Mexique- Tisser ou mourir: la vie des femmes autochtones à Xochistlahuaca

Publié le 20 Octobre 2017

Je m'installe dans les montagnes de l'état du Guerrero, dans la ville de Xochistlahuaca, qui vient du Nahuatl "Llanura de Flores / Plaine de fleurs" ou Suljaa'en amuzgo. Bien qu'il soit vrai que cette ville est connue pour ses güipiles/huipiles et tissus qui voyagent dans tout le Mexique, ce qui arrive à ses habitants semble avoir peu d'importance pour le reste.

 Deux questions fondamentales me guident vers ces lieux: Comment les indigènes Amuzgos  vivent-ils dans leurs terres et quelles sont leurs aspirations?

Pour y répondre, en essayant d'échapper à l'essentialisme qui existe autour de la vie indigène, je me suis installé dans la maison d'une famille Amuzga de la communauté "Llanos del Carmen". La vie communautaire de cette population est totalement opposée au mythe occidental de la communauté indigène. En effet, la surmédiatisation de l'activiste indigène en faveur de son autonomie rend invisible l'indigène qui ne choisit pas son exclusion, mais en souffre.

Cette exclusion est d'abord économique. Les Amuzgos ne peuvent pas se consacrer à un seul emploi, mais à plusieurs pour répondre et couvrir les besoins de leurs familles;"ici, seuls les paresseux meurent de faim" dit Beatriz, mère de famille. Dans Xochistlahuaca l'axiome semble être simple; les hommes travaillent sur le terrain et les femmes tissent. Elles tissent partout. Elles tissent tout le temps. En moyenne huit heures par jour.

Avec 100 pesos vous pouvez vivre un jour à Xochistlahuaca. Les blouses, qui prennent une semaine pour être confectionnées par les femmes Amuzgas, sont vendues le dimanche entre 120 et 220 pesos, ce qui permet à la famille de s'alimenter un ou deux jours avec de la chance.

Ce prix peut être maintenu s'il est donné à un particulier, cependant, dans la plupart des cas, ils sont vendus moins cher à un homme qui achète environ 50 tissages pour les vendre à l'étranger, il décide du prix et pour gagner quelque chose les femmes Amuzgas acceptent de vendre leur travail à un revenu très faible.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, afin de couvrir leurs besoins, les femmes se consacrent à des milliers d'autres tâches de la vie quotidienne; Beatriz, par exemple, s'occupe de ses animaux (porcs, poulets et chèvres), prête sa sonnette pour annoncer des ventes, des morts, etc. Avec les publicités, elle ne gagne que 10 pesos mexicains (à Ometepec, une ville voisine, elle gagnerait 30 pesos mexicains).

Elle sème aussi du maïs dans sa cour, explique que si elle ne le faisait pas, elle passerait sa vie à l'acheter, prêterait sa machine pour moudre le maïs à deux pesos et grâce à ses connaissances en médecine, elle deviendrait infirmière.

Les personnes âgées viennent chercher Beatriz pour leur faire des injections ou qu'elle prenne leur tension artérielle, elles viennent à son domicile parce que selon l'une d'entre elles "à l'hôpital il n' y a presque personne qui parle bien amuzgo et parce que je suis pauvre je ne me sens pas bien à l'hôpital et j'ai confiance en Beatriz".

En plus de ces emplois, Beatriz vend de la nourriture. Aujourd'hui, mardi, jour des tamales, toutes les femmes de la famille cuisinent ensemble pour vendre "une commande" de dix tamales à cinq pesos. Floricelda, sa nièce, n' a pas de cours aujourd'hui, alors c'est à son tour d'aider à la cuisine.

Récemment, elle vend aussi des sucreries pour les enfants (bolis et gélatines), pour lesquelles elle a acheté un réfrigérateur pour trois mille pesos qu'elle devra payer pendant un an. Elle vend des bonbons à un peso, ce qui ne suffit pas pour acheter une cigarette (le coût standard est de deux pesos). Elle dit que les enfants sont aussi pauvres, alors elle ne veut pas leur faire payer plus cher.

En outre, le travail domestique est également une question urgente à tout moment. Beatriz se lève à six heures du matin. Elle dit qu'"elle est une marmotte" parce qu'après avoir préparé de la nourriture pour son fils de dix-sept ans qui va travailler dans les champs, elle retourne au lit dans le hamac. A peine ferme t'elle les yeux et elle doit commencer à vendre des bonbons.

