Les trois héritages qui expliquent le phénomène Bolsonaro
Publié le 31 Octobre 2018
Raúl Zibechi
Comment la plupart des électeurs en sont-ils venus à avoir l'impression que les Noirs, les pauvres et ceux qui pratiquent des sexualités différentes sont les véritables coupables de la catastrophe brésilienne ?
Dans la conformation du "bolsonarismo", cette vague ultra-conservatrice qui soulève un ex-capitaine à la présidence, on peut distinguer des causes conjoncturelles telles que la crise économique et sociale, l'énorme sensation d'insécurité -dans une large mesure- et les déviations du PT au pouvoir. Une population appauvrie, des classes moyennes prises dans la peur et la corruption rampante de la gauche au gouvernement ont tapissé le tsunami de droite.
Il n'aurait pas été possible qu'il connaisse une croissance exponentielle sans des traditions qui soutiennent la perception selon laquelle les Noirs, les pauvres et ceux qui pratiquent des sexualités différentes sont les véritables coupables de la catastrophe brésilienne. Je propose de revenir sur certaines de ces traditions parce qu'elles sont très présentes dans la situation actuelle : l'esclavage ou le colonélisme ne seront jamais vaincus, le colonélisme comme forme de contrôle social dans les petites villes et la continuité d'une dictature qui jette son ombre sur la société.
L'HÉRITAGE DE L'ESCLAVAGE
Formellement, l'esclavage fut aboli en 1888 avec la Loi Aurea décrétée par la Princesse Isabelle, alors régente de l'Empire au nom de son père l'Empereur Don Pedro II. Le Brésil a obtenu son indépendance du Portugal en 1822, mais le prince régent de l'époque a été proclamé empereur d'un empire qui s'est étendu jusqu'en 1889 lorsqu'un coup d'Etat militaire a installé la vieille République. L'abolition officielle de l'esclavage survient au plus fort de la crise de l'Empire, mais le travail forcé et la traite se sont poursuivis pendant des décennies, jusqu'à nos jours.
L'abolition officielle de l'esclavage survient au plus fort de la crise de l'Empire, mais le travail forcé et la traite se sont poursuivis pendant des décennies, jusqu'à nos jours.
En Uruguay, en revanche, l'esclavage a été aboli en 1837 et dans ce qui allait devenir l'Argentine, la "liberté des ventres" a été décrétée en 1813, par laquelle les enfants des esclaves étaient libres. C'était possible parce que dans le Rio de la Plata, c'était un esclavage domestique, avec peu d'incidence économique, par opposition à l'esclavage des plantations de sucre, qui était essentiel dans les économies de la colonie portugaise et du Brésil indépendant. La police militaire redoutée s'est répandue au Brésil en 1889, quelques mois après l'abolition de l'esclavage.
Cet héritage colonial demeure vivant au Brésil. L'esclavage formel a duré un demi-siècle de plus que dans les autres pays d'Amérique latine et se poursuit avec l'agression permanente subie par 53% des Brésiliens noirs et métis, qui occupent les échelons inférieurs de la pyramide sociale et économique. Cette semaine où le futur président est défini, j'ai pu parler longtemps avec les personnes et les compañeras des favelas de Maré, comme Timbau et Alemão, où presque toute la population est noire et pauvre, où les jeunes sont majoritaires et très peu ont accès à l'université.
Dans les favelas, ils n'ont pas peur de Bolsonaro, peut-être parce qu'ils n'ont jamais connu de relations véritablement démocratiques avec leurs employeurs dans le travail domestique ou avec les contremaîtres des entreprises de construction. Leurs problèmes sont autres.
Leurs attitudes politiques sont très différentes de celles des quartiers de classe moyenne où la gauche est à l'écoute. Ils n'ont pas peur de Bolsonaro, peut-être parce qu'ils n'ont jamais connu de relations véritablement démocratiques avec leurs employeurs dans le travail domestique ou avec les contremaîtres des entreprises de construction. Leurs problèmes sont différents. Ils voyagent cinq ou six heures par jour dans des autobus surpeuplés où ils voyagent toujours debout. Ils arrivent à la maison sans autre désir que de boire une bière et d'écouter de la musique. Une bonne partie d'entre eux sont politisés, mais d'une autre manière : ils ne font pas de discours et leur énergie est consacrée à la survie et, quand ils le peuvent, à la scolarisation de leurs enfants.
L'HÉRITAGE DU COLONELISME
Le deuxième héritage est le colonélisme. Il s'agit d'une structure de pouvoir née au niveau municipal sous l'Ancienne République pour contrôler le vote de la population, par la violence ou l'échange de faveurs. Le colonel de la Garde nationale était un titre presque noble, accordé par le pouvoir central aux grands propriétaires terriens qui finançaient des campagnes politiques pour se maintenir au pouvoir.
