Evocation du "Che" de son époque

Publié le 26 Juillet 2021

Au cours de l'été 1967, la jeunesse du monde, qui vivait déjà dans l'effervescence de tous les mai 68, s'est réunie pour lire, parler et discuter du "Che", pratiquement dans toutes les universités du monde, il y a eu des actes, dans de nombreuses usines, des tracts ont été rédigés et partout où les "braises" de l'agitation battaient, on parlait de lui, de la signification de sa mort...

Par Pepe Gutiérrez-Álvarez Publié le 25 juillet 2021

La mienne est, comme celle de tant d'autres jeunes radicaux de l'époque, une expérience, un souvenir ardent gravé dans le cœur de plusieurs générations. Sa mort - son assassinat aux mains d'un tueur à gages de la CIA - nous a secoués de la tête aux pieds. Au cours de l'été 1967, la jeunesse du monde, qui vivait déjà dans l'effervescence de tous les mai 68, s'est réunie pour lire, parler et discuter du "Che" ; dans pratiquement toutes les universités du monde, des manifestations ont été organisées, dans de nombreuses usines, des tracts ont été distribués et partout où brûlaient les "braises" de l'agitation, on parlait de lui, de la signification de sa mort...

Des "hommages" ont également été organisés dans de nombreux centres sociaux et paroisses de Catalogne. Je me souviens de celle qui s'est tenue au centre social "La Florida" à L'Hospitalet del Llobregat. C'était une salle "Caritas Diocesanas", et la convocation avait été rendue publique avec des affiches improvisées. Ce jour-là, la salle était bondée comme jamais auparavant. On pouvait voir des travailleurs militants des Comisiones, des étudiants universitaires et des garçons et filles du quartier et des lycées qui, pour la première fois, étaient témoins de quelque chose comme ça. Un acte qui défie les autorités franquistes, représentées par un couple de gardes civils qui tentent d'être affables. Le silence était chargé de sentiments, et les orateurs, des personnes de différents partis et groupes, ont déroulé leurs évocations. Et pour la fin, une clôture avec des lectures de poèmes, dont un de Julio Cortázar.

Le "Journal" du Che, qui commence par cette citation de José Martí : "C'est l'heure des fours, et il ne faut voir que la lumière", était depuis longtemps passé de main en main ; il existait une édition illégale produite en France, mais une autre était légale et avait son siège à Bilbao. Et dans les discussions sans fin sur la façon de transformer le monde/changer la vie, on ressentait des échos des écrits du "Che", dont certains apparaissaient dans le magazine mythique Ruedo Ibérico. Le "Ruedo Ibérico" avait publié un an auparavant son extraordinaire "spécial" consacré à Cuba, qui reproduisait des œuvres de certains des écrivains, artistes, philosophes et romanciers les plus célèbres de l'époque. Je n'oublierai jamais l'article d'un certain Mario Vargas Llosa qui expliquait la révolution à travers une conversation avec une paysanne fière d'avoir accès à la lecture et à un travail décent, à une vie pleine de sens, comme le disait Fidel. Que les pauvres puissent lire, travailler, manger et être conscients de leur dignité en tant que personnes faisait, dès le départ, partie du repas (qu'est-ce que l'Utopie si ce n'est la nourriture, la culture et la dignité des pauvres) ? Le fait qu'un petit pays qui avait été le "bordel" des États-Unis ait osé dire "NON" et commencer à faire sa propre histoire, en tant que "premier territoire libre d'Amérique latine", a nourri cet esprit qui, selon Jean-Paul Sartre, ne pouvait être que de gauche.

À l'époque, Franco paraissait à beaucoup de gens un peu comme un éternel, bien que les portugais aient connu bien pire. Le capitalisme semblait stabilisé dans la formule keynésienne. On parlait partout de "miracles économiques", le monde de l'après-guerre était soutenu par "l'équilibre de la terreur", à l'Est le "socialisme réel" semblait irréversible, et les apologistes du "réalisme" ne pouvaient s'empêcher de se moquer du médecin argentin devenu cubain et désormais au service des usufruitiers socialistes.

