Sur la route du coronavirus

Publié le 22 Avril 2020

20 avril, 2020 par Tlachinollan

Ce dimanche 19 avril, nous avons enregistré 18 décès de migrants de la Montaña, survenus à New York, dus au coronavirus. Selon les informations des prêtres catholiques, qui apportent leur soutien à la population mexicaine confrontée à ces ravages, il y aurait environ 300 000 personnes infectées. Le plus dramatique est le nombre de décès qui dépasse les 14 000 personnes. Cependant, la population même constate qu'il y a bien plus de décès, car de nombreuses personnes meurent chez elles.

Ce qui est inouï, c'est que le système de santé de cette mégalopole s'effondre. Il n'y a pas de lits pour soigner les patients, pas de personnel médical pour les contrôler. D'autre part, de nombreux migrants hésitent à se rendre dans les hôpitaux, car ils craignent une issue fatale : "Je ne veux pas mourir seul", est l'argument qui émerge parmi les familles vivant avec le coronavirus. Selon des informations non officielles, environ 300 compatriotes sont décédés des suites du COVID - 19.

Sur le profil Facebook Ah, Chingao ! nous avons trouvé 59 cas de migrants décédés dont les familles demandent une aide pour le paiement des frais funéraires. Leur message principal est très révélateur : "Que tous les compatriotes qui ont perdu la vie à cause du COVID-19 à New York reposent en paix. 🗽🙏😢. Nous n'avons pas encore le nombre exact de mexicains qui ont perdu la vie dans cette pandémie, mais nous pouvons voir que les plus touchés sont les hommes. Que Dieu bénisse toutes vos familles en ces temps difficiles et que de nombreux amis prennent les précautions nécessaires. 🙏 #compartir #mexicanosennuevayork #coronavirus #mexico”.

Les images et les messages que vous nous transmettez résument la tragédie à laquelle vous êtes confrontés : "Mon mari est décédé hier à 15 heures à l'hôpital d'Elmhurst, nous avons besoin de votre aide, s'il vous plaît, pour pouvoir payer les funérailles, aujourd'hui pour nous et demain pour vous, je vous remercierai" ... "Rapatrier le corps d'un défunt en ce moment de crise est très difficile, c'est pourquoi nous voulons envoyer les cendres à l'épouse, au fils et surtout à la maman de Jésus, afin qu'ils donnent le dernier adieu à l'ami. EN NOUS AIDANT NOUS LES AIDONS. MERCI".

Les rêves et les projets de vie des jeunes qui, il y a 40 ans, sont partis aux États-Unis parce qu'ils n'avaient plus accès à un morceau de terrain dans la Montaña ont été brisés. La voie du coronavirus s'est répandue massivement dans les cinq comtés de New York. Elle a eu un impact important sur les secteurs sociaux les plus vulnérables et les plus marginalisés.  Les autorités n'ont jamais imaginé que le monstre de la pandémie ferait plus de victimes qu'en Chine. Le confort des New-Yorkais leur a fait croire qu'ils étaient au-delà du bien et du mal, et donc que leur puissance économique les rendait invincibles.

Pour les migrants, avec l'arrivée du coronavirus, le travail est terminé et leur vie se réduit à la petite pièce où plusieurs familles vivent ensemble. Leur confinement et leur surpeuplement ont été le terrain de reproduction de la contagion. Ils ont été piégés sans trouver de moyen de sortir de la maladie. Ils préféraient rester ensemble à la maison, plutôt que d'aller à l'hôpital, car le sentiment de ne pas être traités comme des citoyens américains pesait lourdement sur eux. Le traitement discriminatoire dans cette urgence sanitaire a coûté la vie à de nombreux Latinos et Afro-Américains.

Les autorités américaines et mexicaines ont laissé la population migrante dans une détresse totale. La fermeture des bureaux et l'impossibilité d'établir un dialogue direct avec les fonctionnaires ont annulé tout appel à l'aide. L'attention s'est portée sur la population américaine qui dispose d'un certain pouvoir d'achat et qui a eu le privilège d'acheter une assurance maladie. Les membres du consulat mexicain à New York subissent le même sort que les migrants mexicains : ils sont confinés et le mieux qu'ils puissent faire est de répondre au téléphone pour dire qu'ils n'ont pas les moyens de payer les frais d'obsèques. Le paradoxe est que le samedi 18, le même consulat a déclaré qu'il "fournit des soins et un soutien économique aux familles des Mexicains morts du coronavirus (COVID-19) sur le territoire de New York. Il a déclaré sur  son compte twitter que "tous les cas des personnes qui communiquent avec nous sont pris en charge", et il a réitéré qu'il "apporte un soutien économique au transfert des restes", pour lequel il a permis à ses réseaux sociaux et ses numéros de téléphone de recevoir les demandes.

La réalité est que les migrants mexicains ont dû raviver leur solidarité entre eux, promouvoir la coopération et demander également le soutien de familles dans la Montaña ou dans d'autres États. Face à l'impossibilité de collecter au moins trois mille dollars pour la crémation de chaque membre de la famille décédé, de nombreux migrants ont utilisé la plateforme GoFundme pour solliciter le soutien des internautes, compte tenu de l'augmentation des coûts due à la forte demande de services funéraires.

