Notre combat : les femmes noires migrantes en Espagne

Publié le 8 Mars 2020

Remei Sipi Mayo

Parler de la migration des femmes noires en Espagne peut être un peu prétentieux si ce que nous essayons, comme c'est le cas dans cet article, est d'esquisser une légère approche de ce que sont les expériences personnelles le long d'un continuum espace-temps que nous pouvons placer entre les années 70 de la dernière décennie du dernier millénaire et les années 20 de l'actuel XXIe siècle. 

Et pour rendre objectif ce récit, nous devons nous référer à la diversité des femmes qui ont peuplé la diaspora à partir de différents lieux et continents d'origine, ainsi qu'aux diverses raisons de nos mouvements. Laissant de côté ces spécificités, nous allons refléter dans cet article nos luttes qui, bien qu'elles soient égales en contenu, ne le sont pas dans les formes qu'elles prennent. 

Beaucoup d'entre nous les femmes viennent de pays lointains et d'autres sont déjà nées en Espagne : celles qui viennent de loin sont arrivées avec des valises et des sacs à dos pleins de rêves et d'illusions, tandis que celles qui sont nées ici regardent leurs valises et leurs sacs à dos, auxquels elles ajoutent des illusions et d'autres rêves générés par leurs expériences et nos présences. 

Nous pouvons donc y placer notre présence visible depuis plus de quarante ans. Et depuis lors, nous nous sommes battues, nous avons travaillé, nous avons vécu, nous avons souffert et nous avons aimé. 

L'ASSOCIATIONNISME : CONSTRUIRE NOS PROPRES ESPACES 

Les femmes migrantes ont une histoire qui remonte à la création d'associations de groupes de femmes (années 70 et 90 du siècle dernier). Dans ces espaces, nous avons partagé nos histoires, nos expériences et tout cela nous a amenés à nous battre pour nos droits. Ensemble sur ce chemin, nous avons réalisé combien de choses nous unissaient, tout en partageant nos différences. Des différences, donc, qui signifient aussi un enrichissement mutuel en termes de complémentarité nécessaire et la génération - dans certains cas - de visions du monde capables d'ouvrir les esprits et d'intégrer de nouvelles perspectives.

Cela nous a coûté beaucoup, tant la différenciation nécessaire par rapport aux associations mixtes existantes, que de faire un espace entre les associations féministes de l'époque.

De ces associations de femmes, nous avons initié tous les combats qui, à ce moment-là, sont passés pour avoir un espace propre. Question qui nous a coûté cher, tant dans la nécessaire différenciation par rapport aux associations mixtes existantes, que pour nous faire une place dans les associations féministes spécifiques de l'époque. La différenciation juridique et civique des femmes arrivées pour le "regroupement familial", qui ne pouvaient pas avoir leur propre documentation, puisqu'elles étaient incluses dans celle du mari, faisait également partie de ces premières luttes, avec les conséquences néfastes de la dépendance conjugale qui impliquait le fait que "soit tu te comportes comme je veux, soit je te renvoie dans ton pays d'origine", pour l'expliquer de manière graphique et synthétique. 

DE LA "NON-FOLKLORISATION" À L'INTERCULTURALITÉ 


Deuxièmement, nous avons fixé comme objectifs et priorités l'inclusion dans les programmes scolaires de questions importantes telles que, par exemple, la révision des manuels scolaires afin d'y intégrer notre propre histoire tout en nous rendant visibles de manière réelle et cohérente. 

En ce qui concerne le traitement de nos luttes et de nos expériences dans les médias, nous avons pu influencer le fait, par exemple, que nous n'utilisions pas les origines ethniques et sociales dans ces nouvelles qui ne cherchaient qu'à faire ressortir l'impact négatif de nos diverses réalités, qui n'étaient ni éloignées ni différentes de celles du contexte dans lequel nous vivions. 

Nous avons également dû travailler à la "non-folklorisation" de nos cultures d'origine dans tous les événements "interculturels" qui ont été mis en place dans les écoles, les centres civiques et les différentes foires et festivals de la diversité, qui à un moment donné ont commencé à devenir tellement à la mode que nous avons essayé de les remplir de contenus en termes de connaissance mutuelle nécessaire et de non-stigmatisation de nos réalités. 

C'est dans tous ces contextes que nous avons mis en place les différentes associations : E'Waiso Ipola, association de femmes guinéennes ; Musa Kafo de femmes gambiennes et sénégalaises ; Associations de Femmes Philippines, plusieurs associations de femmes d'Amérique latine, etc. Au début, nous avons travaillé de manière isolée, tant au niveau des associations que des groupes ethniques et géographiques d'origine. Ainsi, à un moment donné, nous avons vu la nécessité d'unir nos efforts pour atteindre ces objectifs communs pour lesquels il était évident que nous n'avancerions pas isolément. Nous avons donc créé la Fédération des Collectifs d'Immigrants de Catalogne (FCIC), qui regroupe à la fois des associations féminines spécifiques et des associations mixtes. 

L'un des outils que nous avons utilisés pour promouvoir les ressources et le travail en commun a été de créer des espaces spécifiques pour les femmes, comme l'association Yemanjá, qui rassemble des femmes de différentes origines : Afrique, Amérique latine et Asie du Sud-Est, essentiellement. 