Peut-être cette attitude peut-elle être comprise comme un "puritanisme" excessif, mais dans la pratique, cette façon de voir les choses, si souvent faussement proclamée (comme dans la Chine de Mao), est pleine de bon sens. De la lecture et de la connaissance de première main. Il se peut que le "Che" en soit venu à participer à des débats marxistes de haut niveau aux côtés d'économistes aussi renommés que Charles Bettelheim et Ernest Mandel. C'est un humanisme qui, en se contextualisant dans la réalité, devient socialiste tout en subvertissant le "socialisme" économiste qui se justifie en dehors des personnes. Les forces productives ne sont pas des machines ou des plans économiques, ce sont les hommes et les femmes qui luttent à la recherche d'une nouvelle (ou ancienne, selon le point de vue) finalité, celle de la dignité du travail. Leur socialisme est donc concret, personnel, il n'épouse aucun "intérêt supérieur" des citoyens, nous sommes tous des citoyens, et pour le dire avec les mots d'Antonio Machado : "personne n'est plus qu'un autre".

C'est à cause de ce radicalisme moral, de cette cohérence entre la parole et l'acte, que, malgré tous les efforts des intellectuels domestiques du désordre établi, le "Che" n'a pas pu être mis en cause, du moins pas plus qu'un "romantique" ou un "rêveur". Des tentatives ont été faites pour voir de la cruauté dans son traitement des troupes de Batista en tant que commandant, et de temps en temps quelqu'un vient essayer d'obtenir un prix en "prouvant" qu'il était un "fanatique", mais à la fin, rien ne reste. Le système n'a, éthiquement parlant, aucun moyen de l'attraper. Le "Che" était noble même à la guerre, il n'a jamais aspiré à aucune fonction, il n'a rien pris dans ses poches, il ne s'est assis sur aucun Olympe dirigeant.

Il ne s'est pas non plus arrêté aux dieux du moment. Personne comme lui n'a dénoncé depuis les tribunes institutionnelles le colonialisme qui assujettissait les peuples, personne comme lui n'a parlé aussi clairement du génocide - et de l'écocide - commis contre le peuple vietnamien, et personne comme lui, depuis une position institutionnelle, n'a critiqué aussi clairement l'organisation "soviétique" qui semblait alors "intouchable" à la plupart de la gauche. Aujourd'hui, on peut lire comme "prophétiques" ses dénonciations de ces conceptions qui soumettent les gens à la raison d'État, et qui sont donc inefficaces et obsolètes. On peut aussi lire ses critiques de la bureaucratie, des postes et des fonctionnaires qui se sont crus dépositaires de cette raison d'état, des doctrinaires qui ont cru détenir la vérité, "officielle" bien sûr.

Avec cette rigueur morale ouverte et joyeuse, avec une douceur et une ironie qui ne cachaient pas ses exigences, le "Che" a fini par être aimé mais aussi craint par son entourage. Son exemple est donc, d'une part, exaltant, mais d'autre part, une mise en accusation de ceux qui ont parlé en vain de socialisme et d'égalité.

Animé par une passion qui se nourrit d'une vision du monde qui ne peut supporter la misère et les injustices sociales imposées par l'égoïsme social, le "Che" ne fait pas confiance à l'action strictement politique à long terme telle qu'elle a été menée par les partis de gauche en Amérique latine. Brûlé par les images de la géographie de la faim, de ce Vietnam "tragiquement seul" (c'est-à-dire oublié par l'URSS et la Chine) sous le "nalpam", il est pressé, impatient, et appelle à la création de deux, trois, beaucoup de Vietnams. Les damnés de la terre, dont parlait Frantz Fanon, ne peuvent pas attendre. Alors Cuba fait des petits, et il va, d'abord au Congo et ensuite en Bolivie, où il croit trouver le "maillon faible" des chaînes qui oppriment les peuples, et il parle de la patrie latino-américaine.

