces, l'autonomie de Presidio de los Reyes semble être un rêve toujours plus proche.
Comment la défense d'une rivière a ouvert la voie à l'autonomie dans la Sierra Nayar
Par Alejandro Ruiz*
19 août 2021 - Nous montons et, aussi contradictoire que cela puisse paraître, l'humidité augmente. Les collines, qui semblaient éloignées de la ville, deviennent de plus en plus petites.
Nous entrons dans la Sierra del Nayar, et le professeur Pedro, prudent au volant alors qu'il contourne les courbes de la région, nous dit : "c'est la route que prennent certains jeunes pour aller à l'école à Tepic".
D'un côté, les eaux du rio San Pedro Mezquital guident notre chemin, et après avoir traversé quelques villages remplis d'étals d'ananas et de maïs, nous arrivons à Presidio de los Reyes, une petite ville d'un peu plus de 1000 habitants située dans la municipalité de Ruiz, où les indigènes Coras construisent et luttent pour leur autonomie à travers l'éducation, la culture et les traditions.
"Beaucoup d'anthropologues et de gens des universités viennent ici, parce qu'ils trouvent très intéressante la façon dont nous vivons ici à Presidio, ils disent que c'est interculturel", dit Pedro en riant, car il se considère comme le produit d'un métissage entre Coras et Wixárikas.
"Mon père est Wixárika et ma mère est Cora, c'est pour ça que je dis ça", ajoute l'enseignant, qui est aussi le fondateur du lycée interculturel de la communauté.
L'histoire de Presidio de los Reyes, dans le nord du petit État de Nayarit, est particulière. Au milieu du 20e siècle, les indigènes Cora ont été déplacés par la population métisse de la ville voisine de San Pedro Ixcatán, ce qui les a amenés à se réfugier et à fonder leur propre communauté à quelques kilomètres en amont, toujours près de la rivière.
Lorsqu'on a demandé à Pedro pourquoi ils avaient choisi cet endroit et pas un autre, il a répondu fermement : "parce que c'est notre territoire, et que la rivière est ici, ce qui est sacré pour nous".
Et il souligne que "la rivière San Pedro n'est pas seulement une ressource naturelle très importante, c'est le lieu où se trouvent nos centres cérémoniels et le caractère sacré de notre culture, nous y prenons de l'eau non pas pour la boire mais pour nos cérémonies, c'est un lieu fondamental non seulement pour la culture Náyeri, mais aussi pour les Wixárikas, les Tepehuanes et les Mexicas qui considèrent également la rivière comme un lieu sacré et cérémoniel, c'est pourquoi nous la défendons, c'est de là que vient la lutte pour que cette rivière soit toujours libre".
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L'assemblée permanente
En 2014, la Commission fédérale de l'électricité (CFE) a annoncé que le gouvernement fédéral avait accordé des permis environnementaux et d'utilisation de l'eau pour la construction du projet hydroélectrique Las Cruces, qui prévoit la construction d'un barrage à proximité de la rivière San Pedro Mezquital, dans la section qui traverse l'État de Nayarit.
Selon l'Association interaméricaine de défense de l'environnement (AIDA), ce projet entraînerait des inondations et des dégâts dans les villages de San Blasito et de Saycota, ainsi que l'altération d'au moins 14 sites sacrés des cultures Wixárika, Náyeri, Tepehuana et Mexica.
Elle affecterait également les activités d'élevage, d'agriculture et de pêche exercées par les habitants de la région, ce qui, ajouté au contexte historique de marginalisation et de pauvreté des peuples indigènes de la Sierra del Nayar, impliquerait leur déplacement vers les villes.
Lorsque Pedro et les habitants de Presidio de los Reyes s'en sont rendu compte, et après le début de la construction du barrage, ils ont commencé à organiser des brigades d'information dans tous les villages qui seraient touchés par la construction du barrage hydroélectrique.
Pedro raconte qu'au début, le projet hydroélectrique a été bien accueilli par les habitants de sa communauté, car il signifiait qu'il y aurait une source constante d'emplois dans les villages de la Sierra del Nayar.
Cependant, dit-il, "nous avons ensuite commencé à étudier les problèmes des frères Wixárika qui ont été affectés par les barrages d'El Cajón et de La Yesca, parce que leurs territoires leur ont été en quelque sorte retirés, et ils sont venus nous le dire, et c'est là qu'une partie de la population a réagi".
Face à ces risques, les autorités communautaires de Presidio de los Reyes ont organisé une assemblée, comme le veulent leurs us et coutumes, pour décider si elles seraient pour ou contre le projet Las Cruces, auquel la communauté s'est opposée.
"Si l'Assemblée a dit non au barrage, alors nous tenons pour acquis que Presidio de los Reyes n'est pas d'accord avec le barrage. Il y avait des dirigeants qui voulaient le faire et, finalement, ils n'ont pas pu le faire parce que c'est l'Assemblée qui décide", souligne Pedro.
Avec des programmes sociaux et des travaux publics qui n'étaient pas nécessaires pour la communauté, souligne Pedro, les autorités des trois niveaux de gouvernement ont tenté de convaincre la population en faveur du projet hydroélectrique.
