Le chêne vert qui voulait devenir sapin
Publié le 24 Décembre 2016
Au creux d’un ravin le chêne vert
Dormait pauvre et serein
Sa vie était d’horizon ponctué
De vents de sèves et d’embruns
Il était triste et sans entrain
Juste bon à servir de refuge
Aux petits korrigans fatigués
Juste bon à servir de griffoir
Au chat gris toujours stressé.
Une veille de noël quand dans la grisaille du soir
Tombait une pluie d'étoiles d’or et d’argent
Sur un ciel bleu nuit sans soupçon
Le chêne vert vint à confier
A quelques petites lucioles empressées
Sa honte d’être ce chêne
Cet habitant des bois profonds
Tout juste bon à servir de paillasson
Ou de maison
Ou d’asile aux démunis sans colliers sans abris :
J’aimerais être sapin
De Nordmaniana, de Fraseri ou simplement épicéa
Me laisser choyer combler aimer désirer
Sur mes branches délurées recevoir
Des boules de papier et d’ivoire
Laisser ballants mes bras
Les entourant de guirlandes dorées
Une pluie de paillettes sur ma tête
Une étoile d’or sur mon front
Une pluie de plumes sur mon tronc
De délicates porcelaines
Des cœurs des oiseaux des trompettes
De clignotants phares animés
Des chansons des bougies enflammées
Oui, je voudrais être sapin
D’un soir de quelques jours être enfin
Le roi de la fête
La plus belle des conquêtes.
Attendre patiemment que l’on garnisse
Mon pied de mille cadeaux complices
Voir émerveillés les enfants
Découvrir ouvrir leurs paquets d’argent
Entendre le petit train du matin joyeux
Dérouler sa fumée sur les rails vite montés
Regarder le château-fort se construire
La poupée pleurer quelques heures
Lâcher d’émotion quelques aiguilles
Suinter quelques grammes de résine solidaire
Puis fermer mes yeux à jamais
Dans un grand sac en mille morceaux
Finir ma vie d’arbre sacré
Finir mon temps sec et rompu
Sec et brisé comme un objet ayant trop servi.
Ephémère est la vie du sapin
Qui a été choisi pour sacrifice
Sur l’autel des plaisirs de noël
Comme une dinde une truffe un boudin.
Il brille de ses mille lumières
Embaume de ses mille parfums
Envoie ses mille ondes forestières
Pour après les fêtes ne faire qu’un couac
Dans le feu de camp de la consommation.
Le chat gris va-et-vient
Autour du chêne vert son ami son poteau
Il n’ose lui dire que sans lui
Les griffures auraient pâle apparence
Le petit korrigan va-et-vient
Au pied du chêne vert son copain
Il n’ose lui dire combien il compte pour lui
Abri de fortune ombre délicate glands délicieux
Montagne dans la forêt
Chaîne de vie jamais lassée de croître dans la quiétude
Géant des ans timidité de fillette
Le chêne vert à lui seul est une conquête
Que tous les korrigans du monde souhaitent découvrir.
Certes il n’a pas les vertus des sapins de noël parfumés
Certes il n’a pas de symbolisme prégnant
Pour les hommes et les enfants friands de légendes
Mais pour les petites vies des bois
Il est le roi
Il ne le sait pas
Humble et grand dans son attitude complexée
Est le chêne vert de la forêt
Qui n’a pas eu son heure de gloire
Avant que le poète n’écrive
Son nom le soir de noël dans un conte à l’emporte-pièce
Pour rectifier sans en avoir l’air
L’injustice sylvestre qui comme toutes les injustices
Est cruellement injuste.
Carole Radureau (22/12/2016)
Joyeux noël amig@s amigos.
Par Fritz Geller-Grimm — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3325859