Pérou - Le peuple Orejón ou Maijuna

Publié le 27 Avril 2019

 

Luis Rios le "dernier Orejon"

Peuple autochtone du Pérou (département du Loreto) appartenant à la famille linguistique tucano occidental et dont le nom des ancêtres donné lors des premières références des missionnaires était Payaguas et un autre donné également lors de premières références était Coto (1843).

Ils appartiennent au grand groupe des "Encabellados" (un classement fait par les jésuites regroupant des indiens de la province de Maynas portant des cheveux longs, sans distinction ethnique ni linguistique) ce qui a conduit à une grande confusion dans l'habitude de nommer ces peuples.

Les Orejones habitaient un territoire qui est le centre géographique des terres habitées par les Payaguas au XVIIe siècle.

Le mot payagua peut se décomposer en pai ou mai = gens en tucano et awa = gens en omagua (les Omagua étaient nombreux dans la région et auraient appelé ces groupes les gens-mai se rapprochant de l'autodésignation de Mai Huna des Orejones).

Vivant sur le territoire très étendu du río Napo, ils semaient le trouble parmi les missions et ils ont longtemps été rebelles à la politique de réduction des jésuites.

 

 

 

Premiers contacts

Le premier contact est établi en 1682 par le père Lucero suivi d'un autre contact en 1704 avec le père Sanna qui tente de les regrouper. Une première mission est fondée en 1720.

Les tentatives de réduction échouent et le peuple retourne régulièrement en forêt. Des épidémies de "peste" selon les récits des missionnaires les tuent en masse et les poussent à se disperser en forêt en transportant avec eux les germes des maladies.

Entre 1876 et 1891 il y avait environ 300 familles selon les dires de Béatrice Ochoa et son mari Cosimo Rios. Cosimo Rios déplace des familles du Yanayacu au Sucusari pour les faire travailler le caoutchouc. A sa mort, 27 familles Cotos de Sucusari étaient partagées entre José Rios, établi dans le Yanayacu avec 19 d'entre elles et Béatrice qui garde le contrôle sur les 8 familles du Sucusari.

Vers 1940 le groupe compte une quarantaine de familles, 15 sur le fleuve Algodٔón, 12 sur le Sucusari, 4 sur le Yanayacu, 7 sur le Zapote, 2 sur l'Apayacu (L.Espinosa Perez 1955:166).

Les Orejones du Zapote ont fui devant les exactions de leur patron Alfonso Cardenas et ont rejoint le groupe du Yanayacu.

Les patrons en effet maltraitaient les indiens, les faisant travailler durement pour la collecte du caoutchouc, du bois de rose, du tagua, contre "quelques cadeaux".

En un demi siècle le groupe Orejٔon/Coto passe de 300 familles à 40.

Ils forment à présent un groupe de 300 personnes divisé en 3 communautés principales :

- la communauté de Buena Esperanza située le long du río Sucusari (affluent gauche du río Napo), 60 personnes

- la communauté de Puerto Huaman le long du río Yanayacu (affluent gauche du río Napo) 35 personnes, ils limitent leurs échanges avec les métis au strict nécessaire.

- la communauté de San pablo de Totolla sur l'Algodón, un affluent droit du río Putumayo . 40 personnes

D'autres Orejones sont dispersés le long de l'Ampiyacu près des Huitotos ou divers caserios du Napo suivant le mouvement des patrons.

Très peu d'Orejones portent encore les ornements traditionnels (un disque de bois léger enserré dans le lobe de l'oreille, des lèvres peintes en noir et la coiffure traditionnelle).

Les femmes ont la même coiffure que les hommes mais leur frange est plus courte sur le front. Elles portent des cheveux longs et bouclés. La teinture des lèvres se faisaient avec le yanamuco (noir), les femmes par contre ne portent pas d'ornements d'oreilles.

De nos jours les peintures corporelles ne sont utilisées que pendant les fêtes, l'achiote ou roucou, colorant rouge, le huito, colorant noir ainsi qu'un petit duvet adhérant avec de la résine de leche-caspi.

 

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Organisation sociale

Ils sont divisés en 3 groupes de parenté, exogames à filiation patrilinéaire (un 4e groupe est nommé mais n'a plus actuellement de représentant vivant). La résidence est uxorilocale en général du moins avant les premiers contacts. Les beaux pères et les gendres continuent de former des paires solidaires de la vie quotidienne et de la vie rituelle. Les groupes de parenté sont souvent des groupes de parenté inscrits dans le réseau d'alliance qui crée des obligations d'échange et communication à l'extérieur duquel se nouent des rapports d'hostilité.

Les mariages sont monogames quoique certains chefs ont pu être polygames, car le chef est celui "qui tient les gens'" et "celui qui a 2 femmes ".

Traditionnellement on trouve 3 personnages importants dans la communauté pour ce qui est de l'organisation ; le chef, le chaman et le chef de guerre. Ils ont à présent disparu ou leur rôle a été modifié par le processus d'acculturation.

L'habitat

L'habitat était autrefois dispersé à l'intérieur de la forêt, au bord de petits ruisseaux, vivant dans des maisons collectives. Actuellement l'habitat est semi-dispersé.

Le long des rios Yanayacu et Sucusari  : les maisons sont regroupées près de l'école, elles ont été mises en place par les évangélistes du SIL, d(autres maisons se trouvent en amont séparées par 2/3 heures de pirogue.

