Pérou - Le défi de mettre son expérience par écrit (De Haroldo Salazar)

Publié le 5 Septembre 2020

Servindi, 3 septembre 2020 - Nous partageons la réflexion d'Haroldo Salazar, l'un des auteurs d'un livre extraordinaire qui sera présenté et mis en téléchargement gratuit le vendredi 25 septembre.

Il s'agit du texte : "L'essence de notre existence jusqu'à ce que le soleil s'éteigne. Expériences et apprentissage en matière de gouvernance territoriale indigène en Amazonie".

Le livre est le résultat de l'application de la méthodologie appelée "capitalisation des expériences", créée par Pierre de Zutter il y a trois décennies, mais qui confirme son énorme utilité et sa validité pour la promotion des leaderships indigènes.

Le livre rassemble 64 histoires ou fiches de capitalisation qui résultent d'un processus promu par le programme de formation à la gouvernance territoriale autochtone coordonné par Forest Trends, avec le parrainage de l'Agence norvégienne de coopération au développement (Norad) et de l'Initiative internationale norvégienne sur le climat et les forêts (NICFI).

Le livre, tout juste épuisé, a été édité par Forest Trends et Servindi et sera présenté par un panel virtuel le vendredi 25 septembre, après quoi le livre pourra être téléchargé gratuitement et diffusé sur Internet.

Pérou - Le défi de mettre son expérience par écrit (De Haroldo Salazar)

Par Haroldo Salazar

3 septembre 2020 - Je me souviens de l'action de ma main sur un crayon sur des feuilles de papier vierges, et à côté, un ordinateur portable attendant de transcrire nos pensées. C'était une expérience très émouvante de se rajeunir le cerveau pour se souvenir des événements de nos propres expériences de vie dans la lutte pour nos peuples.

Tous ceux d'entre nous qui avaient été invités à l'atelier sont arrivés, un par un, avec beaucoup d'enthousiasme et d'attente dans un endroit très spécial de la campagne, situé dans le district de Pachacamac, au sud de Lima, où les organisateurs nous attendaient.

Comme on nous l'a expliqué, nous avons dû dépoussiérer les connaissances issues de nos expériences, de nos actions, que ce soit en tant qu'enfants, jeunes ou adultes. Le but de cette mémoire de notre vie est d'apprendre à valoriser ce que nous avons vécu, et de l'écrire de façon claire et simple, afin de pouvoir le partager.

La méthodologie appelée "capitalisation d'expériences" a pour but de transmettre des leçons de vie essentielles ; dans ce cas particulier qui nous aide à former un bon leader, qui le motive à participer activement et consciemment à la construction d'une culture indigène avec des valeurs, qui contribue à former de bons citoyens indigènes qui exercent la gouvernance dans les territoires indigènes.

Dans l'atelier, nous avons appris à convertir nos expériences en connaissances, à mettre en valeur nos propres actions, un apprentissage qui était gardé dans la petite poitrine de notre cerveau. Revivre cette petite boîte pleine d'expériences, et s'exercer à construire des mots et des phrases, à les effacer, à les améliorer et à les réécrire a été une expérience fantastique. Apparemment, cela semblait difficile à faire, car nous avons toujours pensé qu'écrire était difficile. L'important dans la méthodologie de l'atelier était de nous donner confiance en nous et de nous guider dans la sélection d'anecdotes significatives. Une étape préalable importante consistait à exposer oralement, de manière très brève, le sujet que nous voulions développer et, après avoir reçu des commentaires et des suggestions, nous avons commencé à construire nos histoires.

Il est incroyable de voir comment ces pages écrites qui étaient vierges ont acquis par la suite une valeur énorme en tant que dépositaires de nos sacrifices et de notre dévouement, capturés dans des nouvelles qui, lorsqu'elles sont basées sur des événements vécus, apparaissent didactiques, divertissantes et très compréhensibles.  Certaines sont pleines de sérieux ou de nostalgie, d'autres sont pleines d'humour.

