Argentine : Baigorrita, un des derniers irréductibles

Publié le 16 Mars 2021

Argentine : Baigorrita, un des derniers irréductibles
 

Il y a 138 ans, l'un des grands leaders indigènes de la Pampa, qui avait refusé de se rendre, a été assassiné en pleine "conquête du désert".

Les Ranküllche ou Ranqueles étaient l'un des trois grands peuples indigènes qui dominaient la scène au centre de la pampa argentine au XIXe siècle. Au sud de leurs tolderías se trouvaient les Mapuche Huilliches de Calfucurá et Namuncurá, dans la région des Salinas Grandes, et à l'est et au sud, dans une large zone située entre les provinces actuelles de Buenos Aires et de La Pampa, les Gününa Küna Mapuche de Vicente Catrunao Pincén, avec leur établissement final dans la lagune de Malal Co.

Le peuple des roselières

C'est l'une des traductions acceptées du nom ranqueles, rankulches ou rankacheles. Ils étaient répartis en trois grands groupes sur les sites de Leubucó, Poitagüe et El Cuero. Cette ethnie s'est consolidée du XVIIe au XVIIIe siècle avec l'apport de différents groupes tels que les tehuelches du nord (querandíes), les pehuenches "araucanisés", les mapuche et les huilliche. Ils ont toujours maintenu une autonomie ethnique, culturelle et politique par rapport aux peuples mapuche et tehuelche.

Les principales lignées étaient celle de Yanquetruz (plus tard Pichún Gualá, Baigorrita et Lucho Baigorrita) à Poitagüe ; celle des Zorros (Gnerrë, Güor) de Painé Gnerrë , suivie de Calvaiñ Huaiquigñër ou Galván Rosas ; Mariano Rosas ou Panguitruz Gnerrë et Epumer à Leubucó ; et enfin celle de Carripilon, dont le cacique Ramón "Platero" Cabral dans la zone de la lagune de El Cuero serait supposé être le descendant.

Manuel Baigorria (Baigorrita) prend vers 1862 le cacicazgo de Poitagüe. Il est le fils de Pichún Gualá et de la captive Rita Castro, il a seulement 25 ans. Il a maintenu un leadership qui ne connaissait pas d'hésitations face au winka, ce qui ne l'a pas empêché de mener des négociations jusqu'au bout.

Le grand cacique métis, diplomate et guerrier

Le monde de la diversité des tolderías a rendu possible un métissage qui, au-delà de la dilution des cultures originaires, les a consolidées dans une identité enrichie. Le métis Manuel Baigorria Gualá tient ses prénoms de son parrain, le colonel Manuel Baigorria, exilé pendant des décennies dans les tolderías ranqueles et grand ami du lonko Pichún. Mais l'histoire le reconnaît comme Baigorrita, comme on l'appelait.

Sa chefferie a été suffisamment intense pour laisser une marque profonde sur le monde indigène. Comme beaucoup d'autres grands caciques de ce moment historique, il a alterné la défense de ses territoires et de sa communauté, en affrontant les forces militaires et en effectuant des raids si nécessaire, avec la diplomatie et la négociation constante avec le gouvernement national ou "Monsieur le Gouvernement" comme ils l'appelaient.

De nombreuses délégations diplomatiques ont été envoyées dans les centres urbains afin d'obtenir la ratification permanente des accords conclus et leur mise en œuvre. De la même manière, les émissaires de "Monsieur le Gouvernement" ont été reçus dans leurs tentes. Le voyage effectué par le colonel Lucio V Mansilla, chef de la frontière de Rio Cuarto aux  tolderías ranqueles en 1870, ne le laisse pas de côté.

Dans son classique "Une excursion chez les Indiens Ranqueles", l'écrivain et militaire offre une image intéressante du grand cacique : "Il est de taille moyenne. Ses yeux sont noirs, grands, ronds et brillants, son nez est retroussé et ouvert, sa bouche est régulière, ses lèvres sont épaisses, sa barbe est courte et large. Il a de longs cheveux noirs et raides et un large front qui ne manque pas de noblesse. Son regard est doux, parfois courageux. Dans cet ensemble se détachent les instincts charnels et une certaine inclination aux émotions fortes, le tout enveloppé dans les brumes d'une grande mélancolie... il a une réputation de brave, de doux et de prestige militaire parmi ses Indiens. Ses coutumes sont simples. Il n'est pas luxueux, pas même dans le harnais de son cheval... Il a 32 ans...". De Baigorrita, comme de nombreux autres caciques, on ne connaît pas de photographie. Le portrait qui accompagne cette note basée sur les descriptions de l'époque appartient à R. Capdevila (1987).

