Bolivie : David Choquehuanca : "Le pouvoir peut corrompre"
Publié le 13 Novembre 2020
Le temps nouveau, c'est écouter le message de nos peuples qui vient du plus profond de leur cœur, c'est guérir les blessures, se regarder avec respect, retrouver sa patrie, rêver ensemble, construire la fraternité, l'harmonie, l'intégration, l'espoir pour garantir la paix et le bonheur des nouvelles générations. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons mener une bonne vie et nous gouverner nous-mêmes.
Nous vous communiquons ci-dessous le texte intégral du discours prononcé par David Choquehuanca, vice-président de l'État plurinational de Bolivie, lors de sa prise de fonction le 8 novembre 2020.
Discours de David Choquehuanca
Avec la permission de nos dieux, de nos frères aînés et de notre Pachamama, et de nos ancêtres, nos achachilas*, avec la permission de notre Patuju*, notre arc-en-ciel, notre feuille de coca sacrée.
Avec la permission de nos peuples, avec la permission de tous ceux qui sont présents et non présents dans cette salle.
Aujourd'hui, je veux partager nos réflexions dans quelques minutes.
C'est une obligation de communiquer, une obligation de dialoguer, c'est un principe de bien vivre.
Nous, les peuples des anciennes cultures, de la culture de la vie, avons conservé nos origines depuis la nuit des temps.
Nous, les enfants, avons hérité d'une culture millénaire qui comprend que tout est lié, que rien n'est divisé et que rien n'est extérieur.
C'est pourquoi on nous dit que nous allons tous ensemble, que personne n'est laissé pour compte, que tout le monde a tout et que personne ne manque de rien.
Et le bien-être de tous est le bien-être de soi-même, qu'aider est une raison de grandir et d'être heureux, que renoncer au profit des autres nous donne le sentiment d'être plus forts, que s'unir et se reconnaître dans l'ensemble est le chemin d'hier, d'aujourd'hui et de demain et toujours d'où nous ne nous sommes jamais éloignés.
L'ayni*, la minka*, la tumpa, notre colka et d'autres codes des cultures millénaires sont l'essence de notre vie, de notre ayllu*.
L'ayllu n'est pas seulement une organisation de la société des êtres humains, l'ayllu est un système d'organisation de la vie de tous les êtres, de tout ce qui existe, de tout ce qui coule en équilibre sur notre planète ou notre mère la terre.
Pendant des siècles, les canons civilisateurs de l'Abyayala ont été perturbés et beaucoup d'entre eux exterminés, la pensée originelle a été systématiquement soumise à la pensée coloniale.
Mais ils n'ont pas réussi à nous éteindre, nous sommes vivants, nous sommes de Tiwanacu*, nous sommes forts, nous sommes comme la pierre, nous sommes Cholke, nous sommes Sinchi*, nous sommes Rumy, nous sommes Jenecheru, le feu qui ne s'est jamais éteint, nous sommes de Samaipata*, nous sommes Jaguar, nous sommes Katari, nous sommes Comanches, nous sommes Mayas, nous sommes Guaranis, nous sommes Mapuches, Mojeños, nous sommes Aymaras, nous sommes Quechuas, nous sommes Jokis, et nous sommes tous les peuples de la culture de la vie que nous avons réveillés égaux, rebelles avec sagesse.
Aujourd'hui, en Bolivie et dans le monde, nous vivons une transition qui se répète tous les 2 000 ans, dans le cadre de la cyclicité des temps, nous ne passons du non temps au temps, en commençant une nouvelle aube, un nouveau Pachakuti* dans notre histoire.
Un nouveau soleil et une nouvelle expression dans le langage de la vie où l'empathie pour l'autre ou le bien collectif remplace l'individualisme égoïste.