La route du coronavirus est en grande partie la route migratoire que les Mexicains ont ouverte, ce n'est donc pas un hasard si la Basse-Californie et le Sinaloa se classent troisième et quatrième au niveau national en termes de nombre de personnes infectées par le coronavirus. Il est important de noter qu'au cours des mois de septembre à décembre 2019, le Conseil des travailleurs agricoles de la Montaña basé à Tlapa a enregistré 3.675 personnes qui sont allées travailler dans les champs agricoles de ces états.

Dans cette première étape de la migration, la plupart des familles de travailleurs journaliers se sont inscrites dans les champs agricoles de Buen Año, Isabeles, Exportalizas mexicana, Cerrucho, Golden de los Dorados, Santa Elena, Nogalitos, El Toro, El Dorado, Saucito, tous dans l'État de Sinaloa. Le recensement du Conseil des travailleurs journaliers a enregistré 3 080 personnes, soit 84 % de la population des travailleurs journaliers qui ont quitté les municipalités de Tlapa, Metlatónoc, Cochoapa el Grande, Xalpatláhuac, Atlixtac et Alcozauca. La majorité des familles sont originaires des villages Na'savi, Me'phaa et Nahua. Dès le début de la scolarité, les parents partent avec leurs enfants pendant six mois, c'est-à-dire le premier semestre de l'année scolaire. D'autre part, ce sont des familles qui n'ont pas de terre à planter et la plupart d'entre elles ne bénéficient pas des programmes sociaux mis en place par le gouvernement fédéral.

En plus d'être invisible pour les autorités fédérales et étatiques, la population des travailleurs journaliers est la plus vulnérable et sans défense. Tout au long du processus de migration, ils sont confrontés à un traitement discriminatoire, à l'extorsion, au harcèlement et à l'exploitation de leur travail. En plus de tous ces chemins de croix qui font d'eux les otages des auto-stoppeurs, des chauffeurs, des caporales et des patrons, ils sont maintenant aussi confrontés à la menace du coronavirus. Ils se retrouvent dans les champs agricoles où ils vivent dans la galères, surpeuplés, sans eau potable, confinés dans les mêmes champs où se trouvent des boutiques, qui pillent le salaire précaire qui leur est versé chaque semaine. Aucune entreprise n'a été tenue de prendre des mesures préventives pour éviter la contagion au sein de la population active, et encore moins pour garantir des conditions optimales permettant aux familles d'avoir de l'eau potable à domicile et un lieu de repos décent. 

Les autorités fédérales et des États fédérés doivent tenir compte du fait que la population des travailleurs journaliers doit recevoir le soutien et la protection dont elle a besoin, d'autant plus qu'elle se trouve dans une détresse totale et loin de ses communautés. Il n'y a personne pour faire respecter leurs droits en tant que travailleurs, et encore moins pour que les employeurs assument leur responsabilité de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la contagion. Il est très risqué pour les familles d'avoir leurs enfants dans les sillons pendant que les mères et les pères récoltent les légumes dans les jours difficiles.

Nous avons demandé l'intervention de la responsable du Secrétariat du travail et de la protection sociale, María Luisa Alcalde Luján, pour intervenir auprès des employeurs au nom des travailleurs journaliers. Il est également nécessaire que les autorités de l'État puissent se coordonner avec les autorités fédérales pour apporter un soutien à ces familles et suivre la situation à laquelle elles sont confrontées, en particulier celles qui travaillent dans l'État de Sinaloa et de Baja California.

De leur côté, les communautés indigènes de la Montaña ont passé des accords pour placer des filtres aux entrées et sorties de leurs localités. C'est une mesure drastique face à un scénario dévastateur, car nous n'avons pas de système de santé en mesure de faire face à cette pandémie. C'est pourquoi il est important que les autorités municipales se coordonnent avec les autorités de santé et de sécurité publique pour soutenir les initiatives de la communauté, mais surtout pour fournir des kits anti-bactériens afin d'aider à prévenir la contagion. Il est nécessaire que les présidences municipales garantissent l'approvisionnement en eau, et qu'un programme spécial de céréales de base soit mis en œuvre pour la majorité de la population pauvre.

 La courbe de contagion est sur le point d'atteindre la Montaña, et pour cela il est nécessaire d'écouter et de s'occuper des communautés indigènes, des migrants internationaux et des travailleurs agricoles, qui luttent avec leurs propres forces pour faire face à la pandémie. Il est urgent que les autorités américaines, le consulat du Mexique à New York en coordination avec les autorités fédérales et étatiques, s'occupent de l'urgence sanitaire dont souffrent les migrants indigènes à New York. La route migratoire des peuples indigènes en quête de survie est désormais devenue la route du coronavirus.

Centre des droits humains de la Montaña Tlachinollan

source d'origine  periódico El Sur

traduction carolita d'un article paru sur le site Tlachinollan.org le 20 avril 2020

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Mexique, #New-York, #Santé, #Peuples originaires, #Coronavirus, #Migrants

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