Célia Xakriabá: «Les capitalistes sont des rongeurs et mangeurs de terre»
Publié le 26 Septembre 2019
En parallèle du sommet climat de l’ONU, les représentants des peuples amazoniens ont tiré la sonnette d'alarme. Mais à l'assemblée générale des Nations unies, ce mardi, Bolsonaro a réfuté le fait que l'Amazonie appartenait au patrimoine de l'humanité. Plusieurs organisations préparent un boycott sur les importations de produits brésiliens en Europe. Entretien avec la militante Célia Xakriabá.
Un grand absent, et un président qui veut s’afficher comme le sauveur de la forêt tropicale. Tandis que Jair Bolsonaro snobait le sommet climat de l’ONU, qui se tenait lundi à New York, Emmanuel Macron annonçait une aide de 100 millions de dollars pour la « reforestation » de l’Amazonie. La mesure a aussitôt été critiquée par les ONG, notamment Greenpeace qui dénonce le double discours du chef de l'exécutif : « Une contribution financière de 100 millions de dollars ne solde pas la responsabilité de la France dans la déforestation. Si Emmanuel Macron veut être crédible dans la protection des forêts mondiales, il doit renforcer et mettre en œuvre la Stratégie Nationale contre la Déforestation Importée (SNDI) qui ne contient actuellement aucune mesure contraignante et prévoit que la France continue de contribuer à la déforestation jusqu’en 2030. »
Ce mardi, à l'assemblée générale qui a suivi le sommet climat, le président brésilien a fini par apparaître. Dans un discours d'une rare agressivité dans l'enceinte des Nations unies, il a décrété que l'Amazonie n'appartenait pas au patrimoine de l'humanité, et a refusé toute aide extérieure pour mettre fin aux feux qui ravagent la forêt depuis le début de l'été.
Au-delà du jeu de postures, Mediapart s'intéresse à ce que vivent les populations sur place. De passage à Paris pour le festival Brésil en Mouvements organisé par Autres Brésils et Amnesty International France, Célia Xakriabá est l’une des figures de la lutte féministe et environnementale au Brésil. Elle s’est fait connaître pour avoir défendu le droit de porter le costume traditionnel dans son État, le Minas Gerais, situé dans la vaste région de savane du Cerrado. Aujourd'hui âgée de trente ans, cette femme née sous le nom de Célia Nunes Correa (mais plus connue sous le nom de Xakriabá, qui est le nom de son peuple) enseigne à l’université et milite pour l’accès à l’éducation des peuples autochtones de son pays. Entretien.
À quel point l’Amazonie est-elle ravagée aujourd’hui par les incendies ?
Célia Xakriabá : Près de 30 000 km2 de forêt ont été brûlés en août. Et cela continue. C’est inimaginable. Les effets se font d’ailleurs ressentir bien au-delà de l’Amazonie : à São Paulo, à 2 000 km de là, la nuit est tombée à trois heures de l’après-midi à cause des fumées… Parmi les feux qui se sont propagés depuis cet été, 200 touchent des territoires peuplés d’autochtones.
L’Amazonie n’est malheureusement pas le seul biome [c’est-à-dire un écosystème caractéristique d’une zone géographique – ndlr] à être ravagé aujourd’hui par les incendies. La région d’où je viens, le Cerrado, est le deuxième biome du Brésil après l’Amazonie. Quatre-vingt-dix peuples autochtones y vivent, et ils sont victimes des mêmes feux qui ravagent l’Amazonie. Dans le Cerrado, il ne reste qu’un tiers de la végétation naturelle d’origine. C’est la plus grosse dévastation qu’ait connue l’Amérique du Sud, elle a été provoquée en grande partie par les plantations de soja.
Ces incendies brûlent doublement : ils mettent à nu la terre pour faire avancer l’agrobusiness et ils brûlent notre mode de vie. Car parallèlement aux incendies, les peuples autochtones sont victimes d’innombrables attaques. Dernièrement, une maison de prière appartenant à la communauté guarani-kaiowá a été brûlée. Un lieu sacré ! Pour moi, c’est de la même nature que le meurtre, en 1991, de Gaudinos dos Santos, ce leader indigène de la communauté Pataxó qui avait été brûlé vif devant le parlement de Brasília.
Ce sont les mêmes flammes qui continuent de brûler aujourd’hui. Que ce soit en Amazonie ou dans le Cerrado, une terre qui brûle, c’est comme si c’était notre corps qui brûlait.
La surexploitation des terres et la déforestation au Brésil durent depuis des décennies. Qu’est-ce qui est nouveau aujourd’hui ?