Le fils de Beatriz s'est cassé le bras à l'âge de 13 ans, pour cette raison il est resté à la maison pendant trois semaines, se rétablissant et après sa convalescence il a décidé de ne pas retourner à l'école. Aujourd'hui, Fermín me dit qu'il est fier de participer à la survie de la famille.

La survie, définie par l'Académie Royale Espagnole (RAE) comme le "continuer à vivre ou à exister" qui, après tout, est ce qui justifie tout le travail accompli par les familles d'Amuzga.  Au-delà de cela, le paysan gagne peu à Xochistlahuaca - où le maïs, les haricots, les bananes et les hibiscus sont abondants, l'argent est rare.

Parfois, les familles n'ont pas assez d'argent pour vivre au quotidien. Puis elles mangent de l'herbe, me dit-on. De l'herbe sacrée pour faire un thé, elles peuvent aussi l'intégrer dans des tortillas de maïs, si elles ont assez d'argent pour l'acheter ou avec celle qu'elles trouvent dans les champs, ainsi que des fruits qu'on trouve aussi sporadiquement.

Avec ces conditions de vie, la migration est une aspiration pleine d'espoir. Les mères aimeraient au moins aller vendre leurs tissus dans la ville voisine, Ometepec, parce qu'elles y vendent plus cher. Beatriz ne le fait pas parce que cela coûte de l'argent pour y aller (trente pesos) et dit que les autres femmes ne savent pas bien parler l'espagnol, donc elles ne peuvent pas vendre ailleurs qu'à Xochistlahuaca. "Nous avons peur", dit-elle.

Les jeunes générations rêvent de partir. La routine quotidienne de la mère Amuzga n'est pas acceptable pour la plupart des filles et des jeunes femmes de la communauté. Dans la seule école secondaire de la communauté, tout le monde rêve d'aller ailleurs:"Je n'ai pas d'argent ici", dit Floricelda, la nièce de Beatriz.

"Je ne sais pas beaucoup tisser et je ne veux pas apprendre, je veux aller vers le nord, mais je ne sais pas comment". Face à ma question, Elle m' avoue ne pas savoir exactement dans quelle partie du Nord elle doit migrer. Sa cousine, la fille de Beatriz, est partie aux Etats-Unis à l'âge de 13 ans, Floricelda veut donc aussi partir.

Cesar, un autre élève de l'école, me dit:"Je veux aller aux Etats-Unis, ma mère est là-bas, j'habite avec ma grand-mère, je veux aller dans la ville de Paris". La géographie est confuse pour la majorité, qui n' a pas quitté l'Etat du Guerrero, mais la volonté de partir est forte. Petit à petit, le choix d'une vie frugale dans la communauté indigène de "Llanos del Carmen" semble illusoire et montre son vrai visage: la misère.

Le lien que la communauté a avec la Terre Mère est fort, mais il ne fait pas disparaître le sentiment de pauvreté de cette population qui voit la modernité autour d'elle-même sans pouvoir la toucher; entre le devoir de vivre "traditionnellement" ou plutôt, dans la misère, et celui de continuer à faire de beaux vêtements sans se plaindre.

De plus, si certaines communautés autochtones aspirent à vivre de façon autonome, d'autres comme la communauté de "Llanos del Carmen" sont marginalisées, sans services publics comme l'éducation ou les soins de santé; la seule école secondaire de la communauté dispose de salles de classe grâce aux parents d'élèves qui se consacrent à leur construction.

D'une certaine manière, cette exclusion subie est le résultat de la logique capitaliste qui entre dans la communauté en créant de nouvelles aspirations dans la communauté, ainsi qu'un sentiment de pauvreté face à tout ce que les autres ont. Ces nouvelles aspirations détruisent le mode de vie traditionnel des Amuzgo.

Dans ce nouveau paradigme capitaliste, les indigènes sont condamnés à la misère avec la façade hypocrite de la protection de leur mode de vie traditionnel. D'un autre côté, leurs aspirations sont d'avoir accès aux mêmes choses que leurs voisins, avec la possibilité de parler leur langue et de faire vivre leur culture. La culture du tissage suivrait pour certains, mais pas dans la situation actuelle de nécessité vitale que l'on peut résumer comme "tisser ou mourir".

traduction carolita d'un article paru sur Tercera Via le 18 octobre 2017, un article émaillé de superbes clichés à voir en suivant le lien original : 

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Mexique, #Peuples originaires, #Amuzgo, #Xochistlahuaca, #Guerrero

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article