Les gilets jaunes, une fenêtre d'opportunité pour arrêter le néolibéralisme
Publié le 17 Décembre 2018
Une opinion depuis l'étranger sur le mouvement des Chalecos Amarillos ou gilets jaunes.
Joana Voisin Crusat
Le mouvement des gilets jaunes met sur la table les problèmes liés à l'accroissement des inégalités sociales et remet en cause la légitimité du gouvernement d'Emmanuel Macron, qui a augmenté la répression pour faire cesser les manifestations qui se poursuivent depuis un mois.
Le 24 septembre dernier, le gouvernement français a annoncé une augmentation de la taxe sur le diesel et l'essence. C'est pourquoi, début octobre, le transporteur Éric Drouet a créé un événement Facebook incitant à bloquer en voiture les ronds-points et les zones commerciales de l'ensemble du territoire. "En parlant à un collègue, on s'est rendu compte qu'on en avait marre de toutes ces taxes. Cette dernière sur l'essence était la taxe de troo", explique Drouet à BFMTV. En très peu de temps, la proposition est devenue virale et un autre porteur - anonyme - a proposé à tous ceux qui comptaient se rendre aux concentrations de mettre un gilet jaune sur le pare-chocs de la voiture comme symbole distinctif. Enfin, le samedi 17 novembre, quelque 290 000 personnes en gilet ont réalisé des barrages routiers dans plus de 700 points en France.
Depuis lors, certains points ont été occupés jour et nuit et des manifestations massives ont eu lieu tous les samedis. Actuellement, les zones les plus touchées sont la Bretagne, le Val de Loire, les Alpes, la Normandie et l'Aquitaine. Certaines provinces correspondent à la "diagonale du vide", nom donné à toutes les régions dont l'indice démographique est négatif - elles perdent chaque année des habitants. Elles sont les plus touchées par la désertification rurale, en partie à cause de la recentralisation des services promue par l'administration publique au cours des dernières décennies. Les magasins sont situés dans de grandes zones commerciales à la périphérie des villages, tandis que les bureaux de poste, les lignes de chemin de fer - plus de 10 000 km de voies ont été supprimées depuis 1945 - ou les centres de santé sont en cours de fermeture. Comme l'explique le démographe Hervé Le Bras : " Il y a un malaise lié à la disparition des services publics qui va bien au-delà de la hausse du prix de l'essence, un sentiment d'isolement et de non écoute. C'est ce que nous pourrions identifier comme le plus petit dénominateur commun des personnes qui ont pris parti pour le mouvement des gilets jaunes, ce qui implique une grande variété d'opinions politiques. “
"Ça suffit/Ya basta !"
En effet, la définition politique du mouvement des gilets jaunes est relativement complexe, car il a été formé spontanément, en dehors de tout parti politique, syndicat ou association. Pour la sociologue Monique Pinçon-Charlot, c'est un mouvement qui "s'est construit sur une base de classe sociale, les classes les plus appauvries par les réformes néolibérales progressistes des trente dernières années. Le gilet jaune leur permet de s'identifier comme des travailleurs précaires, des gens avec peu de moyens que nous avons abandonnés sur une route. Avec le gilet jaune, cette classe invisible devient visible", explique-t-elle à Konbini News. Cette autonomisation s'est d'abord faite de manière très viscérale. Lors de la manifestation du 8 décembre, des témoins disent s'être inscrits à l'appel du 17 novembre à cause d'un sentiment d'injustice, de rejet, de " c'est tout ce que nous avons fait jusqu'ici. En fait, l'un des principaux slogans des réunions et des manifestations est un simple "y'en a marre" - ça suffit .