Cependant, de nos jours, presque personne ne se souvient de ses héros économiques ou de ses mythes de papier, alors que le "Che" est toujours présent en nous, et pour nous à travers des biographies comme celle de Paco Ignacio Taibo, "Ernesto Guevara, aussi connu sous le nom de Che" (Ed. Planeta). Taibo dit que c'est une phrase d'Ernesto Cardenal - "Parfois, même le Che ne peut pas être comme le Che" - qui lui a donné la clé d'un personnage qui résiste à l'assimilation à un "symbole creux" à travers tout un montage de photos, d'affiches, de T-shirts et posters - qui n'est pas sans rappeler celui que l'on érige habituellement pour bosseler le contenu de tous les mythes révolutionnaires - et qui doit être regardé de face : comme l'un des nôtres. Le "Che" n'était pas un Superman, comme le dit ironiquement le regretté Fernando Savater, et il n'avait rien de tel, même s'il a tenu en haleine tout l'état-major du Pentagone et tous les "milicos" boliviens, ni un saint, même si le père du positivisme Auguste Compte l'aurait inclus parmi ses saints séculiers. Le "Che" était un homme de son temps, quelqu'un qui a commencé par défier son asthme et a fini par défier le "Monstre" dont parlait José Martí (les États-Unis) qui emprisonnait les peuples opprimés. Taibo écrit à son sujet : " Il était pressé de vivre. Il se testait toujours, se poussait à la limite, mais pas parce qu'il cherchait la mort, mais parce qu'il voulait voir jusqu'où il pouvait aller".

On peut affirmer que "le secret" du "Che" était son extraordinaire capacité d'auto-demande, quelqu'un qui croyait en la volonté humaine comme facteur déterminant pour atteindre des objectifs, qu'ils soient personnels ou collectifs. En ce sens, le "Che" représentait quelqu'un qui faisait face à ses limites, aux misères de son temps. Pour cette raison, et pour la qualité de ses actions et de ses convictions, il était un "homme nouveau" ou un "homme humain", pour reprendre les mots de César Vallejo, quelqu'un qui était venu pour pouvoir parler au monde, et il le faisait d'une manière très différente de celle des "maîtres du monde". Ses armes étaient donc en lui, sa force résidait dans son exemple. Les agents de l'armée et de la CIA qui ont suivi sa trace en Bolivie savaient que sa dangerosité résidait dans ce fait, et en l'assassinant, ils ont essayé d'utiliser son cadavre pour donner une leçon à la jeunesse "rebelle" du monde.

Ernesto Guevara était une personne qui est venue à l'action politique à partir de convictions morales profondes, d'une expérience directe de réalités et de situations qui ont éclairé sa conscience. C'est ce qui constituera plus tard le pilier le plus solide de ses conceptions égalitaires et de son idée du socialisme comme aboutissement de l'humain. En ce sens, les mouvements, les partis ou l'État ne seront que des instruments, et non des fins en soi. Un moyen de réorganiser la société afin d'atteindre la nécessaire justice économique, un moyen de réformer l'être humain, si souvent avili par la plus élémentaire nécessité économique et surtout par l'ambition d'amasser.

Il est donc possible de parler, sans le moindre soupçon de cynisme, d'un élan éthique, d'une éthique concrète, inscrite dans une cause qui vise le Mal Social. De ce point de vue, le "Che" entre dans l'histoire aux côtés de tant de réformateurs, aux côtés de personnes qui ont lutté contre leur temps, qui sont allées à contre-courant des valeurs dominantes. Sa rigueur l'a conduit à un moment de sa vie à ne pas accepter la moindre activité économique privée, car il y voyait le lierre du capitalisme, c'est-à-dire une forme d'égoïsme propriétaire, de manque de solidarité. Il s'agit donc d'une pauvreté volontaire, il n'a rien de plus et rien de moins que ce qu'il a en tant que personne. Mais cet élan éthique ne l'empêche pas de prendre le risque de l'action, et il essaie de trouver une voie de développement économique pour Cuba, et pour accélérer l'histoire, il choisit la seule voie qu'il croit possible, la lutte armée à travers un "foyer" qui se propage, comme l'étincelle qui peut répandre le feu dans la plaine, comme disait un poète russe. La révolution n'est pas seulement nécessaire, elle est aussi possible, et il pense aux combines qui l'ont conduit à entrer à La Havane en 1959.

