Le chant d’amour général

Publié le 23 Septembre 2017

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Le tricahue a glissé sa robe bicolore

Sur le pommeau de la selle d’un mustang

Échevelé

La turquoise a copié la tonalité précieuse de la plume

L’émeraude a fait son lit

Dans la douce certitude de l’aube

Quand les hommes ont posé le pied sur l’âtre premier

Arauco a surgi furibond son kultrun sacré a récité les vers

De la naissance

L’argile avait dessiné une coupe natale

Et de cette coupe

L’homme avait surgi dans toute sa nudité formelle

La lampe sur la terre éclairait un monde nouveau

Un monde entier splendide et fécond

Où l’homme pourrait épanouir son art

Eveiller sa curiosité

Adapter sa physionomie avec les moyens à sa portée

Peu à peu surgissaient les édifices

De sacrées citadelles voyaient le jour sous un angle nouveau

 

Les hauteurs de Macchu-Picchu ont alors essaimé leur substance

Filles de la terre

Fiancées de pierre

Mariées au fil rubicond et amantes du condor

Le sol hautement exploité

Les terrasses ébauchées pour rassasier la faim

Monde minéral ébauché à la pointe d’un compas universel

La splendeur aux mains desquelles nul ne pouvait contrevenir :

Monte naître avec moi mon frère

Il y a un centimètre de vie qui persiste dans l’antériorité du calcaire

Il est un fougueux message que seul le poète peut décrypter

 

Ils étaient fiers forts et sombres

Déterminés comme le petit cheval sauvage

A qui l’on a pris la plume-boussole

Ils étaient de la race des libérateurs

Celle qui a construit sur la cendre déposée brutalement

Par la conquête

Un cœur rouge vif vivant et palpitant

Ils sont de ceux qui offrirent le sacrifice de leur vie

Pour sauver une patrie une nation un peuple souverain

Pour sauver Abya Yala pour que s’enfuient à toutes jambes

Ces insupportables conquistadores

Ces sanguinaires macabres véreux, ces vers putrides ces poux

Affairés

 

Leur sacrifice était-il vain ?

Leurs mains offertes aux bourreaux

Leurs cœurs arrachés

Leurs têtes empalées

Etaient-elles simplement des prélèvements sur la planète ?

La part du pauvre qui n’avait pourtant jamais tendu de main 

Car sa nation était fière et son peuple avait toujours survécu avant

Eux

Mais voilà que les traîtres étaient entrés dans la maison

Mais voilà que les bourreaux les prêtres les soldats

Dansaient la danse funèbre autour du feu

Ils étaient assermentés

Ils avaient des consignes claires qui venaient de bien plus haut

Ce continent convoité ces richesses convoitées ces terres convoitées

Ces ors ces argents ces cuivres ces salpêtres ces bois ces fleurs

Il leur fallait tout

Le sable trahi pour robe chaude

Avait le goût du sang

Ce sang chaud et brutalement versé

Dans une coupe d’argile dans un verre d’obsidienne

Reçu comme un grain de plus dans le sablier de la colonisation

 

Le poète avait dû fuir

A cheval dans la nuit

La cordillère était son amie

L’argile son oreiller

Son vin était une terre aimée

Et bien plus que désirée alors qu’elle

S’éloignait

De sa bouche s’échappait un soupir de brume

De copihue et de pignons d’araucaria

C’était comme s’il avait aspiré une à une les aubes

C’est comme s’il avait été perfusé de forêts sombres d’Araucanie

C’est comme s’il avait échangé son sang contre l’eau pacifique

Froide et rebelle

Cette eau qui s’abat avec fougue

Qui ne s’avoue jamais vaincue

 

Cette Amérique dont il ne prononçait pas le nom

En vain

C’était ce fruit cette coque ce cocon

Cette combinaison de lianes racines fleurs enchevêtrées

Pluies australes et coups de vent

L’homme intimement

Se liait comme la farine au beurre

Dans la marmite américaine

Il n’y avait pas de limite à l’amour

Ebauché goutte à goutte par la rosée de la doca

Seul le chant précieux de la loica

Rappelait encore la précieuse géographie

Une hanche étroite et fine

Enserrée entre les diamants de la cordillère

Et le coton nacré du littoral

 

Le petit peuple chilien celui de la pêche

Celui des mines celui des quartiers pauvres

Ouvrit sa porte à l’exilé

Il reçu l’eau fraîche le pain et la parole

L’histoire les histoires les quotidiens

La vaillante sagesse et la sage résignation

La lutte ardente et la confiance absolue

Chacun avait sa souffrance

Chacun avait sa dignité

Chacun avait un message à porter

Le poète était un messager de l’ouvrier

Du marin du mineur du pelleteur, du cordonnier

La terre s’appelait Jean

La terre s’appelait Peuple

La terre était la mère d’un Peuple à défendre

Sa parole était une pierre précieuse

A accrocher autour du cœur

Des hommes

 

