Matilde Col Choc: Semeuse en éducation bilingue au Guatemala

Publié le 3 Décembre 2017

Par Rony E. Morales Tot

Le 14 juillet 2014, j'ai appris l'histoire de Matilde Col Choc, victime de disparition forcée en 1983. J'étais très curieux parce qu'en tant que défenseur des droits humains et journaliste communautaire, mon travail a porté sur la lutte pour la terre, la répression et la criminalisation des luttes. Grâce à Mario, mari d'une nièce de Matilde, j'ai pu connaître l'histoire d'une femme rêveuse, une femme en marche, qui a offert son identité à ce monde inégal, indifférente aux populations mayas.

Matilde est née à Cobán le 14 mars 1954 avec l'énergie "13 AJ", qui selon les grands-parents veut dire qu'elle sera comme une graine devant la mère nature, qui portera des fruits. Aj est l'énergie des savants, des lecteurs et des chercheurs. C'était une fille aux pieds nus avec un sourire joyeux qui adorait lire.

L'éducation et l'éducatrice

Après avoir terminé l'école primaire en raison des vicissitudes de la vie, elle a cessé d'étudier et s'est consacrée au travail à la maison, en aidant sa mère. Mais les rêves d'aller de l'avant étaient très présents dans son esprit, et avec un groupe d'amies, elles ont décidé d'étudier le soir. Elles ont été parmi les premières femmes autochtones de Cobán à obtenir leur diplôme d'institutrice bilingue.

A la fin de ses études, elle a été l'une des fondatrices de l'Institut guatémaltèque d'éducation radiophonique - IGER. Avec le père Franz Vond Tattenbach, ils ont parcouru tout le territoire national pour diffuser l'importance de l'éducation bilingue dans les villages mayas. C'est le petit grain de maïs qui a germé et dont aujourd'hui nous voyons ses fruits: maintenant nous regardons le droit à l'éducation des adultes avec la vision du monde maya.

Parler de culture, d'identité, de langue, de spiritualité est synonyme de parler d'identité et aussi des droits d'un peuple maya, tout cela représentait Matilde qui pour nous était une pionnière idéaliste.

Elle a travaillé comme enseignante d'éducation bilingue, en soins de santé pour les enfants et a été communicatrice sociale. Elle a dirigé une émission radiophonique de l'IGER en langue Q'eqchi, où elle a traité de l'importance de l'éducation, de la traduction et des droits des peuples indigènes.  Elle était chargée de traduire les textes de l'espagnol vers la langue q'eqchi pour adultes. C'était aussi une poétesse.

Le rêve de Matilde était que les enfants, les femmes et les adultes apprennent à lire et à écrire dans leur langue maternelle, ce qui leur permettrait d'avancer vers un avenir meilleur. Sa famille et ses amis se souviennent d'elle comme quelqu'un qui cherchait le bien pour les autres, attentionnée, aimable et humble.

Ils ont fait disparaître Matilde

Le 13 janvier 1983, elle a disparu alors qu'elle était enceinte de sept mois , selon une amie. Les jours passèrent et elle ne revint pas; nous avons commencé à la chercher dans diverses régions du pays. Même son frère a  commencé à travailler dans la zone militaire 21 dans le seul but de la retrouver, et quelqu'un de l'armée lui a dit que s'il demandait plus, il lui arriverait quelque chose à lui et à sa famille, qu'il ferait mieux de la fermer.

"Au fil du temps, nous avons appris que Mati avait été arrêtée et avait disparu lorsqu'elle revenait d'une cérémonie maya entre les municipalités de Tactic et Cobán, à un poste de contrôle ou de renfort militaire". Avec elle, Otto Federico Ical Choc a également été arrêté et disparu. Son cas figure dans le rapport de la CEH, Volume VIII, page 84.

La redécouverte

Matilde était l'une des victimes retrouvées parmi les 533 ossements trouvés dans le détachement de Cobán:"En 2012, on nous a demandé de l'ADN pour voir si l'un de ces corps était Mati. Deux ans plus tard, ils nous ont donné son corps, où nous avons pu voir qu'elle avait été torturée, violée et assassinée. Il était très difficile pour nous de connaître les souffrances qu'elle a endurées avant sa mort. Beaucoup des restes trouvés avec ceux de Matilde, avaient eu les yeux bandés, les mains attachées, ils avaient un bâillon dans la bouche pour qu'on ne les entende pas crier".

Le fait de vivre avec une famille qui a été victime d'une disparition forcée pendant la guerre interne au Guatemala m'a fait apprécier encore plus mon travail de journaliste communautaire dans ce pays injuste et inégalitaire. Je suis toujours étonné et indigné d'apprendre que des gens comme Matilde sont persécutés, disparus et même tués pour avoir pensé, écrit, fait de la radio.

En tant que communicateur populaire, je pense que Matilde méritait un avenir et que la nation Q'eqchi sera toujours reconnaissante envers Mati pour tout ce qu'elle nous a laissé.

traduction carolita d'un article paru dans Prensa Comunitaria le 7 décembre 2014 : 

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