Une fois de plus, sa condition éthique, son énorme indignation morale qu'il communique à la jeunesse du monde, son sens volontaire de la vie, passent au premier plan. Mais le calcul politique n'est pas son fort, et au Congo il se retrouvera plongé dans un labyrinthe tribal et politique qu'il ne peut comprendre, tous ceux qui se battent ne sont pas des Lumumbas ou des Malcom X dans cette Bolivie occupée par sa propre armée, simples mercenaires au service de ceux qui paient, son approche "foquista" semble prématurée, la gauche radicale bolivienne n'a pas eu le temps de se remettre tandis que les communistes officiels parlent le langage de la bureaucratie. Cependant, même dans cette "erreur", on peut voir sa grandeur, sa force. Son action, nous le répétons, empêche le Pentagone de dormir, son exemple encourage de nouveaux combattants, et dans le monde, tous les réformateurs apprennent la carte bolivienne.

Sa mort n'est pas le début du silence, bien au contraire. Depuis lors, partout où il y a une révolte, une indignation contre l'injustice, son effigie peut apparaître comme un symbole indubitable. et ce qui est curieux, son effigie, son nom et son œuvre seront respectés par toutes ces gauches fragmentées jusqu'à l'épuisement. et quand elles se réunissent toutes pour discuter, il est possible de trouver un moment d'encouragement commun avec le "Che", peut-être pour parler d'un de ses écrits, peut-être pour écouter quelques-unes des chansons qui lui ont été dédiées. Des chansons et des écrits qui sont toujours vivants et pas seulement dans la mémoire.

Tant d'années après sa mort, comme lors de tous les anniversaires précédents, nous évoquerons à nouveau le même sentiment de chaleur et de proximité avec le "Che", notre "Che". Et lorsque nous parlerons à nouveau de cet imitateur nécessaire - comme l'appelle Eduardo Galeano - indispensable, dirions-nous, pour retrouver notre santé critique et morale, nous parlerons de sa vie et de l'œuvre de quelqu'un qui s'est opposé au désordre établi avec intelligence, volontarisme et une générosité sans limites. Nous nous retrouverons comme alors avec un exemple plein de vie qui nous aidera à trouver une réponse dans un moment historique où le "fascisme étranger américain" apparaît plus puissant et plus légitimé que jamais et dans un pays où le gouvernement est fort avec les faibles et faible avec les forts... Mais à partir de la rigueur morale, du sentiment d'indignation face à l'injustice et de la volonté transformatrice que le "Che" nous a enseignés, nous apprendrons à lutter à nouveau avec la ferme conviction qu'avant l'argent et le pouvoir, il y a le peuple. Avant les empires, il y a les peuples. Devant les puissants, devant les intérêts particuliers, il y a toujours la vérité.

C'est l'homme que nous appelons Ernesto "Che" Guevara (Rosario, Argentine, 1928-Bolivie, 1967). Cet homme qui a été comparé aux géants de la Renaissance et qui occupe, à lui seul, une place de choix parmi les grands révolutionnaires de tous les temps, a été caché sous une litière de feuilles mythiques destinée à faire oublier son message selon lequel "l'obligation de tout révolutionnaire est de faire la révolution". Étudiant en médecine, commandant de guérilla, président de la Banque nationale de Cuba, ministre de l'industrie, guérillero en Bolivie, le "Che" possédait une dimension moins connue : celle d'un marxiste créatif. Son père était médecin. Asthmatique depuis son plus jeune âge, étudiant en médecine, il avait une obsession : connaître le continent latino-américain. Il a partiellement atteint son objectif, visitant le Chili, le Pérou, le Brésil, la Colombie et le Venezuela, avant de revenir terminer ses études de médecine avec une thèse sur les allergies.