Le poète voulait ensuite appeler à la conscience

Eveiller la conscience

Que chacun devienne champion du libre-arbitre

Que chacun prenne bonne note de la solidarité entre les êtres

Et ce de par le monde

Que s’éveille le bûcheron

Qu’Abraham lève sa hache

Et abatte l’arbre pourri et corrompu par les vers

Chaque dictature avait sa sœur avait sa mère

Et celle-ci était toujours assise sur les genoux du yankee

La paix demandée l’était en chantant

Ce chant du poète qui est destiné à porter

Vives

Les paroles de la lutte

Destiné à lever

Haut

Le bras tendu avec son poing fermé

 

Les fleurs de Punitaqui avaient accroché leurs rouges-baisers

Sur les jardinières

Comme des trophées

Petite gouttes de sang

Vermillon mercurien comme pour rappeler ces mêmes gouttes

Versées par les pelleteurs les récolteurs de cuivre chaud

Là-bas au fond des mines

Ou pour rappeler ces chapelets de gouttes

Long train de sacrifiés

Roulant dans le désert aride

Sans justice sans pleurs sans déranger qui que ce soit

En haut

 

Par les fleuves par les océans par les montagnes

Puisant chaque gramme de cette vie naturelle

La nommant la poétisant la sublimant

Le poète est un artiste qui se sert de son art

Non pour nommer

Non pour détailler

Mais pour entrer au fond des choses

Les approfondir

Les rendre matérielles avec de simples mots

Il écrit « opale » et non, nous ne voyons pas la sublime pierre

Transparente

Nous entrons dans un univers chaque fois unique

Sa fiche d’identité est là révélée dans le poème

Poétiser c’est ainsi c’est rendre vie à la vie

C’est rendre justice à la vie

C’est combattre pour la vie

C’est un chant qui s’épanouit qui s’éclaire qui illumine

Il est un engrais distillant chaque jour son bénéfice

Il est un fertile indicateur de puissance réservée

Il est une route tout simplement indiquée

 

Il n’est pas seul le poète dans la nuit

Tant de gens l’accompagnent

Des petites gens rencontrées au-delà des ruelles de Valparaiso

Aux portes des mines tenant les drapeaux de lutte

Sur le Winnipeg aux avant-ports de l’exil

Dans la vie de l’artiste une grappe d’artistes rayonnants

Et multiples

Sublimés par les mots-obsidienne par les justes propos

Par les vérités vraies assénées à grand renfort de mots choisis

L’exil est une souffrance que seuls les exilés peuvent connaître

Ainsi que ceux au cœur d’exil

La patrie n’est jamais si belle que pour l’exilé

Quand s’éloignent ses odeurs particulières ses humeurs précises

Ses flambeaux et ses souvenirs

Il n’y a rien de plus beau que le retour au bercail

La lutte continue et elle s’avère acharnée quand la dictature

Frappe à sa porte la patrie ne peut y croire et ne peut la refuser

Le poète a porté au plus haut niveau le livre qui dit tout

Le lire le relire le re relire le lire en sa véritable version

Apprendre de chaque mot comprendre de chaque vers

Se surprendre à chaque instant

Aimer et continuer d’aimer

Survivre et le faire survivre

Hisser l’étendard des paroles choisies sur le sommet des Andes

Voler tel le condor au-dessus des nappes de brouillard

Déguster la pomme de terre et l’oignon avec le verre de vin chilien

Apprendre à écrire apprendre à lire apprendre à découvrir l’histoire

Eviter qu’elle ne se répète

Je ne suis pas seule dans la nuit

Un atlas sous le bras

Des étoiles dans les yeux

Une feuille de route éclairée

Encore tant de thèmes à fouiller

Un guide du nom de Pablo

Le guide

Non je ne suis pas seule dans la nuit

Dans l’obscurité de la terre.

 

Je suis peuple, peuple innombrable.

J’ai dans ma voix la force pure

Qu’il faut pour franchir le silence

Et germer parmi les ténèbres.

Mort, martyre, ombre, glace

Recouvrent brusquement la graine.

Le peuple semble enseveli.

Pourtant le maïs retourne à la terre.

Ses mains implacables, ses mains

Rouges ont traversé le silence.

Et de la mort nous renaissons.

 

Carole Radureau (18 et 21/09/2017) et passage en italique de Pablo Neruda (Le chant général)

 

Rédigé par caroleone

Publié dans #Mes anar-poèmes, #Fragments de neruda, #Chanson du monde

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