Chili - Chronique d'un rejet annoncé : tentative de modification de la loi indigène
Publié le 21 Juin 2019
L'expérience de l'OIT avec les peuples autochtones et tribaux montre que lorsque les terres autochtones à détention commune sont divisées et attribuées à des individus ou à des tiers, l'exercice des droits des communautés autochtones tend à s'affaiblir et celles-ci finissent généralement par perdre la totalité ou une grande partie de leurs terres, ce qui entraîne une réduction globale des ressources dont elles disposent.....
Par Karina Vargas [1]
Lorsque la modification de la loi 19.253, mieux connue sous le nom de loi indigène, a été annoncée, il fallait s'attendre à ce que cette modification provoque le rejet des peuples autochtones qui vivent au Chili. Ce que le Gouvernement n'a ni imaginé ni mesuré, c'est l'ampleur de ce rejet : protestations et déclarations contre la modification dans tout le pays, exprimées dans presque tous les ateliers d'information de la consultation pour la modification de la loi visée, suspension de certains de ces ateliers, changement des lieux de réunion au dernier moment, réalisation de certains ateliers à huis clos avec de petits groupes, ainsi que le déploiement d'un important contingent de policiers dans certains lieux où se tenaient les ateliers d'information, qui a provoqué des confrontations avec les représentants qui ont été consultés et l'arrestation de quelques-uns d'eux.
Un processus de consultation en ces termes n'est pas conforme aux normes internationales relatives aux droits de l'homme ; tout d'abord, parce que la consultation exige un climat de confiance qui permette l'instauration d'un dialogue constructif entre les parties. La Commission tripartite de l'OIT a déjà souligné que la mise en place de mécanismes efficaces de consultation et de participation contribue à prévenir et à résoudre les conflits par le dialogue et que, pour cette raison, l'établissement d'un climat de confiance mutuelle est inhérent à toute consultation[2]. Cet aspect n'est pas respecté lorsque les ateliers se tiennent à huis clos, sans garantie de transparence et avec l'intervention des contingents de police ; puisqu'ils expriment de la méfiance à l'égard des sujets consultés et, d'autre part, ils intimident les représentants autochtones, voire leur enlèvent le caractère libre que comporte le droit à la consultation, puisque les titulaires de ce droit ne doivent être soumis à aucune forme de contrainte, intimidation, pression ou manipulation externe.
D'autre part, le déploiement de contingents de police pour assurer la sécurité du processus face aux sujets mêmes qui seront consultés implique, d'une certaine manière, une délégitimation à leur égard, avec la contradiction que délégitimer les sujets avec lesquels le dialogue est établi[3] signifie délégitimer le dialogue lui-même.
Les signes de rejet que nous voyons se manifester tout au long de ces journées expriment principalement leur rejet de la modification de la loi 19.253, une loi qui, bien qu'elle souffre de limitations pour assurer la reconnaissance des droits collectifs des peuples autochtones, y compris leur droit au territoire, a servi et est le seul outil de protection des terres que les peuples autochtones ont actuellement.
Il exprime aussi clairement le rejet du dialogue unilatéral que le gouvernement cherche à mettre en œuvre ; puisqu'un véritable dialogue doit être défini par les deux parties, ce dialogue, tant dans sa forme que dans son contenu, et dans ce cas les mesures à consulter, ainsi que les dates et lieux de leur mise en œuvre, n'ont pas été définies dans un processus participatif avec les peuples autochtones, mais imposées par le gouvernement, donnant un caractère passif au sujet consulté.
Dans un processus participatif de définition des contenus à consulter, le gouvernement aurait pu savoir ce qui s'exprime aujourd'hui dans les affiches de rejet : "non à la modification de la loi autochtone, oui à la récupération des territoires ancestraux". Une revendication historique et actuelle qu'aucun gouvernement n'a voulu assumer à son tour par le dialogue.
Enfin, il est souligné que les modifications qui cherchent à être consultées répondent à la situation de pauvreté et de vulnérabilité vécue par la population autochtone par rapport à la population non autochtone[4], et dans le but d'"encourager le développement territorial autochtone", abaissant ainsi les normes de protection foncière dans le but de les intégrer dans la logique du marché[5].
Lorsque l'idée que le développement par la réduction de la sécurité des territoires n'a pas de sens pour les peuples autochtones, au contraire, c'est l'existence de territoires suffisants et sûrs qui garantit le plus grand développement pour ces peuples.
Pour les peuples autochtones, la terre et les territoires ne sont pas seulement une entité productive, mais comme le stipule l'article 13.1 de la Convention 169 de l'OIT, les peuples autochtones ont avec leurs terres et territoires une relation qui revêt une importance particulière pour leurs cultures et leurs valeurs spirituelles.
En outre, "l'expérience de l'OIT avec les peuples autochtones et tribaux montre que lorsque les terres communes autochtones sont divisées et attribuées à des individus ou à des tiers, l'exercice des droits des communautés autochtones tend à s'affaiblir et celles-ci finissent généralement par perdre tout ou partie de leurs terres, ce qui entraîne une réduction globale des ressources dont disposent les peuples autochtones quand ils conservent leurs terres en communauté"[6]. Sans compter que les territoires autochtones sont une condition essentielle à la survie et à la reproduction culturelle des peuples autochtones, et donc au développement selon leurs propres priorités.
C'est en ce sens que la Déclaration sur le droit au développement, dans son article 1, inc. 2, stipule que " le droit humain au développement implique aussi la pleine réalisation des peuples à l'autodétermination, ce qui inclut l'exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et ressources naturelles."
En ce sens, c'est la sécurité juridique de leurs terres et territoires qui leur permettra de réaliser la mise en œuvre de leur propre rationalité économique, qui se réfère finalement à la dynamique de production, d'administration, de distribution, d'échanges, entre autres, comme une accumulation d'actions qui sont menées à travers leurs propres institutions, dans tous les aspects de la vie et au niveau territorial[7].
NOTES
1] Coordinateur du Programme des droits des peuples autochtones de l'Observatoire des citoyens. Auteur du livre "Diálogo y generación de acuerdos, Nuevas relaciones entre Estados y Pueblos Indígenas" (2019).
2] Rapport du Comité chargé d'examiner la plainte alléguant le non-respect par le Guatemala de la Convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, déposée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Fédération des travailleurs ruraux et urbains (FTCC), GB.294/17/1 ; GB.299/6/1 (2005), paragraphe 53.
3] Un exemple de cela est l'arrestation de 11 personnes lors de l'atelier d'information de la consultation à San Bernardo, après une répression policière des membres de la communauté dans les bureaux du gouvernement provincial de Maipo : https://www.eldesconcierto.cl/2019/05/28/video-consulta-indigena-en-san-bernardo-termina-con-alta-represion-y-11-detenidos/ ; et 35 personnes arrêtées lors de l'atelier d'information de la consultation à Valdivia : https://www.biobiochile.cl/noticias/nacional/region-de-los-rios/2019/06/06/valdivia-comunidades-que-rechazan-consulta-indigena-denuncian-participacion-de-conscriptos.shtml
5] Accord national pour le développement et la paix en Araucanie, p. 14.
6] OIT CEACR. Plainte contre le Pérou, GB.273/14/4, par. 26.
7] Leiva Salamanca, R. (2016). Ni Mogen ka Dewman : Estado, Economía y Desarrollo de la Sociedad Mapuche en Gulumapu. Thèse de maîtrise en sociologie.
traduction carolita d'un article paru sur le site Mapuexpress
Crónica de un rechazo anunciado: Intento de modificación a la ley indígena
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