Honduras : Vents de persécution en terre Garifuna

Publié le 28 Septembre 2017

GIORGIO TRUCCHI | ALBA SUD

Des dirigeants et des militants de l'Organisation fraternelle noire du Honduras (OFRANEH) dénoncés pour diffamation par des investisseurs canadiens, dans une nouvelle tentative de criminaliser la protestation sociale contre le pillage causé par un projet touristique et résidentiel.

La prolifération des projets touristiques et résidentiels dans les environs de la baie de Trujillo, sur la côte atlantique du Honduras, engendre de fortes tensions entre les entrepreneurs touristiques, surtout de nationalité canadienne, et les secteurs des communautés garifunas de la région, qui dénoncent la dépossession des terres communautaires et une criminalisation croissante de la protestation sociale et de la défense du territoire.

Plaintes pour diffamation

Le 31 juillet, les dirigeants et militants de l'Organisation Fraternelle Noire du Honduras (Ofraneh) Miriam Miranda, Medalime David, Neny Heidy Ávila et Lety Hernandez, les trois derniers de la communauté de Guadalupe, municipalité de Santa Fe, ont été avisés d'une poursuite contre eux pour le crime présumé de "calomnies et diffamation" contre l'homme d'affaires canadien Patrick Daniel Forseth, gérant principal et représentant légal de la corporation CARIVIDA S. de RL.

Selon l'entrepreneur touristique, les accusées auraient offert des déclarations aux médias nationaux et internationaux où elles le signalent pour quelques délits, entre autres celui de s'être emparé des terres communautaires en employant la tromperie, la force et les menaces. Forseth dit qu'elles sont responsables d'avoir abîmé sa réputation et l'image de l'entreprise qu'il représente.

Les plaintes contre les membres des communautés garifunas organisées dans l'Ofraneh ne sont pas nouvelles. Medalime David a été arrêtée en novembre dernier avec trois autres membres de la communauté de Guadalupe - César Geovany Bernárdez, Celso Alberto Guillén et Cosme Ávila - pour avoir participé, avec d'autres jeunes de la communauté, à la récupération d'une terre sur laquelle il y avait autrefois un projet de tourisme communautaire, et qui en 2012 a été inexplicablement vendue à CARIVIDA.

La jeune Garifuna a été violemment capturée par des éléments de la Police Préventive et de la Marine et accusée d'usurpation. Après un procès rapide, David a été définitivement relaxée. Mais non ses compañeros. En mai dernier, César Geovany Bernárdez a été arrêté pour le même crime et a fait l'objet de mesures alternatives d'emprisonnement, y compris sa comparution régulière devant le juge de Trujillo et son absence de voyage à l'étranger jusqu'à ce qu'il soit jugé.

Chronique d'une dépossession

Les jeunes de la communauté de Guadalupe ont dénoncé à plusieurs reprises qu'au cours de la dernière décennie, il y a eu un processus accéléré de vente illégale de terres situées dans le périmètre du titre communautaire. En particulier, des investisseurs canadiens, dont Forseth lui-même et Randy Jorgensen - ce nouveau directeur général de Life Vision Developments - sont accusés d'usurper des terres communautaires pour la construction de centres de villégiature et de résidences de vacances, en collusion avec des prêtes-noms nationaux et internationaux, des membres de la collectivité et des fonctionnaires.

Selon les informations fournies sur son site Internet, Life Vision est actuellement le plus grand promoteur immobilier de Trujillo. Il dispose de plus de 600 hectares de terre en face de l'océan, où il développe des projets de logements à des fins touristiques, comme par exemple  Banana Coast, Carivida Villas, Njoy Trujillo Beach Residences et Njoy Santa Fe Beach Residences, Marea Honduras, ce sont seulement certains des investissements touristiques qui ont surgit dans une zone qui a été rebaptisée le "Petit Canada”.

Criminalisation de la protestation

"Nous n'avons pas le temps de laisser une accusation et nous en avons une autre. Maintenant, on nous accuse de calomnier et de diffamer cet investisseur étranger, mais ce que nous avons fait, c'est simplement dire la vérité et défendre ce qui appartient à notre communauté. Tout ce qui est soulevé dans ce nouveau procès est faux. Une fois de plus, nous voyons comment l'argent fait bouger les choses et comment, dans ce pays, le fait d'être une défenseure des droits, une femme et une membre des peuples autochtones est un motif de criminalisation et de persécution ", a dit Medalime David à Alba Sud.