Beaucoup de gens se mobilisent pour la première fois, comme Paul, un jeune vendeur de réfrigérateurs venu seul sur la place de la Bastille : " J'ai eu un sentiment d'injustice en moi depuis longtemps, mais avant je n'étais jamais sorti dans la rue pour protester. Ça ne m'a pas servi à grand-chose. Mais à la fin, j'en ai eu assez d'être passif et depuis que j'arrive aux mobilisations, j'ai l'impression de faire quelque chose." Vincent est très clair : " Je m'efforcerai volontiers de payer plus d'impôts si je vois qu'ils servent vraiment à soutenir nos hôpitaux, nos écoles... mais quand on voit que le gouvernement a aboli la taxe sur les grosses fortunes - des impôts pour la population la plus riche, connue sous le sigle ISF -, un Sénat qui ne nous sert à rien, les salaires des parlementaires... il est illogique que nous, petits travailleurs, devions faire plus alors. C'est totalement injuste." Il y a un mélange de sentiment d'injustice sociale et d'indignation, mais aussi de désespoir : "Je suis venu aujourd'hui parce que je ne sais pas comment avancer, je travaille tous les jours et je n'arrive jamais à la fin du mois. Et maintenant, le gouvernement dit qu'il va augmenter le prix de l'essence... si je me noie déjà aux taux actuels ! "explique Christelle. Son nom et celui de toutes les personnes qui participent aux manifestations et figurent dans cet article ont été modifiés pour des raisons de confidentialité, par crainte de la répression que l'État a lancée contre les mobilisations.
Malgré cette hétérogénéité, le mouvement a formulé une série de revendications politiques qui vont dans le sens d'une politique sociale de gauche. Ils recherchent principalement une plus grande répartition de la richesse : baisse des impôts, augmentation du salaire minimum qui est à 1 300 euros, renationalisation des compagnies de gaz et d'électricité, rétablissement de l'ISF, suppression des privilèges parlementaires ou suppression effective de la fraude fiscale. Ils exigent également une qualité plus démocratique, avec l'application de mesures telles que des référendums d'initiative populaire, la reconnaissance des bulletins blancs ou une plus grande transparence judiciaire. Jeudi 29 novembre dernier, sur la place de la République, a eu lieu un appel massif à une "convergence des luttes", avec d'anciens militants du mouvement Nuit Debout, des plateformes antifascistes, des écologistes et autres collectifs en lutte, comme par exemple les postiers - en grève depuis plus de six mois - ou les travailleurs du secteur ferroviaire. Des députés européens de la France Insoumise et des syndicats se sont joints à eux. A la fin de la rencontre, toutes les personnes présentes ont annoncé qu'elles rejoignaient le mouvement des gilets jaunes.
Une politique de la peur
Si le mouvement a eu un fort impact depuis le début, la journée du 1er décembre dernier a été sans précédent dans la capitale française. Au cœur du centre économique parisien, près des Champs-Elysées, de la Place de l'Opéra et du Louvre, une série d'émeutes ont éclaté, laissant derrière elles des vitrines en ruines, des magasins pillés, des voitures en feu et même des immeubles incendiés, principalement des banques. Selon un bilan de la Chambre de Commerce et d'Industrie, plus de 200 entreprises ont subi des dégradations matérielles et la maire de Paris, Anne Hidalgo, estime entre 3 et 4 millions d'euros de pertes en mobilier urbain. "De cette façon, le pouvoir a été directement attaqué. Ils ne sont pas allés entre Nation et Bastille, une route qui passe par des quartiers plus populaires, mais ils étaient sur les Champs-Elysées. Juste à côté de l'Elysée. Normalement, c'est le dominant qui impose une violence symbolique, mais dans ce cas, la violence symbolique s'est inversée contre la figure de Macron ", explique Pinçon-Charlot.
Face à ce revirement symbolique, le gouvernement a annoncé la suspension des taxes sur les carburants et le gel des prix de l'électricité et du gaz pendant 6 mois. Un geste qui n'a pas du tout satisfait la grande majorité du mouvement des Gilets Jaunes. Dans les jours qui ont précédé la manifestation du 8 décembre, les éditoriaux des principaux médias faisaient allusion à une situation d'"anarchie" et de "guérilla urbaine", appelant à une suspension de la mobilisation en annonçant qu'il pourrait y avoir des "victimes mortelles. "Tout tourne autour de la directive sur le retour à l'ordre et à l'autorité. Ils génèrent un climat de peur qui accrédite le point de vue de la police et légitime la violence étatique ", analyse Pauline Perrenot à l'observatoire critique des médias, Acrimed.