Là où les Boliviens se considèrent comme des égaux et savent qu'ensemble nous valons plus, nous sommes en train de redevenir Jiwasa, ce n'est pas moi, c'est nous,
Jiwasa est la mort de l'égocentrisme, Jiwasa est la mort de l'anthropocentrisme et la mort du théolocentrisme.
Nous sommes au moment de redevenir Jisambae qui est un code qui a protégé nos frères guaranis, et Jambae est le même, une personne qui n'a pas de propriétaire, personne dans ce monde n'a besoin de sentir qu'il possède quelqu'un et quelque chose.
Depuis 2006, nous avons entamé en Bolivie un dur travail pour relier nos racines individuelles et collectives, pour revenir à nous-mêmes, pour revenir à notre centre, au taypi*, au pacha*, à l'équilibre d'où émerge la sagesse des civilisations les plus importantes de notre planète.
Nous sommes en train de récupérer nos connaissances, les codes de la culture de la vie, les canons civilisateurs d'une société qui a vécu en relation intime avec le cosmos, avec le monde, avec la nature et avec la vie individuelle et collective, pour construire notre sumak kamaña*, notre sumaja kalle qui est de garantir le bien individuel et le bien collectif ou communautaire.
Nous vivons une époque où nous retrouvons notre identité, nos racines culturelles, notre sake, nous avons des racines culturelles, nous avons une philosophie, une histoire, nous avons tout, nous sommes des personnes et nous avons des droits.
Un des canons incassables de notre civilisation est la sagesse héritée autour du Pacha, garantir l'équilibre dans le temps et l'espace, c'est savoir gérer toutes les énergies complémentaires, celle du cosmos qui vient du ciel avec la terre qui émerge de sous la terre.
Ces deux forces telluriques cosmiques interagissent en créant ce que nous appelons la vie comme une Pachamama* totale visible et une Pachakama spirituelle.
En comprenant la vie en termes d'énergie, nous avons la possibilité de modifier notre histoire, la matière et la vie comme la convergence de la force chachawarmi* lorsque nous nous référons à la complémentarité des opposés.
La nouvelle période que nous entamons sera soutenue par l'énergie de l'ayllu, la communauté, le consensus, l'horizontalité, les équilibres complémentaires et le bien commun.
Historiquement, la révolution est comprise comme un acte politique visant à changer la structure sociale, à transformer la vie de l'individu. Aucune des révolutions n'a été capable de modifier la conservation du pouvoir, de maintenir le contrôle sur les gens.
Il n'a pas été possible de changer la nature du pouvoir, mais le pouvoir a réussi à déformer l'esprit des hommes politiques, le pouvoir peut corrompre et il est très difficile de changer la force du pouvoir et de ses institutions, mais c'est un défi que nous assumerons grâce à la sagesse de notre peuple, notre révolution est la révolution des idées, est la révolution des équilibres, parce que nous sommes convaincus que pour transformer la société, le gouvernement, la bureaucratie et les lois et le système politique, nous devons changer en tant qu'individus.
Nous encouragerons les coïncidences opposées pour rechercher des solutions entre la droite et la gauche, entre la rébellion des jeunes et la sagesse des vieux, entre les limites de la science et la nature incassable, entre les minorités créatives et les majorités traditionnelles, entre les malades et les bien-portants, entre les dirigeants et les gouvernés, entre le leadership culte et le don de servir les autres.
Notre vérité est très simple, le condor ne prend son envol que lorsque son aile droite est en parfait équilibre avec son aile gauche, la tâche de nous former en tant qu'individus équilibrés a été brutalement interrompue il y a des siècles, nous ne l'avons pas achevée et le temps de l'âge de l'ayllu, de la communauté, est déjà avec nous.
Elle exige que nous soyons des individus libres et équilibrés pour construire des relations harmonieuses avec les autres et avec notre environnement, il est urgent que nous soyons des êtres capables de maintenir un équilibre pour nous-mêmes et pour la communauté.
