Le langage sifflé de la mer Noire turque

Publié le 22 Octobre 2018

Dans le village de Kuşköy, le long de la côte de la mer Noire, en Turquie, environ 10 000 villageois communiquent par sifflets, dans ce que l'on appelle désormais la "langue des oiseaux", où chaque sifflet représente une syllabe différente, dont les constructions phoniques se font entendre de loin grâce à l'écho produit par les montagnes.

C'est une langue que les anciens ont apprise de leurs parents et qu'ils cherchent à transmettre à leurs enfants et petits-enfants, elle est connue d'innombrables villages des Monts Pontiques, et elle est vraiment très pratique pour les bergers et les pêcheurs, ce qui est une véritable manifestation du patrimoine intangible reconnu par l'UNESCO.

Sur Kuşköy, ses quelque 500 habitants cultivent le thé et les noisetiers ; dans les rues coexistent divers métiers que peu de gens exercent, tels que la boulangerie, la boucherie et certains cafés. Ce sont les sons et non les paysages qui rendent Kuşköy différent. Depuis des générations, les villageois conversent en utilisant une forme unique de communication par sifflets appelés "kuş dili" ou "langue des oiseaux" en turc.

A lui seul, le nom Kuşköy signifie "village des oiseaux", il y a des sifflets fréquents qui vous invitent à boire du thé ou à vous rassembler près d'une colline pour parler, au-dessus des vallées. A distance, ils parviennent à "parler" sous une série de gargouillis stridents qui ressemblent vraiment au chant des oiseaux.

Il y a des situations qui valent la peine d'être sauvées, pour Ibrahim Kodalak, un éleveur de noisetiers, les mélodies des oiseaux locaux sont souvent similaires à celles de kuş dili. On y lit aussi que le chant du merle du matin est identique à celui d'un célèbre verset du Coran. Il est à noter que dans le village, l'électricité n'est arrivée qu'en 1986 et qu'avant cela, il était difficile de communiquer à longue distance, les villageois avaient besoin de ce genre de langage pour communiquer de courtes nouvelles dans des espaces éloignés.

Comme d'autres formes de communication par sifflement, le kuş dili est apparu dans une région où le terrain accidenté et la faible densité de population rendaient les déplacements sur de courtes distances encore plus difficiles. Selon Kodalak, un sifflet peut résonner à plus d'un kilomètre de distance. "Si votre voix ne peut pas être entendue sur une longue distance, vous pouvez créer un réseau avec différentes personnes qui relaient le message."

Beaucoup de gens du pays croient que le kuş dili est apparu il y a environ 400 ans, bien que personne ne le sache avec certitude. La langue" est, en fait, un dialecte sifflé du turc, avec chaque syllabe reproduite dans l'un des 20 sons différents. Les sujets typiques comprennent des invitations à boire du thé ou à aider au travail, à parler aux voisins de l'arrivée d'un camion de récolte ou à annoncer des funérailles, des naissances et des mariages. Vraiment incroyable.

Une forme de communication menacée de disparition


La lenteur du processus de modernisation du village a permis de préserver kuş dili, mais au cours des dernières décennies, en particulier depuis l'avènement de la téléphonie mobile, la langue a décliné, comme le souligne le mukhtar de Kuşköy ou chef de village, Metin Köçek. "Nous avons maintenant des routes, de l'électricité et des lignes téléphoniques" "Dans notre enfance, le langage des oiseaux était largement utilisé dans la vie quotidienne. Maintenant, nous couvrons les mêmes besoins à l'aide du téléphone cellulaire.

La technologie n'est pas la seule menace. Comme dans d'autres régions rurales de Turquie, de nombreux jeunes quittent Kuşköy à la recherche de meilleures opportunités dans les villes en plein essor du pays. Ce manque d'opportunités est fréquent dans les zones rurales et paysannes de nombreux villages européens, une situation qui a conduit de nombreuses communautés à travailler sur le tourisme rural comme une alternative économique qui à son tour peut sauver les valeurs et traditions lentement oubliées.

Depuis 2000 environ, le village organise un festival annuel pour promouvoir ce que beaucoup considèrent comme leur langue maternelle. Il y a un spectacle de sifflets et un concours parmi les meilleurs siffleurs, dans lequel des instructions sont transmises à chacun des participants sur la vallée, devant un jury, une initiative intéressante qui vise à promouvoir la langue des oiseaux en Turquie et dans le monde, comme l'indique Şeref Köçek, organisateur du festival et responsable de l'Association Langue des oiseaux. Les festivals comprennent de la musique et des danses locales. Certains affirment que le kuş dili pourrait être utilisé comme un moyen de stimuler l'économie locale et d'arrêter l'exode vers les villes, ce qui serait un outil culturel à utiliser dans le tourisme régional.

L'UNESCO souligne que le kus dili est un " exemple fort de créativité humaine pour simuler et articuler des mots à l'aide de sifflets, de doigts, de la langue, de dents, de lèvres et de joues ". En 2017, cette organisation a inscrit la dite "langue des oiseaux" de la mer Noire, au nord de la Turquie, sur la liste des langues en danger nécessitant une protection urgente. La sauvegarde de cette forme de communication, qui s'est développée depuis le milieu du XXe siècle dans les régions de Trabzon, Rize, Ordu, Artvin et Bayburt, représenterait un moyen de renforcer l'identité locale des communautés agricoles qui entourent la mer Noire, avec lesquelles le rôle des écoles serait très important (il y a déjà eu une initiative depuis 2014, qui consiste en l'enseignement de cette langue dans l'enseignement primaire), avec les bibliothèques, pour pouvoir revaloriser la mémoire culturelle des paysans de Kuşköy, en incorporant dans cet espace la précieuse contribution de ces véritables livres vivants.

traduction  carolita d'un article paru sur Elorejiverde le 21/10/2018

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A
Magique, magnifique, que cette tradition perdure en dépit des portables! J'avais vu un reportage il y a qques années sur le sujet, c'est fascinant et combien sont sympathiques ces siffleurs!
C
J'adore ce thème, il est si vivant, si parlant, si chantant, si témoignant de la solidarité et de la débrouillardise des hommes. C'est ainsi que j'aime les hommes, quand ils créent toutes ces choses pour améliorer leur quotidien, s'adapter à leur environnement, communiquer.