Toutes les sources s'accordent sur la franchise et la clarté du cacique. Le père Alvarez, l'un des émissaires envoyés pour la signature du traité de 1872, le définit ainsi : "c'est l'Indien le plus sincère que j'ai rencontré à Tierra Adentro ; il dit ce qu'il ressent, sans tourner autour du pot, et exprime ses craintes sans réserve...".

Le traité de 1872, dans lequel sont explicités la paix et le système de relations entre les caciques Mariano Rosas, Baigorrita et le gouvernement argentin, a été revalidé plusieurs fois, montrant aux ranqueles une attitude de coexistence avec les criollos. Cependant, le projet croissant du pouvoir idéologique, politique et économique de Buenos Aires de procéder à la saisie des territoires indigènes et le rôle de plus en plus prépondérant de son fidèle représentant, le général Julio A. Roca, étaient en train de fermer le siège aux communautés indigènes libres de la pampa.

L'encerclement final

En 1875, Roca tente d'annuler le traité et, bien qu'en 1878 le président Avellaneda signe sa reconduction, Roca et l'armée se dirigent vers la veille de la "conquête du désert" : fin 1878, les caciques Pincén, Epumer, Juan José Catriel et Nahuel Payún, le second des grands Pincén, sont capturés.

Baigorrita avait alors décidé de commencer sa retraite vers le sud, vers Neuquén, à la recherche d'un autre des grands lonkos : le Pehuenche Feliciano Purrán, à qui il comptait demander aide et protection pour sa famille et sa communauté. Dans l'une de ses dernières lettres adressées au père Donati, l'un de ses interlocuteurs auprès du gouvernement, datée de juillet 1878, il dit : "J'ai entendu dire que certains chefs militaires veulent nous envahir" et il se demande : "Pourquoi ?
Au-delà des mots, les dés étaient jetés. En février 1879, il réussit à échapper à l'un des premiers assauts des colonnes de la quatrième division commandée par le colonel Uriburu. Plusieurs de ses capitaines et guerriers ont été tués, et près d'une centaine d'"Indiens de lance" et trois cents de "chusma" ont été capturés.

Le 13 mai, le major Illescas l'a attaqué, tuant l'un de ses chevaux blancs préférés. Baigorrita échappa à l'encerclement, mais il resta sur le champ de bataille une trentaine de ses hommes en plus de plusieurs prisonniers.

Ce mois-là, il y a eu deux autres confrontations dans la poursuite qui était devenue une question de vie ou de mort pour les militaires. Le cacique parvient à rester libre, mais jour après jour, il perd des hommes et des femmes de sa communauté, qui se déchire sans remède. À la fin du mois de mai, l'armée porte un coup décisif, faisant de nombreux prisonniers, dont l'épouse du cacique ou sa favorite, l'artiste française Maria Carrière, ancienne captive. Quelques jours plus tard, une nouvelle confrontation a laissé le cacique pratiquement seul.

Le 16 juillet, la rencontre finale a eu lieu à Los Ramblones. Cette fois, il a été surpris par le major Saturnino Torres, capitaine des Choiqueros. Il existe différentes versions de la façon dont s'est déroulée la dernière heure de Baigorrita, mais l'une des plus véridiques dit que, déjà blessé, il a refusé de monter sur un cheval sur lequel il serait fait prisonnier et qu'il a affronté la milice avec une lance dans la main gauche et une dague dans la main droite. Il est tombé avec cinq de ses meilleurs hommes.

On dit que ce jour-là, l'un des ouragans les plus violents de mémoire d'homme a soufflé sur Neuquén. Et depuis ce jour, Luis Franco nous a laissé des mots sincères dans un texte classique de 1967 qui résonnent aujourd'hui : "Il n'a pas accepté de pactes, ni de pardons, ni de cadeaux, ni de captivité. Il a conservé sa dignité jusqu'à l'heure de la mort et au-delà. Il est mort en enfonçant sa lance dans la chair de l'ignominie, c'est-à-dire de la rapacité déguisée en rédemption et en civilisation".

traduction carolita d'un article paru sur Elorejiverde le 27/07/2017

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Argentine, #Peuples originaires, #Leaders indigènes, #Ranquel

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