Légendes et chansons de gestes canaques de Louise Michel - IV Le gardien du cimetière

Publié le 6 Avril 2019

Légendes et chansons de gestes canaques
1875
 

 

Petites Affiches de la Nouvelle Calédonie
Journal des intérêts maritime, commerciaux & agricoles
paraissant tous les mercredis.

 

Jusqu’à présent on s’est beaucoup occupé de faire prospérer la Calédonie, mais on n’a jamais senti le besoin de chercher à conserver les traditions et les légendes des tribus qui, refoulées de plus en plus, disparaîtront bientôt ou du moins verront nos us et coutumes remplacer les leurs sans qu’il en reste même de trace. Quelques voyageurs ont écrit des romans auxquels on a cru tant qu’on n y est pas venu voir, mais alors il a fallu abandonner les idées faites d’avance.

Comme le dit l’auteur des chants que nous sommes heureux de donner à nos lecteurs, il est grand temps, si l’on veut garder quelque chose de pur et d’intact des chants de ces grands enfants de la nature, et nous ne pouvons que la féliciter de la tâche entreprise par elle et menée à si bonne fin.

C’est bien là ce ton mélancolique, ce sont bien là ces chants uniformes et tristes que la nuit quelquefois l’on entend sortir d’une cour isolée ou qui s’élèvent tout à coup autour d’un brasier à demi éteint.

C’est bien là ce chant de guerre que doivent vociférer nos insulaires ; les pilous pilous pacifiques que nous avons autrefois vu exécuter à Nouméa peuvent nous en donner une idée. Mais ne retardons pas plus longtemps le plaisir que procurera certainement à nos lecteurs le travail inédit que nous lui offrons :


IV
Le gardien du cimetière

Il est là nuit et jour le vieux Nehewoué, gardien du cimetière.

Chaque soleil levant le trouve endormi, fatigué qu’il est par son œuvre de la nuit et chaque clair de lune le voit debout.

Il va cueillir l’herbe qui conjure ; qui conjure pour vivre et qui conjure pour mourir.

Il sait, le vieux Nehewoué, conserver l’étincelle qui anime le vieillard et il peut éteindre le cœur des forts, comme on étouffe une torche sous son pied.

De loin on vient voir le gardien du cimetière et le consulter ; lui il vit avec les morts qui dorment dans les branches et les morts qui dorment sous la terre.

Il écoute les bruits qui montent et les bruits qui descendent, Nehewoué le gardien des morts.

Que t’ont dit les os qui craquent dans les branches au souffle du vent, ô Nehewoué ?

Entends-tu le ver dans les chairs ? entends-tu le vendo (aigle) avide ?

Pourquoi es-tu devenu puissant et terrible, ô Nehewoué ?

C’est que tu habites avec la mort et que la mort est plus puissante que la vie.

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