Les femmes résistent à l'accaparement des terres et à la zone de libre-échange dans la région d'Haïti

Publié le 12 Avril 2021

Une école de formation agricole féministe est menacée par la monoculture pour Coca-Cola.

26/03/2021

Par Capire

En Haïti, les femmes ouvrières et paysannes en quête de leurs droits ont créé en 1986 le réseau Solidarité des femmes haïtiennes (Solidarite Fanm Ayisyèn - SOFA) qui, depuis lors, unit et organise la lutte féministe dans le pays. Les agricultrices associées à la SOFA disposent de 13 hectares de terres réservées à l'agriculture biologique accordées en 2017 par le gouvernement haïtien. C'est dans cet espace, situé sur la commune de Saint-Michel de L'Attalaye, que se trouve la ferme-école biologique Délicia Jean.

En mai 2020, le territoire a été revendiqué par Andy Apaid Jr, un magnat haïtien connu pour avoir dirigé le Groupe des 184, la coalition qui, en 2004, a chassé Jean-Bertrand Aristide (le premier président haïtien démocratiquement élu) du pouvoir par un coup d'État en collaboration avec les États-Unis d'Amérique. L'action d'occupation du territoire organisée par Apaid a été brutale avec les militants de la SOFA et a détruit les clôtures érigées par les participants au projet, qui délimitent un territoire d'égalité et de production sans poison et sans exploitation. L'objectif de l'accaparement des terres est de produire de la stévia pour fabriquer des édulcorants pour Coca-Cola.

Pendant la période d'existence de la ferme-école, plus de 240 femmes ont été formées aux techniques de l'agriculture biologique, ce qui leur a permis d'avoir une production plus importante et plus diversifiée, renforçant ainsi la souveraineté alimentaire de la région de l'Artibonite. Le travail de la SOFA sur le site a également permis de récolter et de distribuer des graines de différents aliments. Les agricultrices sont les gardiennes des semences dans de nombreux territoires et jouent un rôle fondamental pour la diversité de la nature, des ancêtres et de l'alimentation des communautés.

Face à cette agression, la SOFA a fait pression sur le ministre de l'Agriculture Pierre Patrix Sévère, mais celui-ci s'est contenté d'instruire l'organisation d'essayer de négocier les droits fonciers directement avec Apaid. L'organisation a refusé de s'engager dans cette voie, estimant que l'inégalité des pouvoirs et des intérêts dans de telles négociations ne pouvait aboutir à des victoires populaires. Le ministre a ensuite notifié à la SOFA une proposition d'accord avec l'usurpateur. La proposition approuvée par le gouvernement va à l'encontre des lois haïtiennes sur les conflits fonciers.

En empêchant ces femmes de travailler dans leurs plantations, le gouvernement, poussé par les intérêts du capital, met en péril la sécurité alimentaire de plusieurs familles. Les actions violentes qui expulsent les femmes de leurs espaces de lutte et de transformation sont un outil systématique de profit. Les industriels haïtiens servent d'intermédiaires aux grandes entreprises transnationales de divers secteurs, comme Coca-Cola, dans une dynamique impérialiste.

Le territoire

La Savane Diane couvre un territoire qui traverse trois des plus grands départements agricoles du pays : le Nord, le Centre et l'Artibonite. En raison de l'importance agricole de la région, la Savane Diane a été classée par le ministère de l'Agriculture en 2018 parmi les cinq zones prioritaires pour assurer l'autosuffisance alimentaire du pays. Le biome couvre environ 200 mille hectares et on y produit tous les types d'aliments : pois, abelmosco (gumbo), riz, arachides, canne à sucre, millet, moringa, plusieurs variétés de fruits, en plus des plantes médicinales dont la production a été d'une immense importance dans la lutte contre le covid-19.

Mais, le 8 février 2021, le président Jovenel Moïse et le ministre de l'agriculture ont transformé la zone en une zone franche pour les cultures d'exportation, une mesure qui entrave la capacité future du pays à fournir de la nourriture à sa propre population.  Moïse, qui se maintient au pouvoir grâce à un coup d'État, a remporté les élections en 2016 sur le discours selon lequel il nourrirait toute la population.

Zones franches, zones d'exploitation

En note Sabine Lamour, coordinatrice générale de la SOFA, ironise sur la décision de Moïse :

"Le 08 février 2021, 24 heures après la fin du mandat de M. Jovenel Moïse, un décret a été publié dans le journal officiel Le Moniteur qui porte la signature d'un ministre qui ne fait plus partie du gouvernement de facto. Ce qui montre que ces gens sont impatients d'exécuter leurs projets et que, même si c'est mal, ils le font de la mauvaise manière". Les zones franches sont des territoires destinés à produire exclusivement pour l'extérieur. Ce type de concession exonère les entreprises du paiement des droits de douane ou de la Direction Générale des Impôts (DGI) pendant 15 ans, dans une logique fiscale injuste, alimentant d'une part le profit des transnationales et d'autre part le déficit et les dettes d'un pays déjà appauvri.

Déclarer la Savane Diane zone de libre échange, c'est permettre la destruction de la nature et de l'agriculture familiale. Dans le processus, les agriculteurs sont contraints de travailler dans les usines, notamment dans l'usine qui fournit de la stévia à Coca-Cola. Leur vie devient plus précaire, leur travail pénible et mal payé, et il n'y a pas de compensation sociale, car il n'y a pas de justice dans ce processus. Les habitants du Plateau central, du Nord et de l'Artibonite sont contraints de quitter le pays pour travailler dans les champs de canne à sucre de la République dominicaine ou de fuir en bateau et de s'exposer aux risques liés aux mauvaises conditions de voyage maritime, sans garantie de pouvoir entrer dans le pays où ils cherchent refuge (ces personnes sont connues sous le nom de "boat people"). En d'autres termes, la concession renforce l'insécurité alimentaire et l'appauvrissement du pays, y compris la féminisation de la pauvreté.

L'affaiblissement de l'organisation populaire haïtienne par l'État et par le pouvoir des grandes entreprises est de plus en plus latent, bien qu'invisible, comme le souligne Islanda Micherline dans une vidéo envoyée à Capire. La situation politique en Haïti est une question peu commentée dans les médias internationaux traditionnels, une action motivée par la logique qui considère comme normales la violence et l'accaparement des terres dans le sud du monde. En mars 2020, en moyenne 4,1 millions de personnes en Haïti n'avaient pas assez à manger¹. Maintenant, les conditions actuelles du pays, accompagnées par les industriels, veulent pousser une partie encore plus grande de la population dans la faim et la misère. 

Lorsque la production dans les départements du Nord, de l'Artibonite et du Centre disparaîtra et sera remplacée par la stévia, beaucoup plus d'Haïtiens souffriront des douleurs de la pauvreté induite. Pour cette raison, la résistance permanente des agricultrices fait appel à la solidarité féministe internationale et joue un rôle fondamental : celui de changer cette voie de l'inégalité, et de reprendre ce territoire et tous les territoires du peuple comme espaces de liberté, de dignité et de souveraineté.

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¹ Données de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), utilisées dans la note de synthèse SOFA. 

Traduit du portugais par Aline Lopes Murillo.

traduction de l'espagnol carolita

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