Chili - Le Mapuzugun dans les rues d'un Santiago insurrectionnel

Publié le 29 Novembre 2019

"Jusqu'au 18 octobre, le mapuzugun n'était pas dans la rue, il n'était pas une langue publique, son usage était plutôt symbolique ; cependant, la graine semée par les kimelfe dans les écoles, les universités et les collectifs autonomes fleurissait au printemps chilien. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement la wenufoye qui s'élève avec résistance, fierté et espoir d'un Chili qui respecte les peuples originaires ; ce ne sont pas seulement les statues des colonisateurs qui ont été renversées (comme celle de Francisco de Aguirre, à La Serena, ou celle de Pedro de Valdivia, à Concepción) ; c'est aussi la langue mapuzugun qui sertà écrire ce que l'espagnol ne sait exprimer, pour entrer dans l'histoire de la plurinationnalité qui commence dans la rue.

   
     
Par Elisa Loncon et Belen Villena 27 octobre 2019

Le 24 novembre, plus d'un mois après le début des mobilisations pour les inégalités sociales, économiques, culturelles, politiques et structurelles, nous nous sommes rendus dans les rues les plus proches de la Plaza de la Dignidad pour enregistrer l'utilisation de la langue mapuzugun dans les graffitis et les murs rayés.

Nous sommes deux kimelfe, un "professeur" en langue mapuche, chercheurs et néologues, qui travaillons dur pour que la langue mapuche retrouve son usage fonctionnel, pour qu'elle ne soit plus la langue cachée mais celle qui remplit les jeunes et les enfants qui l'utilisent de fierté.

Notre surprise a été telle lorsque nous avons commencé à trouver des messages écrits entièrement en mapuzugun, d'autres mélangés à l'espagnol et beaucoup exprimant dans cette dernière langue des messages faisant référence aux revendications mapuche.

Près de la Maison Centrale de l'Université Catholique, nous avons été captivés par le graffiti Newen kimelfes ("professeurs de force"). Nous avons toujours eu besoin de newen pour restaurer l'usage d'une langue minoritaire, discriminée et pour l'enseigner avec la beauté que sa valeur exige.

Nous avançons encore et trouvons Amulepepe tayiñ weichan ("Que notre lutte continue"), Wewaiñ ("nous gagnerons"), Marichiwew ("dix fois nous gagnerons"), Marichiwew pu peñi'dix fois nous gagnerons, frères', Yanakona wigka trewa' chiens traîtres chiliens' et Pu kutriñuke mari chaw'coquillages de sa mère et dix papas'. Petu weichatuiñ chew püle mülepaiñ se trouve même dans le monument de la Place de la Dignité, avec sa traduction "nous nous battons toujours où que nous sommes".

D'autres textes incorporent des mots ou des concepts du mapuzugun, comme Catrillanca presente ; Wallmapu Libre ; Peñis asesinados en democracia (peñis assassinés en démocratie) ; Alex Lemun presente ; Newen cacique ; La ley winka me seca las venas (la loi des blancs me dessèche les veines) ; Más newen menos pacos (Plus de newen moins de pacos (policiers) ; Para frente a toda su violencia, ¡wetruwe ! a los pacos, con la actitudado weychafe.

Il y a aussi beaucoup de messages en espagnol qui expriment les demandes des peuples originaires, parmi lesquels : Tierra como sujeta de derecho (Terre comme sujet de droit) ; Cuando uno cae diez se levantan (Quand un tombre dix se lèvent) ; Contra toda violencia neoliberal, clasista, racista y patriarcal (Contre toute violence néolibérale, classiste, raciste et patriarcale) ; Baquedano asesino (Baquedano assassin), pacificación de la Araucanía (Pacification de l'Araucanie) ; No + represión al pueblo mapuche (Non, plus de répression du peuple Mapuche) ; Tierra, cultura, justicia y libertad (Terre, culture, justice et liberté) ; Te acompaño porque soy parte de ti  (Je t'accompagne car je suis une partie de toi); Resistencia mapuche( Résistance Mapuche); Cerro Huelen ; 200 yeux de moins et nous pouvons toujours voir ; Nous n'avons pas peur; Nous avons la force de nos ancêtres; Liberté à la terre ; Liberté aux prisonniers politiques Mapuche ; Etat génocidaire ; et Catrillanca, pour toi et tous mes compagnons.

