Mexique - Le Conseil Indigène de Gouvernement et la nécessité de "guérir ensemble la terre mère".

Publié le 20 Octobre 2018

Le mouvement zapatiste vu depuis l'Argentine.

18 octobre 2018 par Redacción La Tinta

Par Elena González Canavesio, Gabriel Pitaluga et Agustina Peralta pour La tinta

Du 11 au 14 octobre, la deuxième Assemblée Nationale du Conseil Indigène de Gouvernement  (CIG) et les peuples qui composent le Congrès National Indigène (CNI) ont eu lieu au Chiapas, où plus de 700 personnes ont participé à la plénière finale, y compris des conseillers, délégués et invités.

La deuxième Assemblée du CIG-CNI s'est tenue dans les montagnes du sud-est du Mexique qui étaient couvertes de nuages qui s'accrochaient au sommet des pins indigènes qui les recouvraient. Cette forêt humide, encore pleine de vie, qui s'élève sur les collines entourant la ville de San Cristóbal de las Casas, atteint le patio même du Centre Indigène de Formation Intégrale Fray Bartolomé de las Casas (CIDECI-UniTierra) qui à cette époque abritait les communautés qui ont formé les groupes de travail de la rencontre.

Mexique - Le Conseil Indigène de Gouvernement et la nécessité de "guérir ensemble la terre mère".

Le CIDECI-UniTierra est situé au pied des collines de San Cristóbal de las Casas dans l'état du Chiapas, Mexique. Il s'agit d'une propriété caractérisée par ses grands espaces verts et ses bâtiments où se déroulent quotidiennement divers ateliers de formation pour les jeunes des communautés indigènes à partir de 12 ans, sans limite d'âge, qui n'ont pas accès au système éducatif formel. Chaque atelier dispose de son propre espace physique et des ressources matérielles nécessaires à son développement, obtenues grâce à la coopération internationale ou au travail quotidien des jeunes dans les différents ateliers, étant donné que tout ce qui y est produit est destiné uniquement à l'entretien du lieu et que ses membres - beaucoup des jeunes y sont logés.

Parmi la variété des ateliers que nous trouvons : métier à tisser, boulangerie, mécanique, verger, peinture, alphabétisation, menuiserie, forge, dactylographie, informatique, sérigraphie, musique, poterie, couture, santé, design et architecture, imprimerie, philosophie, fabrication de chaussures et sellerie, entre autres. Les activités se déroulent de 9h à 19h. Il y a aussi un séminaire ouvert au grand public le jeudi.

Ce Centre, pendant les jours de l'Assemblée, est devenu un espace de rencontre et de réunion entre diverses communautés qui ont mené à bien leur vie quotidienne plurielle, l'habitant jusqu'à s'en approprier.

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Le zapatisme dans son contexte


Pour comprendre le mouvement zapatiste et ses différentes stratégies politiques, depuis le soulèvement de 1994, il est nécessaire de pouvoir dimensionner le contexte dont il est issu et la ténacité du néolibéralisme qui s'approfondit depuis plus de trois décennies continues au Mexique.

La démocratie bourgeoise mexicaine fait couler du sang partout, même si les médias du monde entier gardent le silence sur les atrocités commises par les finqueros dans la cour arrière de l'empire génocidaire. La primauté du droit au Mexique a un modus operandi très semblable à celui des dictatures conçues par l'École des Amériques. Le nombre de meurtres, de personnes disparues, de prisonniers politiques, de tortionnaires et de personnes déplacées se compte en centaines de milliers¹.
 

Le terrorisme d'État et les mafias organisées, en collusion avec l'État, ont plongé le Mexique dans un génocide quotidien. Rien qu'au cours du premier semestre de 2018, il y a eu 16 000 meurtres dans le pays. En 3 ans, les homicides ont augmenté de près de 75% et les féminicides ont triplé² dans la même période.

Au terrorisme physique s'ajoute le terrorisme social perpétré par le système néolibéral en vigueur depuis des décennies, de parti politique en parti politique. Cette combinaison confère à l'État une forte présence répressive et une faible présence en matière de protection sociale³.