Chacun des participants a travaillé sur des expériences liées à divers aspects de sa vie ; certains ont traité de l'invasion des terres communales et de la lutte territoriale, d'autres de la santé interculturelle, de la connaissance de la biodiversité, de l'agression et du kidnapping par les groupes terroristes Sentier Lumineux et MRTA, mais aussi du terrorisme d'État et de la pacification, des relations avec les entreprises nationales ou transnationales, etc.

Les différentes contributions rendent visibles les abus causés par l'État lui-même, les entreprises, le trafic de drogue, les colons envahisseurs et même les groupes armés contre les territoires communaux, menaçant la vie individuelle et collective de nos frères et sœurs.

Les différentes histoires reflètent la lutte de notre génération pour défendre nos droits, pour défendre nos territoires communaux et notre territoire ancestral, qui a été violé, et pour faire face à la soi-disant mondialisation. Nous sommes allés en quête de justice devant l'État, les organismes internationaux de défense des droits de l'homme et les banques internationales parce que les prêts à l'investissement reçus par les entreprises extractives qui entrent sur nos territoires ancestraux dépendent d'elles.

Les entreprises profitent des lois qui ne favorisent que les investissements extractifs, sans garantir la responsabilité sociale et environnementale ; pendant ce temps, nous, les peuples, sommes fatigués de subir l'esclavage, le mépris et les mauvais traitements sur nos territoires. Les histoires du livre reflètent le moment historique dans lequel les générations actuelles et nouvelles emploient différentes formes et stratégies de lutte pour sauvegarder leurs droits.

En ce sens, il convient de faire remarquer aux nouvelles générations que la valeur des territoires communaux et tout ce qui a été réalisé n'était pas gratuit, mais a été obtenu grâce aux efforts de nombreux dirigeants et gestionnaires qui ont traversé l'histoire du mouvement indigène. Les États et la société civile doivent prendre conscience que nous, les peuples, sommes déjà autonomes et capables de dialogue et de respect. Nous pouvons continuer à contribuer largement au développement de nos pays, mais dans le respect mutuel, au sein de la pluriculturalité et de l'interculturalité qui valorise la cosmovision de la richesse culturelle de nos peuples autochtones.

Nous pensons ainsi aider le mouvement indigène, le grand public et ceux qui occupent des fonctions gouvernementales à comprendre l'énorme effort que nous devons faire pour parvenir à la paix, à la tranquillité et au bien-être collectif avec une identité. Ils sauront aussi comment nous, les peuples, assumons la défense de l'environnement et faisons partie de la conscience qui se lève et qui fait face à la crise climatique qui touche déjà notre grande mère, appelée planète Terre, avec toute sa grande biodiversité.

Maintenant que le livre est terminé, on se satisfait d'avoir apporté quelques pages d'un grand livre construit par des acteurs de la défense de la vie, du territoire et de la survie des peuples dans cette partie du continent. Nous espérons que le livre encouragera un courant d'opinion en faveur de la gouvernance indigène dans la prise de décision des organisations indigènes aux niveaux communal, fédératif, régional, national et international, ainsi que dans la sphère de la société civile et de l'État. À cette fin, il sera important de le diffuser et de le mettre à la disposition des bibliothèques scolaires des communautés indigènes.

Les actions écrites dans nos histoires, maintenant rassemblées dans un livre, sont illuminées par l'éclat de l'arc-en-ciel et sont écrites à chaque instant dans les rivières, dans les lacs, elles sont tracées dans toute la croûte amazonienne et avec les pinceaux des rayons du soleil et de la lune, elles sont déjà dans toutes les feuilles tropicales, comme une sœur reconnaissante. Nos actions écrites se trouvent également dans les océans et - en tant qu'auteurs - nous pouvons sentir la gratitude des mers qui reconnaissent nos actions écrites dans le firmament bleu, qui sera vu par un monde qui nous a ignorés en tant que peuples ayant droit à une justice oubliée.

traduction carolita d'un article paru sur Servindi.org le 03/09/2020

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