Nous sommes à l'époque des frères de l'apanaka pachakuti, des frères du changement, où notre lutte était non seulement pour nous mais aussi pour eux et non contre eux, nous cherchons le mandat, nous ne cherchons pas la confrontation, nous cherchons la paix, nous ne sommes pas de la culture de la guerre ou de la domination, notre lutte est contre tous les types de soumission et contre la pensée unique coloniale, patriarcale, d'où qu'elle vienne.
L'idée de la rencontre entre l'esprit et la matière, le ciel et la terre de la Pachamama et de la Pachakama nous permet de penser qu'une nouvelle femme et un nouvel homme seront capables de guérir l'humanité, la planète, et la belle vie qui s'y trouve et de rendre la beauté à notre mère la terre.
Nous défendrons les trésors sacrés de notre culture contre toute ingérence, nous défendrons nos peuples, nos ressources naturelles, nos libertés et nos droits.
Nous rendrons à notre Kapak Ñan* le noble chemin de l'intégration, le chemin de la vérité, le chemin de la fraternité, le chemin de l'unité, le chemin du respect de nos autorités, de nos sœurs, le chemin du respect du feu, le chemin du respect de la pluie, le chemin du respect de nos montagnes, le chemin du respect de nos rivières, le chemin du respect de notre mère la terre, le chemin du respect de la souveraineté de nos peuples.
Frères, pour conclure, nous, Boliviens, devons surmonter la division, la haine, le racisme, la discrimination entre compatriotes, plus de persécution de la liberté d'expression, plus de judiciarisation de la politique.
Plus d'abus de pouvoir, le pouvoir doit être d'aider, le pouvoir doit circuler, le pouvoir, tout comme l'économie doit être redistribué, doit circuler, doit couler, tout comme le sang coule dans notre organisme, plus d'impunité, justice frères.
Mais la justice doit être vraiment indépendante, mettons fin à l'intolérance de l'humiliation des droits de l'homme et de notre mère la terre.
Le temps nouveau, c'est écouter le message de nos peuples qui vient du plus profond de leur cœur, c'est guérir les blessures, se regarder avec respect, retrouver sa patrie, rêver ensemble, construire la fraternité, l'harmonie, l'intégration, l'espoir pour garantir la paix et le bonheur des nouvelles générations.
Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons mener une bonne vie et nous gouverner nous-mêmes.
Jallalla Bolivie.
* Achachilas : esprits tutélaires qui protègent les peuples
* Ayllu (quechua) : communauté, tribu, famille ou parenté
* Ayni : forme de travail collectif réalisée dans les ayllus andins
* Chacha warmi : dualité homme-femme dans le concept de la cosmovision aymara
* Kapak ñan (Qhapaq nan) : le vrai chemin, nom du chemin des Incas qui traversait tout leur territoire
* Katari : vipère en quechua
* Minka (minga), forme de travail collectif à des fins sociales
* Pacha : notion de terre, de sol mais aussi de temps délimité (en aymara)
* Pachamama : divinité majeure des peuples de l'Abya Yala
* Pachakuti : changement d'époque, de temps, changement de la terre
* Patujú : le drapeau de la fleur de patuju, symbole national des peuples indigènes de l'est de la Bolivie
* Samaipata : ville de Bolivie ou se trouve un fort et une roche tabulaire couverte de sculptures rupestres
* Sinchi : forts, courageux (en quechua)
* Sumak kamaña : le bien vivre (buen vivir)
* Taypi : le centre, le milieu (en aymara)
source d'origine Agencia Internacional de Prensa Pressenza: https://www.pressenza.com/es/2020/11/discurso-del-vicepresidente-boliviano-david-choquehuanca/
traduction carolita d'un article paru sur Servindi.org le 10/11/2020
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David Choquehuanca: "el poder puede corromper"
El nuevo tiempo significa escuchar el mensaje de nuestros pueblos que viene del fondo de sus corazones, significa sanar heridas, mirarnos con respeto, recuperar la patria, soñar juntos, construir ...
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