Le génocide invisible des peuples indigènes en Argentine

Publié le 27 Juillet 2018

Grâce à différentes lignes d'étude, les chercheurs du CONICET de l'Institut de Recherches Géohistorique du Chaco produisent, avec les communautés de la région, des connaissances sur la façon dont les mécanismes d'oppression se perpétuent. En août, ils présenteront les résultats de leurs travaux lors d'un séminaire.

Momarandu, le 25 juillet 2018 - " Les peuples indigènes  continuent de subir différentes formes de violence qui constituent un génocide ", déclare Mariana Giordano, chercheuse indépendante au CONICET et directrice de l'Institut de Recherche Géohistoriques (IIGHI, CONICET-UNNE).

Depuis près de 20 ans, elle travaille sur des questions liées aux communautés du Gran Chaco argentin, notamment en histoire de l'art et en études visuelles.

Il ne s'agit là que d'un des axes d'étude en cours d'élaboration dans la ville de Resistencia, qui accueillera la deuxième édition du Séminaire de Réflexion sur le Génocide Indigène les 9 et 10 août.

La rencontre, qui a débuté en 2017 et est organisée conjointement avec la Fondation Napalpí, vise à créer un espace de débat interculturel, dans lequel les universitaires et les membres de la communauté peuvent analyser les aspects liés aux langues, aux soins de santé, à la violence de genre et au rôle des médias hégémoniques, entre autres.

Selon les données du dernier recensement national de 2010, il y a plus de 950 000 personnes en Argentine qui se reconnaissent comme indigènes ou descendantes de peuples indigènes. La province du Chaco possède l'une des plus grandes communautés du pays, avec les groupes ethniques Qom, Wichí et Moqoit.

"L'importance de ces secteurs dans la région est très importante, c'est pourquoi il est essentiel que le CONICET et les universités mènent des projets de recherche liés à ces communautés ", explique Giordano, qui, dès le début de sa formation, a travaillé sur ces questions avec une thèse de doctorat sur le discours sur l'image de l'indigène du Chaco.

Ses études se sont ensuite orientées vers la photographie, avec des images de membres des communautés du Gran Chaco obtenues par des groupes hégémoniques au cours des XIXe et XXe siècles, y compris les régions adjacentes du Paraguay et de la Bolivie.

Le caractère interdisciplinaire de ces travaux, qui relient l'histoire de l'art et l'anthropologie, a directement lié la chercheuse aux communautés. "Ces processus ont totalement changé mes perspectives et cette interaction m'a permis un dialogue très fructueux et une position différente.

J'ai commencé à me situer dans un espace où les connaissances ne provenaient pas seulement de l'académie, mais aussi des communautés elles-mêmes ", a dit Giordano.

Roberto Lehmann Nitsche, portraitiste du massacre.

Parmi ces liens, se détache celui qu'elle a construit avec Juan Chico, un historien Qom avec qui elle a réalisé plusieurs travaux communs et qui l'a même aidée à interpréter des photographies de l'anthropologue allemand Roberto Lehmann Nitsche sur le massacre de Napalpi.

Les résultats de ces études d'image ont été utilisés comme preuves dans une affaire initiée par le procureur fédéral de la ville de Resistencia, Diego Vigay, pour déclarer ce fait comme un crime contre l'humanité.

Ces collaborations ont donné lieu au premier Séminaire de Réflexion sur le Génocide Indigène qui s'est tenu en juillet 2017 et a réuni des experts en la matière de différentes institutions pour analyser les massacres qui ont eu lieu en Argentine.

L'intérêt suscité par la réunion de l'an dernier a soulevé la nécessité d'élargir l'appel en 2018, en ajoutant de nouvelles perspectives d'analyse et en envisageant le concept d'un génocide qui demeure latent dans notre pays.

La langue et la santé


"La langue est un autre des mécanismes du génocide indigène, à la fois à cause de la censure à laquelle elle a été soumise et à cause de son déplacement de la langue hégémonique, qui en Argentine est l'espagnol. Ces phénomènes ne sont pas ancrés dans le passé, mais continuent jusqu'au présent ", explique Belén Carpio, chercheuse adjointe du CONICET à l'IIGHI, qui étudie la morphosyntaxe des langues dans les communautés Toba occidental à Formosa depuis plus d'une décennie et qui sera une autre participante au séminaire.

Au cours de sa présentation, elle analysera les concepts qui, du point de vue du bon sens et du milieu universitaire, circulent sur ce que sont les langues indigènes et combien de fois ce point de vue les définit plus par leurs lacunes que par leur valeur.

"Nous voulons réfléchir sur les implications des processus de normalisation, de l'écriture et des différentes situations représentées par le déplacement linguistique ", explique Carpio, qui présentera les résultats de ses recherches avec Raúl González, chercheur à l'Université nationale du Nord-Est, au Noyau d'Etudes en Langues Minoritaires Américaines (NELMA) de l'IIGHI.

"Notre objectif est de contribuer à la reconnaissance de la diversité linguistique. L'importance de maintenir et de développer ce type de travail de description de variétés est d'une grande valeur en termes de documentation linguistique et d'appréciation de la langue pour les peuples eux-mêmes. Se concentrer sur une variété et la nommer d'après les acteurs eux-mêmes montre le respect que nous devons avoir en tant que chercheurs sociaux pour l'auto-inscription ethnique ", souligne Carpio.

Un autre aspect à partir duquel le génocide latent des peuples indigènes sera analysé est celui de la santé.

"Nous avons commencé cette ligne de conduite avec l'objectif de récupérer les cosmovisions de ces communautés en matière de santé et d'apporter des éléments qui permettent la formulation de politiques publiques qui tiennent compte de leurs particularités. Nous travaillons avec leurs propres perceptions pour répondre à ces besoins ", explique Alejandra Fantín, chercheuse indépendante au CONICET de l'IIGHI.

Après avoir effectué des études à la frontière entre l'Argentine et le Paraguay et sur les circuits de la Grande Résistance, son travail dans le cadre du Laboratoire des Technologies de l'Information Géographique s'est concentré sur les soins de santé primaire dans les quartiers Mapic et Toba, où se concentre la population indigène de la ville de Resistencia.

Au cours du séminaire, elle présentera un diagnostic basé sur une étude qualitative réalisée dans le cadre d'un projet de recherche avec une chaire universitaire, qui a permis de déterminer le degré de satisfaction de la population à l'égard des soins de santé.

Ces éléments, qui sont basés sur les données des recensements nationaux, permettent de déterminer un indice d'hygiène du milieu, qui couvre différentes dimensions. "Ces études nous donnent des outils pour récupérer leurs visions, après tant d'années pendant lesquelles ces habitants ont été opprimés et n'ont pas été entendus ", ajoute-t-elle. 

traduction carolita d'un article paru sur le site Servindi.org le 25 juillet 2018

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