Qui sont les les plus violenté(e)s parmi les les violenté(e)s ? Les peuples indigènes et au sein de ces peuples les femmes⁴ De manière générale, c'est dans ce contexte que le CNI-CIG évolue et au sein de ces organes, l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN). C'est en comprenant cette réalité que nous devons analyser ses luttes et ses formes.

Le retrait éventuel de l'EZLN a été critiqué par certains secteurs du marxisme pour sa stratégie, conceptualisée à l'époque comme une tentative de "changer le monde sans prendre le pouvoir", quand le Mexique et le monde continuaient à changer mais pour le pire. Cependant, ce retrait a eu lieu dans un contexte très défavorable et a permis de se renforcer, d'étendre les bras et de se jumeler avec d'autres peuples indigènes du pays (en plus d'obtenir un soutien international) pour qu'il n'y ait plus jamais un Mexique sans eux/elles.

C'est pourquoi, le 12 octobre 1996, l'EZLN a proposé la création du Congrès National Indigène dans le but initial d'accompagner les accords de San Andrés⁵ et de rassembler les luttes de tous les peuples indigènes du Mexique. Bien que les Accords de San Andrés soient inconnus et trahis par tous les gouvernements depuis 1996, le CNI a continué d'avancer et a décidé en janvier 2017 de former le Conseil Indigène de Gouvernement (CIG) avec une porte-parole féminine et indigène, María de Jesús Patricio Martínez - mieux connue sous le nom de "Marichuy" - du peuple Nahua, de passer à l'offensive dans le conflit collectif de l'État pour le transformer et, avec des organisations populaires venues du bas et vers la gauche, reconstruire un pays ravagé.

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Deuxième Assemblée CNI-CIG : des douleurs communes nous unissent dans la lutte


Dans le cadre de la trajectoire décrite, la deuxième assemblée du CNI-CIG a été célébrée, répondant ainsi aux attentes suscitées par la stratégie devant un nouveau gouvernement national de l'Etat qui est élevé comme "de gauche", après plus de trois décennies ininterrompues de gouvernements qui pourraient être qualifiés de " droite".

Depuis La tinta, nous avons pu accéder à la dernière séance plénière de l'assemblée, le 14 octobre, en enregistrant ce qui s'était passé avec un regard curieux qui a transformé leur regard pendant la rencontre en compréhension, adhésion et admiration.

Pendant une grande partie de la session plénière, les divers peuples du CNI ont partagé leurs luttes avec un mélange de tristesse et de rage digne face au terrorisme d'Etat et à la dépossession capitaliste. Les témoignages étaient donnés à la première personne par leurs protagonistes, devant un auditorium complet qui les accompagnaient de harangues, embrassant leurs résistances et rebelles.

Le premier orateur, après la présentation, a été Hilda Hernandez Rivera, membre du Comité des Mères et Pères des 43 (Ayotzinapa). Hilda a dénoncé les quatre années d'impunité que dure l'affaire et attendait l'engagement pris par le président élu Andrés Manuel López Obrador de mettre en place une commission d'enquête. Toutefois, elle a souligné que la confiance se construit par les actes et non par les paroles. Elle a ensuite souligné l'accompagnement du CNI, du CIG et de l'EZLN dans la lutte pour la justice et l'apparition vivante des 43 normalistes disparus. Ce à quoi la tribune a répondu par une harangue de Vivants ils les ont pris, vivants, nous les voulons ! Apparition envie et châtiment aux coupables !

Étaient également présents les paysans déplacés du Nicaragua, les peuples en lutte pour la terre à Mezcala (Jalisco), le gouvernement indigène de San Lorenzo de Azqueltán, les membres de la communauté de Zacualpán en lutte contre les mines ; aux représentants du peuple Nahuatl des États-Unis, frère du peuple Nahuatl du nord du Mexique, séparé par des frontières arbitraires ; aux Chinantecans du bassin du fleuve Papaloapan (Oaxaca) en guerre contre les mégaprojets en faveur de l'accumulation de richesse par les sociétés transnationales ; et aux survivants du massacre de Acteal-A.C. Las Abejas, pour ne nommer que quelques-uns des participants.