En 1953, il reprend sa tournée latino-américaine interrompue, et lorsqu'il passe par le Guatemala, il rencontre le processus révolutionnaire dirigé par Jacobo Arbenz, qui va avoir un impact important sur lui. Il y rencontre l'APRA, qui a une aile marxiste, et les Cubains du Mouvement du "26 juillet" ; il devient lui-même marxiste, mais ne sympathise pas avec le communisme officiel. Il a été témoin de la façon dont l'intervention contre-révolutionnaire menée par les Yankees a coupé court au processus insurrectionnel national-démocratique guatémaltèque sans aucune résistance de la bourgeoisie "nationale". Le "Che" était l'une des rares poches de résistance. Il se réfugie à l'ambassade d'Argentine pendant deux mois, accompagné de sa première femme, l'"aprista" Hilda Gadea. Il est ensuite parti au Mexique, où il a dû exercer divers emplois pour survivre. Il entre en contact avec le groupe de Fidel Castro, qui se prépare à lancer une guérilla contre Batista, et les rejoint. Préparé par le colonel Alberto Bayo, le groupe est prêt en 1956 à prendre la "Gramma" et à marcher vers Cuba.

Le combat sera beaucoup plus difficile que prévu, mais après un début désastreux, ce qui reste de la guérilla va se renforcer dans la Sierra Maestra. Ils y ont découvert la nécessité d'une meilleure préparation et l'importance du soutien de la paysannerie, qui allait devenir le pilier de la première phase de la révolution. Dans la guérilla, le "Che" a participé en tant que médecin - aidant même les soldats de Batista, que la guérilla rééduquait par la persuasion - et en tant que combattant. Il joue un rôle particulier dans la préparation des petites industries qui doivent servir d'approvisionnement. Il est nommé commandant et signe le "Manifiesto de Sierra Maestra", qui proclame la nécessité incontournable d'une réforme agraire. Le mouvement de guérilla s'est étendu, bien qu'il ne parvienne pas à se connecter à la ville. Après l'offensive ratée de Batista, le "Che" se charge de la prise de Santa Clara, la capitale de Las Villas, qu'il réalise au moment où Batista s'enfuit. Son expérience antérieure, sa formation marxiste hétérodoxe et son influence sur le groupe dirigeant feront du "Che" l'un des hommes de base qui aideront le cours démocratique-national de la révolution cubaine à s'élargir vers un contenu ouvrier et socialiste.

En 1960, il écrit La guerra de guerrillas (guerre de guérilla), dans lequel il expose le schéma suivant. "1º.  Les forces populaires peuvent gagner une guerre contre l'armée ; 2º. il n'est pas toujours nécessaire d'attendre toutes les conditions de la révolution ; le foyer insurrectionnel peut les créer ; 3º. dans l'Amérique sous-développée, le terrain de la lutte armée doit être fondamentalement la campagne".  Ce schéma deviendra la loi pour les innombrables groupes de guérilla qui se développeront dans tous les pays du continent. Bien qu'au Chili, en Uruguay et ailleurs, les guérillas seront fondamentalement urbaines, elles ne pourront pas compter sur certains des aspects fondamentaux de l'expérience cubaine.

Il s'agit de la relative indifférence du colosse yankee, qui a appris par la suite comment un processus démocratique devait passer à sa phase socialiste initiale, et de l'enracinement des guérillas tant dans les campagnes - fondamentalement dans la première phase - que dans les villes, qui joueront le rôle de force motrice dans la deuxième phase. Sa trajectoire cubaine, c'est-à-dire, selon les mots du "Che" : "...la possibilité de triomphe des masses populaires d'Amérique latine s'exprime clairement par la voie de la lutte de guérilla, basée sur l'armée paysanne, sur la défaite de l'armée dans la lutte frontale, sur la prise de la ville sur la campagne, sur la dissolution de l'armée comme première étape de la rupture totale de la superstructure du monde colonialiste interne". Il ne trouvera une traduction autrement originale que dans la révolution nicaraguayenne.

Dans le même costume de guérillero, le "Che" intervient dans l'un des centres névralgiques de la nouvelle étape révolutionnaire : l'économie socialiste. Chef improvisé de la Banque nationale en 1961, il est bientôt nommé ministre de l'Industrie. Pour sortir du sous-développement et de la monoculture, la révolution a dû donner la priorité à l'industrie sur l'agriculture, ce qui a entraîné de graves problèmes. Ainsi, bien qu'en 1963 la priorité ait de nouveau été donnée à l'agriculture avec la deuxième loi de réforme agraire, le processus d'industrialisation avait déjà commencé par l'essor de l'exploitation minière et avait permis l'émergence des industries nécessaires à un développement plus intensif de l'agriculture. Le problème cardinal de l'industrialisation a soulevé une controverse sur la manière de mener à bien la phase de transition vers le socialisme.