"Du jour au lendemain, le programme de logement est arrivé, ils ont essayé de nous acheter avec ces choses pour moderniser un peu la communauté, améliorer les rues, mais même ainsi, la communauté a dit 'c'est bien que les avantages nous arrivent, mais nous continuons à dire non au barrage'", explique-t-il.
L'organisation née de l'opposition au barrage a rapidement conduit les Náyeri à former le conseil indigène Náyeri, au sein duquel les villageois et leurs autorités traditionnelles ont discuté des actions communautaires, juridiques et politiques à mener pour défendre le fleuve et leur culture.
Peu après, et face à l'ampleur des dommages qui résulteraient de la construction du barrage, les plus de 25 peuples et communautés Wixárikas, Náyeris, Tepehuanes et Mexicas ont décidé de former l'Assemblée permanente des peuples autochtones de Nayarit (Appon), qui continue de fonctionner même s'ils ont réussi à faire suspendre définitivement le barrage hydroélectrique de Las Cruces en 2018.
"Parallèlement aux amparos promus par les peuples Wixárikas sur la base de la Convention 169 (de l'OIT), qui oblige les peuples autochtones à être consultés sur les mégaprojets, les communautés mexica ont également déposé un amparo, ce qui a fait qu'à la fin de 2018 et 2019, le projet a été arrêté, malgré le fait que la maña, le narco-gouvernement, nous a intimidés", poursuit-il.
Pour Pedro, après la victoire sur le barrage hydroélectrique, les communautés et les peuples regroupés dans l'APPON se sont interrogés sur la voie à suivre, car les actions communautaires ont débouché sur une série de revendications en suspens devant les peuples indigènes de Nayarit.
Ils ont décidé de créer quatre groupes de travail permanents pour discuter des actions de défense du territoire, du droit à la consultation, de la récupération de la santé communautaire et de la médecine traditionnelle, et de l'éducation autochtone et interculturelle.
"Nous nous sommes demandés 'bien, quelle est la suite' et maintenant nous y travaillons constamment".
Vers une éducation autochtone et interculturelle
Pedro est convaincu que la voie inaugurée par l'Armée zapatiste de libération nationale en 1994 est la voie à suivre pour les peuples et communautés indigènes du pays : "l'autonomie, qui est la seule voie qui puisse réellement être une alternative".
Son histoire personnelle, qui en l'absence d'un lycée dans sa communauté l'a obligé à migrer vers la ville pour terminer ses études et devenir professionnel, est l'une des raisons pour lesquelles il a décidé d'exercer sa profession dans sa ville natale : Presidio de los Reyes.
Pedro s'est rendu compte que, comme dans son cas, il y a des dizaines de jeunes Náyeris qui, pour des raisons économiques ou par manque d'écoles, abandonnent leurs études et leurs rêves pour se tourner vers la culture du pavot, principale activité économique de la Sierra del Nayar.
Face à cela, et avec ses propres ressources et efforts, il a réussi à ouvrir un baccalauréat interculturel dans sa communauté. Après plusieurs années de lutte pédagogique, de nouvelles générations d'avocats, d'enseignants, de comptables et de communicateurs ont vu le jour et sont désormais impliqués dans les activités politico-organisationnelles de leur territoire.
"Si nous ne faisions pas cette promotion, nous pensions que dans 30 ans les jeunes ne défendraient plus les lieux sacrés, la culture, la tradition, ils perdraient leur langue et alors ce serait un autre problème de comment défendre l'indéfendable. C'est un point sur lequel nous avons dû travailler et pour cela nous avons lancé un projet d'éducation dans les communautés pour sauver la langue, la culture et la tradition", réfléchit-il.
Aujourd'hui, le rêve de Pedro s'est réalisé et, grâce à un soutien privé, une université interculturelle est sur le point d'être fondée dans la Sierra del Nayar, qui servira de pépinière aux intellectuels indigènes qui continueront à défendre leur territoire dans les années à venir.
"Le gouvernement ne nous a jamais approchés pour nous écouter, il n'y a pas de projet commun, c'est pourquoi nous avons décidé d'établir un contact et un soutien avec des institutions privées, même si notre objectif sera toujours de construire l'autonomie : et c'est là que nous allons", conclut-il.
Aujourd'hui, la pandémie de covid-19 a fait que de nombreux projets ont changé de cap. Cependant, Pedro est convaincu que le travail qu'il promeut dans la communauté depuis des années, ainsi que l'incorporation de nouveaux jeunes professionnels dont l'objectif est de construire l'autonomie, porteront bientôt leurs fruits.
"Dans quelques années, il ne faudra pas s'étonner que Presidio de los Reyes devienne une sorte de caracol zapatiste", prédit-il.
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* Alejandro Ruiz est un journaliste indépendant basé dans le Querétaro. Je crois aux histoires qui ouvrent des espaces de réflexion, de discussion et de construction collective, avec la conviction que d'autres mondes sont possibles si nous les construisons par le bas.
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Source : Publié le 13 août 2021 sur le site Pie de Página : https://piedepagina.mx/como-la-defensa-de-un-rio-abrio-el-camino-a-la-autonomia-en-la-sierra-nayar/
traduction carolita d'un article paru sur Servindi.org le 19/08/2021
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