Ces feux interviennent dans le contexte du gouvernement Bolsonaro – un gouvernement qui a libéralisé l’accès aux armes, ce qui équivaut à une autorisation d’assassiner les indigènes et les paysans. Un gouvernement qui flexibilise la législation environnementale, ce qui équivaut, là aussi, à une autorisation d’assassiner les peuples autochtones. En à peine huit mois, nous nous sommes fait massacrer par le pouvoir. Dans les six jours qui ont suivi l’entrée en fonctions de Jair Bolsonaro, dix-neuf représentants autochtones ont été tués.
Ce président mène une politique anti-environnementale, anti-indigènes, anti-diversité. Autrement dit, une politique contre l’humanité et la vie.
Que mettez-vous en œuvre pour contrer cette politique ?
Nous construisons des fronts de résistance. Nous nous sommes mobilisés notamment autour de la plateforme Midia Ninja, un site participatif qui a émergé en 2013, lorsque les manifestations ont été réprimées par des violences policières : les images filmées par les manifestants pour témoigner de ces violences étaient diffusées sur ce site. Aujourd’hui, les indigènes s’en sont emparés pour dénoncer et témoigner des feux qui ravagent nos forêts. Les nouvelles technologies sont un outil pour nous permettre d’avancer.
Les médias mainstream brésiliens donnent une vision partiale de la réalité. Ils ne font jamais le lien entre la déforestation et le capitalisme. Quand ils parlent des incendies, ils ne mentionnent jamais que c’est criminel, que c’est provoqué par l’expansion de l’agrobusiness.
Nous avons donc lancé une campagne nationale pour faire venir les communicants dans les endroits les plus inaccessibles d’Amazonie afin qu’ils comprennent ce qui se passe. Nous voulons changer le discours dominant, et pour cela il faut sensibiliser le grand public. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu’il faut en finir avec le capitalisme, car les gens se font des illusions avec le consumérisme. Donc ce que nous disons, c’est que le Brésil est le pays où l’on tue le plus de défenseurs de l’environnement et d’autochtones, et qu’il peut devenir aussi le pays où tout un chacun peut mourir à cause du poison des pesticides.
Nous préparons également un boycott sur les produits issus des exportations brésiliennes. Nous allons faire une tournée en octobre à travers dix pays européens, dont la France, pour lancer cette opération.
Vous faites partie d’une génération qui, à l’instar de la Suédoise Greta Thunberg, est aujourd’hui la plus mobilisée contre le changement climatique. Vous sentez-vous plus engagée que la génération de vos parents ?
J’ai commencé la lutte à l’âge de 13 ans. Ma première fac, ce n’était pas vraiment l’école, c’était la lutte. Et mes professeurs se trouvaient en dehors de la classe : c’était les leaders autochtones.
Aujourd’hui, je travaille à l’université, et pour moi, ce lieu d’enseignement est un outil de lutte pour garantir nos territoires.
À vrai dire, au Brésil, les luttes des indigènes pour défendre les territoires qu’ils occupent de manière ancestrale datent des années 1970. Et dans les années 2000, de nombreux jeunes prenaient part à ce combat.
Aujourd’hui, ce qui me frappe, c’est la mobilisation des jeunes, mais celle des femmes aussi. En août, j’ai participé à la première marche des femmes autochtones brésiliennes, à Brasília. Le thème était « Notre terre, notre corps, notre esprit ». Certaines femmes ont dû partir de leur village à pied, ou en pirogue, pour nous rejoindre. C’était la première fois qu’elles quittaient leurs terres !
C’est en ce moment la semaine du climat. Que proposez-vous pour lutter contre le changement climatique ?
Nous défendons notre mode de vie. Nous n’avons pas les mains salies par le sang ou l’extraction des minerais du sol.
C’est un projet politique : préserver le climat et notre environnement suppose de remettre en question le capitalisme. Les capitalistes sont des rongeurs et mangeurs de terre. Un grand chaman indigène disait : la notion de capitalisme, c’est quand le ciel et l’esprit des gens deviennent gris et partent en fumée. C’est d’actualité…
C’est le système qu’il faut changer, et notre proposition – que nous défendons avec la plateforme Amazonia 342 –, c’est d’occuper les territoires. Le plus important est de parvenir à une communauté des luttes pour garantir notre habitat collectif et individuel.
Il ne faut pas attendre qu’il n’y ait plus d’arbres pour prendre conscience de ce qui nous arrive. Nous avons suffisamment de connaissances aujourd’hui grâce au travail scientifique. Nous voulons des arbres vivants, pas du papier mort. C’est pour cela que les jeunes luttent aujourd’hui.
Merci Jacques.
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