Le long de l'Algodón : la communauté a formé un village de 6 maisons et d'une école autour d'une place centrale perpendiculaire à la rivière. Ils font de petits abris temporaires en troncs minces coupés à la machette quand ils se déplacent.

rio Sucusari

 

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Activités de subsistance

Ce sont des chasseurs/pêcheurs pratiquant l'agriculture sur brûlis et la cueillette en forêt. La chasse et la pêche représentent les activités quotidiennes des hommes.

A la saison sèche le gibier se disperse et les poissons abondent dans les bassins des rivières et des petits lacs. A l'inverse en saison des pluies, le poisson se fait plus rare et le gibier plus important.

Le rêve permet au chasseur de déterminer la proximité du gibier. Les armes utilisées traditionnellement sont la sarbacane et la lance mais maintenant ils chassent avec les fusils ce qui provoque une dépendance à l'égard des blancs se serait-ce que pour avoir des munitions.

La pêche se pratique à la ligne (les fils et les hameçons proviennent des blancs), le harpon, le trident, la pêche à la nivrée avec le barbasco. La pêche est une activité masculine en dehors du barbasco où les femmes sont présentes pour ramasser le poisson.

La cueillette occupe une place importante pour la subsistance, les hommes, les femmes et les enfants y participent et récoltent des fruits sauvages, du miel, des larves.

Ils pratiquent également l'horticulture sur brûlis, chaque unité résidentielle possède une chagra en pleine production et plusieurs vieilles parcelles abandonnées où récolter des fruits.

Ils défrichent chaque année une partie de forêt, ce qui est le travail des hommes ou parfois le travail collectif de la minga au cours de laquelle est servi le masato (boisson de manioc fermenté) et un repas copieux. L'homme procède à l'abattage et la femme au débroussaillage, à la culture et à la récolte même si l'homme peut y donner un coup de main si besoin.

La principale culture est celle du manioc amer, puis de la patate douce, du taro, de fruits. Certaines cultures sont essentiellement masculines : tohe, ayahuasca, tabac, pijuayo, maïs.

Le repas est constitué de viande ou poisson, manioc, bananes bouillies. Après le repas ils consomment une boisson à base de manioc, banane, maïs ou pijuayo. Les femmes font la cuisine et distribuent le repas.

Artisanat

La vannerie est une activité masculine, il y a plusieurs types de paniers, le panier pour le transport était le plus courant. Il est fabriqué avec la liane tamishi (heteropsis jenmanii). Ce panier a une forme arrondie, des fibres croisées en diagonale, un bandeau frontal et il sert à transporter les récoltes de la forêt.

oenocarpus bataua (jessenia) By P. S. Sena - Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=37742737

Il y a un panier en feuilles de palmier ungurahui (jessenia bataua) tressées ensemble, ce panier est à usage unique et de petits paniers ronds d'une anse à la trame très serrée pour y conserver de petits objets.

Le tissage est une activité féminine, la fibre est extraite du palmier chambira (astrocaryum chambira), après cuisson et séchage pour blanchir la fibre, elle est roulottée sur la cuisse pour faire du fil de 2/3 brins servant à confectionner des sacs de portage (chicra), des hamacs, des cordes.

chambira Par Dick Culbert from Gibsons, B.C., Canada — Astrocaryum chambira, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=50113773

La poterie est une activité féminine : grandes marmites pour la cuisson ou le stockage des boissons diverses, lors des fêtes, des cérémonies, et des jarres pour conserver l'eau, ainsi que des plats.

L'argile beige est récoltée sur les rives des rivières, elle est mélangée à des cendres d'une écorce d'apacharama (licania elata), elle prend ainsi une couleur gris foncé. La poterie est élaborée avec de petits boudins de pâte aplatis avec les doigts, sur une base plane, étroite qui s'élargit jusqu'au sommet, elles font de un mètre de diamètre jusqu'aux grandes marmites. Elles sont mises à sécher et peintes avec de la terre rouge, puis ensuite cuites au feu ardent en plein air.

Les hommes fabriquent des pirogues, seuls ou collectivement. Les espèces végétales sont choisies en fonction u type de canot, selon la résistance, le tronc est évidé à la hache, à la machette, au racloir.

Relations avec les blancs

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Une fois entrés en contact avec les blancs, certains ont décidé de travailler pour le compte de patrons métis dans l'exploitation forestière, d'autres ont fait du commerce avec les regatones, les marchands remontant les fleuves en vendant des produits de première nécessité.

Ils ont vendu des hamacs, des sacs de portage, des produits de la chasse et de la pêche, salés et fumés.

Pendant 35 ans ils ont subi la présence des évangélistes du SIL qui ont agi avec du prosélytisme religieux et le mépris des rites traditionnels (interdiction de la boisson fermentée et des hallucinogènes) et ont mis en place des écoles bilingues dans 2 communautés, introduit l'élevage de volailles et de bovins, contribué par leurs actions à perturber le fonctionnement normal des groupes.

Ils ont développé une dépendance économique à l'égard des blancs, qui les exploitaient de manière éhontée avec un salaire de journalier inférieur de moitié au salaire minimum national, en achetant à la moitié de leur valeur commerciale des produits orejones, les revendant au triple de leur valeur. Ces différents facteurs ont produit un processus d'acculturation, la modification des fonctions organisationnelles traditionnelles.

Source : Mai Huna : les Orejones, compte-rendu de missions en Amazonie péruvienne d'Irène Bellier

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Pérou, #Peuples originaires, #Orejones, #Maijuna, #Mai Huna

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