À ce stade, je pense qu'il est important de souligner le fait que nous sommes conscientes, en tant que femmes migrantes, de la responsabilité que cela implique de travailler pour parvenir à la meilleure intégration possible dans la société d'accueil, en recherchant des outils et des mécanismes qui permettent à cette "intégration" de se dérouler de la manière la moins néfaste possible. Et le moyen d'y parvenir est d'être perméable à d'autres sentiments, y compris ceux de la société d'accueil, pour faire en sorte que l'intégration soit possible, en convergeant avec des mouvements pluralistes, solides et avec la nécessaire complicité de la société d'accueil, sur un plan d'égalité sans faille.

CONTRE L'HÉGÉMONIE DU FÉMINISME OCCIDENTAL 


En ce qui concerne nos relations avec les organisations féministes en Occident, je voudrais souligner deux questions importantes et elles reviennent sur des concepts et des pratiques qui ont trait à la façon dont nous nous situons par rapport au discours féministe et où et comment localiser nos féminismes militants noirs. Et c'est dans ce contexte que je voudrais signaler que, dans le domaine du militantisme personnel, je participe activement aux espaces féministes depuis les années 1970, dans lesquels j'ai contribué et reçu toute une série d'informations et de formations, qui m'aident à moduler et à construire tout le réseau des féminismes occidentaux et leur différenciation des féminismes noirs dans toutes leurs significations : Noirs africains, Afro-Américains, afrodescendants. Je voudrais souligner qu'à l'heure actuelle, je crois que nous sommes au début du débat et de la controverse concernant la non-hégémonie des discours féministes occidentaux, dans tout ce qui concerne le large mouvement féministe des femmes noires. 

Etant donc au niveau individuel, ainsi que dans les espaces de relation avec les organisations féministes occidentales, j'ai vérifié que nous ne sommes pas reconnues, en même temps que nous sommes exclues de certains espaces de débat, ne considérant pas nos contributions quand elles s'éloignent de ce qui est établi par le féminisme hégémonique occidental.

"Dans les espaces de relation avec les organisations féministes occidentales, j'ai vérifié que nous ne sommes pas reconnues, en même temps que nous sommes exclues de certains espaces de débat, ne tenant pas compte de nos contributions."

DE NOUVEAUX ESPACES D'AFRODESCENDANTS 


Les nouvelles générations d'afrodescendants qu'elles soient nées ou élevées dans la société d'accueil, ont grandi en sachant qu'elles doivent se battre sur un pied d'égalité avec leurs homologues occidentaux. Elles ont formé de nouveaux espaces de revendications et de propositions, qui sont très valables dans la mesure où elles sont le produit de leur propre expérience, à laquelle on peut ajouter dans certains cas l'apport de leurs références, qu'elles ont transmuées dans d'autres contextes éloignés mais aussi valables que ceux qui leur sont proches. 

C'est ainsi que je veux parler des espaces propres aux personnes d'origine africaine. En 2016, l'Association Hibiscus des Afro-espagnols et des Afro-descendants est constituée à Barcelone dans le but de donner une visibilité à l'afro. L'association chapeaute plusieurs projets, entre autres : Black Barcelona Encuentro, où elles discutent, exposent, partagent et revendiquent leurs expériences afin de les collectiviser et de les rendre publiques ; la compagnie théâtrale No somos Whoopi Goldberg, ainsi que le projet Erasmus + Juventud Afro. 

À Madrid, l'espace Afro Conscience a été créé, qui, avec des objectifs similaires à ceux de Black Barcelona, cherche également à générer de l'empathie et de la proximité entre les afro-descendants et les jeunes activistes qui sont invités à participer et à exposer les situations sociales et politiques des pays africains. 

Ces deux rencontres s'adressent à tous les fils et filles de la diaspora, mais il existe aussi des espaces spécifiques par origine et par milieu, comme celui qui a lieu chaque année à Fuenlabrada (Madrid) et qui est une rencontre des jeunes de Bubi (Guinée équatoriale) de la diaspora qui s'est déjà tenue trois fois. 

Ces événements de lutte et de revendication contribuent à leur tour à rendre visible le travail qui se fait dans les différents domaines de la culture, de la société, de la politique, etc. et dont on peut voir les résultats dans le domaine de la culture avec des actrices comme Silvia Albert avec son œuvre No es país para negras (Ce n'est pas un pays pour les noires) ; Magda Mbande, actrice et monologue ; Montserrat Anguiano, peinture corporelle. L'écrivain et journaliste Lucía Mbomío, avec des titres tels que Las que darrieron oHija del camino ; Desirée Bela avec son livre Ser mujer negra en España ; la librairie valencienne United Minds, avec Deborah Ekoka. Des femmes politiques tels que Rita Bosaho, qui a été membre du Congrès en 2015, étant la première femme noire à obtenir une représentation au Congrès des députés et qui occupe actuellement le poste de directrice générale de l'égalité de traitement et de la diversité. On peut également citer la journaliste et présentatrice de télévision Tania Adams. Et les cinéastes Aïda Bueno Sarduy et Sally Fenaux Barleycorn. 

Il est clair que la lutte pour notre propre identité en tant que femmes noires se poursuit sur tous les fronts : social, politique et culturel, d'où nous sommes et où l'on nous attend - ou non - mais où personne ne peut plus nous ignorer et d'où il est essentiel de générer toutes les synergies pour approfondir nos revendications dans la recherche d'une société plus juste et plus égalitaire. 

Puissent tous les efforts passés, présents et futurs nous aider à créer de nouveaux espaces qui nous sont propres, où l'on peut voir les fruits de nos luttes. 

source d'origine  El Salto

Rédigé par caroleone

Publié dans #Espagne, #Droits des femmes, #Migrants, #Afrodescendants

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