Dans le Brésil d'aujourd'hui, après presque neuf décennies de république, le pouvoir des élites locales reste intact et est renouvelé à chaque consultation électorale.
La culture du colonélisme s'est répandue dans tout le pays et après 1930, lorsque le coup d'Etat de Getúlio Vargas proclame la Première République, elle est maintenue par un caudillismo qui ne fait pas appel à la violence mais aux médias pour préserver la validité de l'ancienne structure du pouvoir.
Dans le Brésil d'aujourd'hui, après presque neuf décennies de république, le pouvoir des élites locales reste intact et est renouvelé à chaque consultation électorale. Le parti qui représente le mieux cette tradition est le MDB (Mouvement Démocratique Brésilien) né sous la dictature. C'est le parti du Président Michel Temer, qui a co-gouverné avec le PT pendant 13 ans. Son principal objectif est de rester au pouvoir et ses dirigeants ont d'innombrables accusations de corruption.
L'HÉRITAGE DE LA DICTATURE
Le troisième héritage est la dictature qui a été installée en 1964 et n'a pris fin qu'en 1985. Le Brésil est le seul cas dans la région où il n'y a pas eu de Nunca Más (plus jamais ça) ni de procès des militaires et des civils du régime. Pour une bonne partie de la population, la dictature a été un bon moment économique ; elle a représenté la modernisation du Brésil et l'ascension sociale des plus pauvres qui ont migré en masse vers les villes pour travailler dans l'industrie.
Il y a ceux qui soutiennent, comme le philosophe Vladimir Safatle, que la dictature s'est accommodée de la démocratie formelle mais est restée souterraine, puisqu'il n'y a pas eu de rupture.
La dictature a investi massivement dans les infrastructures et a connu une croissance économique soutenue dans les années 1960. Pendant la dictature, le pays s'est étendu à toute la région, sur la base de la thèse géopolitique brésilienne du général Golbery do Couto e Silva, qui a conduit le pays à avoir une présence décisive parmi ses voisins et à devenir la principale puissance régionale.
Il y a ceux qui soutiennent, comme le philosophe Vladimir Safatle, que la dictature s'est accommodée de la démocratie formelle mais est restée souterraine, puisqu'il n'y a pas eu de rupture et que les militaires qui ont participé à la torture et les partis de la dictature ont été préservés. C'est pourquoi lorsqu'une crise aussi puissante que celle que nous connaissons aujourd'hui, économique et du sens du pays, l'imaginaire de 1964 réapparaît comme l'horizon souhaitable.
Le lulismo était peut-être le dernier projet d'un pays capable d'inspirer une bonne partie de la population. Mais la dérive du PT dans le bourbier de la corruption a tenu pour acquise toute alternative. L'ultra-droite a le champ libre, bien qu'elle trébuchera sûrement sur ses propres invectives dans un temps imprévisible mais pas lointain. Lorsque cette droite échouera, la gauche sociale devrait être capable de générer une culture qui surmonte les trois héritages (racisme, machisme et militarisme) qui sont liés dans le bolsonarismo.
paru sur El Salto
traduction carolita d'un article paru sur Desinformémonos le 30 octobre 2018
/https%3A%2F%2Fdesinformemonos.org%2Fwp-content%2Fuploads%2F2018%2F10%2FC-w61qjXUAIU4tx.jpg)
Las tres herencias que explican el fenómeno Bolsonaro
Foto: Movilización de afrobrasileños, "periféricos" y colectivos LGTB contra Bolsonaro | Midia Ninja En la conformación del "bolsonarismo", esa oleada ultra y conservadora que está aupando a u...
https://desinformemonos.org/las-tres-herencias-explican-fenomeno-bolsonaro/
(.....)
- J'ai chanté pour l'esclave qui, sur les bateaux,
comme une sombre grappe au tronc de la colère,
voyageait avant que, veines ouvertes, le navire
nous laisse dans le port le poids d'un sang volé.
- J'ai chanté en ces jours lointains contre l'enfer,
contre les langues acérées de la cupidité,
contre l'or englué dans le tourment,
contre la main qui empoignait le fouet du châtiment,
contre les gérants de ténèbres.
- Chaque rose abritait un mort dans ses racines.
La lumière et la nuit couvraient le ciel de pleurs,
les yeux se détournaient devant les mains blessées,
ma voix était la seule à remplir le silence.
De l'homme, j'ai voulu nous affranchir, les
hommes,
et je croyais que ce chemin passait par l'homme
et que de là devait surgir notre destin.
J'ai chanté pour ceux-là qui n'avaient pas de
voix.
Et ma voix a frappé aux portes restées closes
pour que par le combat entre la Liberté.
(......)
Pablo Neruda (Castro Alves du Brésil in Le Chant général)