Cette controverse, connue sous le nom de débat cubain (Laia), se déroule entre 1963 et 1965 et implique plusieurs économistes cubains - Alberto Mora, Luis Alvarez Rom, Marcelo Fernández Font et deux théoriciens européens, le marxiste Charles Betelheim, qui défend la théorie de la valeur pour l'économie de transition, et le trotskiste Ernest Mandel, qui critique cette position. Le "Che", sans nier la possible opérabilité initiale de la valeur et des catégories mercantiles, définit la planification comme l'essence de l'économie socialiste, comme la méthode la plus appropriée pour créer l'homme nouveau, objectif que la bureaucratie a supprimé. Il insiste sur le fait que la contradiction fondamentale entre le principe de planification et la loi de la valeur doit être progressivement résolue par l'abolition des vestiges de la société de marché. Son modèle de socialisme se fonde davantage sur les grands idéaux du socialisme que sur l'expérience soviétique. Il revendique l'humanisme socialiste, parce qu'il comprend que l'homme est l'expression vivante de la lutte des classes, et que la conscience révolutionnaire, la participation active des masses, leur volontarisme, doivent être fondamentaux pour créer une société nouvelle, "Pour construire le communisme, dit-il, en même temps que la base matérielle, il faut faire l'homme nouveau". Pour cette raison, il ne nie pas "la nécessité objective des stimuli matériels", mais considère qu'il faut tenir compte du fait que ces stimuli "imposent leur propre force aux relations entre les personnes". Il ne faut pas oublier qu'il vient du capitalisme et qu'il est destiné à mourir dans le socialisme". Défendant l'humanisme comme faisant partie du marxisme, il comprend que le Capital inclut "une dénonciation de la déshumanisation du capitalisme - et la possibilité de son dépassement par une société où les hommes contrôlent rationnellement les choses - c'est l'un des thèmes cruciaux de l'œuvre principale de Marx, un thème qui ne contredit pas son caractère scientifique, mais qui, au contraire, lui est dialectiquement lié".

Après une tournée dans divers pays d'Asie et d'Afrique - dont l'Algérie, où le "Che" aurait participé brièvement à la guérilla - il disparaît de la scène et écrit une lettre d'adieu au CC du PC cubain : il faut dire que toutes les conjectures qui ont été faites sur ses divergences avec Fidel n'ont pas encore été prouvées. Il s'installe - c'était en 1966 - en Bolivie où il voit un maillon faible dans la chaîne impérialiste et où il espère réorienter la lutte de guérilla sur tout le continent. Il se méfiait totalement du réformisme et des voies parlementaires et son objectif était de débloquer la révolution cubaine, d'élargir le front vietnamien, que le Viêt Nam "tristement seul". Les conditions n'étaient pas favorables, la paysannerie bolivienne ne ressemblait pas à la paysannerie cubaine, les "rangers" étaient bien mieux préparés que les soldats de Batista, le PC bolivien boycottait la lutte - bien que cela se soit également produit à Cuba - et le mouvement dans la ville arrivait tardivement, et à un moment culminant, il écrivit dans son journal : "Le gouvernement se désintégrait rapidement.

Dommage, pense-t-il, que je n'aie pas 100 hommes de plus en ce moment". Une fois arrêté, le 8 octobre 1967, il est assassiné. Sa mort, comme celle de Rosa Luxemburg, a ébranlé le monde. Depuis lors, le "Che" est un symbole qui demeure l'une des grandes références pour les personnes qui ne se résignent pas au vieux monde, même s'il change de peau et veut nous enivrer des gloires du consumérisme.

traduction carolita d'un article paru sur Kaosenlared le 25 juillet 2021

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Cuba, #Au coeur du Che

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article