Face à ces situations, une déclaration a été faite pour élaborer une proposition visant à exiger justice pour les enlèvements perpétrés par le mauvais gouvernement à travers une campagne unitaire nationale et internationale pour la libération de ces prisonniers politiques.

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Conformation du CNI et du CIG


Un autre des moments clés de la plénière a été l'exposition du travail accompli pendant la journée de l'assemblée des jours précédents. A cette fin, il est nécessaire de commencer par reconnaître la manière dont le Congrès National Indigène (CNI) et le Conseil Indigène de Gouvernements (CIG) sont intégrés.

Le CNI est composé de neuf groupes de travail : Terres et territoires (dépossession et défense) ; Autonomie ; Femmes ; Jeunesse ; Dissidence sexuelle et identité de genre ; Personnes handicapées ; Migrants ; Travail et exploitation ; et Justice. Au cours de cette réunion, un autre groupe de travail a été formé : Education, culture et art.

De son côté, le Conseil Indigène de Gouvernements (CIG) est composé de quatre commissions chargées de travailler sur les aspects centraux de l'organisation, son fonctionnement et sa viabilité : communication ; finances ; liaison ; et relations internationales.

Chaque espace de travail a partagé ses propositions au reste de l'assemblée et a été mis en considération des présent(e)s ce qui a été décidé dans l'assemblée plénière développée le 13 octobre, décidant de prendre en consultation la proposition d'étendre le CIG, la continuité des ateliers de formation politique, et ont également été établies les dates des réunions sur le handicap et les radios du CNI. Une autre proposition consistait à créer des mécanismes pour renforcer le CIG. Il y aura aussi des consultations sur la création d'un front anticapitaliste et anti-patriarcal dans le cadre du développement de politiques d'alliance, non seulement indigènes et nationales, qui leur permettront de conserver leur autonomie, c'est-à-dire leur identité, leurs voies et leurs temps.

Les présentations se sont terminées par les mots d'un des commandants, qui a tout d'abord remercié tous les participants et surtout toute l'équipe du CIDECI pour leur organisation et leur hospitalité.

L'engagement sérieux de l'EZLN à travailler horizontalement et à consulter la population sur les accords conclus lors de l'assemblée a été réaffirmé. Ils ont également exprimé clairement leur position sur la mauvaise gouvernance et le mauvais système, qui ne cesseront jamais de nous violer, et nous ont exhorté à travailler avec force, courage et espoir pour un monde meilleur. Ils ont finalement appelé à travailler et à ne pas abandonner, à ne pas se vendre, à ne pas abandonner ; du territoire que chacun habite.

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Conclusions : assumer l'ennemi commun pour coordonner les luttes émancipatrices


L'appel à continuer à tisser le réseau des réseaux qui composent le CNI-CIG et à accompagner les processus de leur intégration progressive dans le mouvement, sans perdre leur identité et leurs formes indigènes, est central.

Tout au long de la journée, il était clair que l'ennemi s'appelle le capitalisme et qu'on ne lui fait pas confiance "même pas ça, rien" et c'est pourquoi ils appellent à l'expansion sans frontières du réseau de réseaux, dont la logique devrait être indigène, pour nous jumeler avec la terre mère qui souffre tant de pillage avec ses enfants, non seulement indigènes et paysans, mais toute la vie qui vit en elle et pour elle. L'accumulation capitaliste, aujourd'hui plus que jamais, se nourrit de l'extermination de la vie et de la séparation des peuples.