L'activiste Garifuna a dit que ne pas se laisser soudoyer ou ne pas plier est le véritable péché qu'ils ont commis. "C'est pour ça qu'ils nous mettent en procès. C'est pour ça que je risque un autre procès. Nous allons rester fermes face à ce qui nous attend et continuer de dénoncer cette mafia canadienne. Nous ne sommes pas seuls. Il y a tout un peuple, notre organisation, nos ancêtres qui nous soutiennent", a-t-elle souligné.

En 1998, à la suite de la lutte d'Ofraneh et de la Confédération des Peuples Autochtones du Honduras (Conpah) pour le titre et la démarcation des territoires ancestraux, l'État du Honduras a démarqué presque toutes les terres des communautés garifunas. Cette même année, le titre définitif de pleine propriété de près de 240 hectares a été cédé à la communauté de Guadalupe, qui a été enregistrée au cadastre deux ans plus tard. Protégée par la loi, la communauté de Guadalupe a exhorté les autorités municipales à respecter le titre définitif, en s'abstenant de procéder à de nouveaux démembrements illégaux et en accordant le plein contrôle sur une partie du territoire de la communauté.

Selon Ofraneh, la législation hondurienne est très claire lorsqu'elle dit qu'il est illégal d'acheter et de vendre des terres sous un titre communautaire. Personne ne peut autoriser la vente de terres communautaires. Cependant, c'était irrespectueux, car les propositions d'investissements touristiques importantes ont chuté et on savait qu'aucune autorité publique n'interférerait avec cette grande entreprise.

Persécution accrue

Le 5 septembre dernier, deux agents de la Direction des enquêtes policières (DPI) et un fonctionnaire de la Commission nationale des télécommunications (Conatel) ont comparu au siège social de l'Ofraneh, situé dans la communauté Garifuna, à Sambo Creek. Les fonctionnaires avaient l'intention de donner à Miriam Miranda, coordinatrice générale de l'Ofraneh, une citation à comparaître pour l'informer qu'il lui était demandé d'en informer les autorités judiciaires. Lorsqu'ils ne l'ont pas trouvée, la police a menacé de la chercher et de l'arrêter.

En plus de faire face à la poursuite intentée par Forseth, Miranda est appelée à comparaître devant le tribunal pour une autre poursuite impliquant l'une des stations de radio communautaires d'Ofraneh. En juillet dernier, toujours à Trujillo, Conatel a déclaré Radio Waruguma en rébellion, menaçant de la fermer.

L'organisation Garifuna affirme que ces attaques et d'autres contre ses stations de radio constituent une violation ouverte du droit à la liberté d'expression des peuples autochtones. Ce droit serait exprimé par la Convention interaméricaine des droits de l'homme, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la Convention 169 de l'OIT.

"La justice au Honduras a toujours deux poids, deux mesures. Nous avons poursuivi Randy Jorgensen et il a fallu des années aux autorités judiciaires pour faire avancer un procès qui n'est pas encore terminé. Au contraire, quand il s'agit de défenseurs, de protestations sociales, la justice agit étonnamment rapidement et avec force", a dit Miranda.

Pour elle, les investisseurs touristiques ont gardé un œil sur toute la région de Trujillo, et il y a une très forte pression sur les jeunes qui ne se laissent pas corrompre ou acheter. Tout ce que nous avons fait, c'est dénoncer au niveau national et international la collusion qui existe entre les autorités locales et le capital étranger, qui nous accuse d'usurper notre propre territoire.

Ils criminalisent et poursuivent la défense des territoires ancestraux garifunas et des biens communs. En tant que coordinatrice générale et représentante légale de l'Ofraneh, je continuerai à accompagner ces processus de lutte et de défense des nôtres. Nous ne pouvons pas permettre à l'État hondurien de privilégier les intérêts des investisseurs étrangers sur les droits du peuple garifuna", a dit Miriam Miranda.

traduction carolita d'un article paru sur Albasud le 25 septembre 2017 : 

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