Le 8 décembre, 34 stations de métro ont été fermées. Tous les bâtiments situés sur un périmètre de 2 km au cœur de Paris et dans les environs de la République et de la Bastille ont été fermés - bâtiments publics, musées, boutiques, cafés, etc... - créant un climat d'apocalypse. Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur a modifié sa stratégie en prenant des " mesures préventives pour limiter les incidents ". Il s'agit d'environ 2 000 personnes identifiées précédemment et lors des mobilisations des forces de sécurité, dont 1 082 à Paris. Sur ce nombre, 1 700 ont été provisoirement détenus, selon le Bureau du Procureur de Paris. Avec le déploiement de 89 000 policiers - 8 000 dans la capitale - des contrôles ont été mis en place dans les gares, les péages autoroutiers et sur le Périphérique, l'importante artère qui entoure Paris. "S'ils voyaient que vous aviez des gouttes hydratantes, des masques ou des lunettes pour vous protéger des gaz lacrymogènes et d'éventuelles accusations policières, ils vous emmenaient immédiatement avec eux ", explique Adrien.
Depuis le 1er décembre dernier, Macron n'avait fait aucune déclaration quant à l'orientation que le gouvernement allait prendre en ce qui concerne les demandes ds gilets jaunes. Cependant, le lundi 10 décembre, il semblait annoncer une augmentation de 100 € du salaire minimum, une réduction de l'impôt sur les pensions de moins de 2000 € et une récupération des heures supplémentaires sans impôts, déclarant que la France est dans une situation d'"urgence sociale". Ces déclarations ont été jugées insuffisantes pour la plupart des personnes impliquées dans le mouvement, une nouvelle journée de manifestations a donc été organisée pour ce 15 décembre."
Macron, mis à l'épreuve
Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, la popularité d'Emmanuel Macron n'a cessé de baisser, passant de 23% d'opinions favorables à 18% en deux semaines, selon un sondage YouGov. Et il faut rappeler que, si l'on compte tous les chiffres électoraux - abstentions, votes nuls, votes blancs - Macron a à peine obtenu 17% des suffrages au premier tour des élections présidentielles et 39,79% au second, quand il a affronté Marine Lepen. Ainsi, pour une grande majorité de Français, Macron est un président par défaut qui leur a permis d'empêcher la leader du parti d'extrême droite "Front national" d'atteindre le gouvernement. D'autre part, bien qu'il se soit présenté comme un candidat social-libéral, il n'a à aucun moment démontré sa volonté de mettre en œuvre des politiques sociales, ce qui a désenchanté une bonne partie de son électorat.
En effet, en un an et demi seulement, le gouvernement Macron a déjà mené de nombreuses réformes néolibérales conformes aux directives européennes, accélérant de manière inédite le processus d'affaiblissement des services publics et de précarité de la société : réforme du Code du travail, coupes dans le secteur public, privatisation du secteur ferroviaire, loi sur les étrangers, sélectivité arbitraire à l'entrée des universités et augmentation des droits d"inscription des étudiants non européens notamment. Une série de réformes qui ont accentué les inégalités sociales, en augmentation depuis la fin des années 1990 et surtout depuis le début de la crise économique en 2008. Selon l'Observatoire des inégalités, le nombre de personnes considérées comme "pauvres", c'est-à-dire celles qui gagnent moins de 60% du revenu moyen de l'Etat français, a augmenté de 1,2 million entre 2004 et 2014.
D'autre part, l'un des catalyseurs a été que Macron est considéré par une bonne partie de la population française comme un président arrogant, un élément qui explique en partie une telle réaction viscérale, jamais vue auparavant. Bon nombre de ses déclarations ont été controversées. Par exemple, au début de son mandat, commentant certains travaux dans une gare : "Les gares sont des lieux où l'on peut croiser des gens qui ont réussi et des gens qui ne sont rien". Se référant aux militants contre la réforme du travail, "je ne suis pas impressionné par leurs t-shirts, la meilleure façon de se payer un smoking est de travailler. Cet été,il répondait à un homme sans emploi qui se plaignait de sa situation, " mais oui, l y a du travail partout, si je traverse la rue, je trouve du travail pour vous tout de suite". Ces déclarations tout à fait malheureuses ont fait naître le sentiment généralisé d'avoir un président totalement déconnecté de la réalité sociale de son pays et des besoins de ses citoyens. Et tandis que Macron est encore dans sa tour d'ivoire, dans les rues graffées de Paris, une phrase résonne à chaque coin de rue : "Qui sème la misère récolte la colère".
source de la publication La Directa
traduction carolita d'un article paru dans Desinformémonos le 15 décembre 2018
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