En ce qui concerne le nouveau gouvernement de l'Etat : ils le considèrent comme incompatible avec la cosmovision indigène, en raison de la multiplicité des projets extractivistes proposés par la plate-forme gouvernementale de MORENA, des concessions au capital transnational, ainsi que du maintien de l'Accord de libre-échange avec les Etats-Unis et de la continuité des politiques néolibérales, promettant aussi l'intensification de la politique répressive, en intégrant 50 000 nouveaux jeunes aux différentes forces armées. C'est pourquoi, dans le communiqué de l'assemblée, il est dit que "les mots sont aussi superflus lorsqu'ils parlent cyniquement de reconnaître dans leurs lois pourries les Accords de San Andrés ou notre autodétermination, sans même toucher au montage capitaliste meurtrier qu'est l'État mexicain", en mentionnant principalement l'article 27 de la Constitution nationale qui met la terre au service du grand capital.

Le pari est de construire un gouvernement, autonome et rebelle, du réseau de réseaux qui sont des collectifs de collectifs, qui tentent de représenter le CIG, passant de la résistance à l'offensive, du repli à l'expansion, à la contestation de l'hégémonie au fondamentalisme de la marchandise dont sont victimes tous les gouvernements qui élèvent l'inévitabilité du capitalisme. Ils sont en train de faire un appel à toutes les organisations anticapitalistes, dans toutes les zones géographiques, à former leurs conseils d'administration s'ils le jugent nécessaire, pour coordonner et enrichir les luttes⁶.

"Ce n'est pas vrai que le gouvernement doit être pour détruire, sinon pour construire. Ce n'est pas vrai que le gouvernement devrait être pour se servir lui-même, sinon pour servir. Il doit être le miroir de ce que nous sommes lorsque nous rêvons de décider de notre destin, et non le mensonge qui nous supplante pour dire en notre nom qu'il veut voir tout ce qui l'entoure mourir."

C'était l'une des déclarations de l'assemblée.

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Enfin, le besoin de "nous guérir avec la terre mère" a été évoqué, revenant à l'importance d'une bonne vie indigène, par opposition à l'hydre capitaliste qui se développe comme un grand cancer répandu dans le monde entier.

"Les peuples indigènes sauvent la planète d'un désastre environnemental ", a déclaré Noam Chomsky il y a un an ; et en écoutant les revendications et les luttes quotidiennes du CNI-CIG, il est clair que les racines indigènes sont fondamentales pour éviter l'holocauste environnemental et social auquel le capitalisme nous pousse dans son évolution toujours plus extractiviste et néolibérale.

La journée s'est terminée avec une cape mystique, pour la pluie abondante qui a arrosé sous forme de gratitude la Terre Mère, s'y est ajoutée la présence de représentants des villages avec leurs costumes traditionnels, brodés de toutes les couleurs, qui ont complété les nuances avec les passe montagnes sombres, caractéristiques de l'EZLN. Ainsi s'est terminée une journée de travail épuisante et gratifiante qui a laissé de nombreuses tâches en suspens, mais un horizon plus clair et plus ambitieux pour les peuples rebelles de Notre Amérique.

Par Elena González Canavesio, Gabriel Pitaluga et Agustina Peralta pour La tinta

1] Voir le rapport du CIDH de 2016, disponible sur http://www.oas.org/es/cidh/informes/pdfs/Mexico2016-es.pdf
2] Données préparées par Arturo Ángel, basées sur les chiffres officiels du SESNSP, pour Animal Político, disponibles sur https://www.animalpolitico.com/2018/07/mexico-violento-asesinatos-2018/
3] Si elle nous rappelle les réformes du Front du changement en Argentine, ce n'est pas une simple coïncidence et elle devrait nous appeler à éviter le même sort.
4] Voir les données officielles disponibles sur https://www.gob.mx/cdi/articulos/mujeres-indigenas-datos-estadisticos-en-el-mexico-actual?idiom=fr et d'autres données.
5] Voir http://www.cedoz.org/site/content.php?doc=400
6] Le communiqué lu pendant l'assemblée et publié dans les médias officiels du mouvement zapatiste Enlace est disponible sur http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2018/10/14/pronunciamiento-de-la-segunda-asamblea-nacional-del-congreso-nacional-indigena-concejo-indige octobre na-de-gobierno/

traduction carolita d'un article paru sur le site La Tinta le 18 octobre 2018

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