 

Jusqu'au 18 octobre, le mapuzugun n'était pas dans la rue, il n'était pas une langue publique, son usage était plutôt symbolique ; cependant, la graine semée par les kimelfe dans les écoles, les universités et les collectifs autonomes fleurissait au printemps chilien. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement la wenufoye qui s'élève avec résistance, fierté et espoir d'un Chili qui respecte les peuples d'origine ; ce ne sont pas seulement les statues des colonisateurs qui ont été renversées (comme celle de Francisco de Aguirre, à La Serena, ou celle de Pedro de Valdivia, à Concepción) ; ce sont aussi les langues mapuzugun qui servent à écrire ce que l'espagnol ne sait exprimer, pour entrer dans l'histoire de la plurinationnalité qui commence dans la rue.

Les peuples en contact ont échangé des connaissances, se sont mutuellement prêté des mots ; il n'y a pas de langues lexicalement pures et le castillan est une langue enrichie de langues indigènes ; par exemple, guagua est quechua ; pololo est mapuche, chocolat est nahuatl, etc. Dans ce qui est aujourd'hui la région métropolitaine de Santiago, plusieurs peuples ont toujours vécu ensemble, elle a toujours été diverse ; c'était un territoire de passage et de contact avec d'autres villes, ce qui a été prouvé par la découverte de sites cérémoniels de peuples autochtones tels que Cerro Chena ou Cerro Welen, colonialement appelé Santa Lucía. Aujourd'hui, elle compte 614 000 Mapuches (35% de la population mapuche totale de 1 700 000 habitants selon le recensement de 2017). Selon les données de ce recensement, 10,1% de la population de la région métropolitaine est autochtone, y compris les Aymaras, Quechua, Rapa Nui, Diaguita, Colla, Selknam, Yagan et Mapuche.  A Santiago, il y a aussi des migrants, avec lesquels d'autres langues sont arrivées, comme le créole haïtien, dont les locuteurs sont également discriminés pour leur langue, car elle n'a pas le même prestige social que l'anglais, l'allemand ou le chinois mandarin, associés au commerce.

L'enseignement des langues indigènes à Santiago ne répond pas à la forte demande de leur apprentissage ; il y a un manque de personnes pour les enseigner. Il existe plusieurs expériences, l'une d'entre elles est l'École de Langues Indigènes qui a été mise en place le samedi pendant trois ans à l'Université Catholique Silva Henríquez, en accord avec le Ministère des Cultures et du Patrimoine et les organisations indigènes de la région métropolitaine. Cette école offre trois niveaux de mapuzugun (initial, intermédiaire et avancé), ainsi que l'enseignement du rapa Nui, quechua et aymara. Il existe également des cours à option dans les universités : Université du Chili, Université catholique. Le mapuzugun et la langue des signes sont enseignés comme langue seconde à l'UMCE (Université Metropolitaine de la Science de l'Education). Il y a aussi des groupes autonomes qui enseignent la langue, comme les Yafuluwaiñ. Cependant, aucun professeur d'université ne forme des professeurs pour enseigner les langues autochtones et les droits linguistiques des peuples autochtones ne sont toujours pas reconnus dans les politiques publiques, ce qui porte gravement atteinte à ces langues et reproduit le racisme, le linguicide et l'épistémicide.

Le Chili a réveillé le " Xepey Chile " ; les langues autochtones devraient figurer dans la Constitution, et pas seulement les langues hispanophones méritent respect et dignité ; toutes les langues devraient être considérées égales en droit et en dignité.

En 1994, les indigènes zapatistes disaient : "Plus jamais un Mexique sans nous" ; aujourd'hui, les Chiliens qui portent le drapeau mapuche ont dit : nous n'ignorerons plus jamais les Mapuches et les indigènes car ils sont nos frères. Ils disent :

Je vous accompagne parce que je fais partie de vous 'Mvr xekaleayu eymi iñcugeyu' Lutte en tant que femme contre tout l'Etat patriarcal 'Malen erke weycayafimi ti wenxuwe estaw' Catrillanca, pour toi et pour tous mes compagnons 'Kaxvyagka eymi mu ka kom tañi xvrgen mu'.

traduction carolita d'un article paru sur Mapuexpress

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Chili, #Peuples originaires, #Les langues, #Mapuzungun, #Mapuche

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