L'art millénaire d'éduquer chez les peuples indigènes
Publié le 29 Février 2016
Éduquer c'est donner du sens. C'est donner du sens à notre être dans le monde. Nos corps ont besoin de ce sens pour se réaliser pleinement. Mais nos corps sont aussi vides d'images qui doivent faire partie de notre esprit pour que nous puissions donner les réponses à ce qui se présente à nous comme des défis de l'existence. C'est pour cela qu'il ne suffit pas d'alimenter notre corps, il faut aussi alimenter l'âme, l'esprit. Sans nourriture, le corps s'affaiblit et sans sens, c'est l'âme qui se rend au vide de l'existence.
L'éducation traditionnelle chez les peuples indigènes se soucie de cette triple nécessité : du corps, du cerveau et de l'esprit. C'est une préoccupation qui comprend le corps comme quelque chose plein de nécessités pour pouvoir se maintenir en vie.
Cette vision de l'éducation est soutenue par l'idée que chaque être humain doit vivre intensément son moment. L'enfant indigène est alors poussé à être radicalement enfant. On ne lui demande jamais ce qu'il prétend être lorsqu'il sera grand. Il sait que rien ne sera s'il ne vit pas pleinement son être infantil. Rien ne sera car c'est déjà. Nul besoin d'attendre de grandir pour être quelqu'un. On lui présente le défi de vivre pleinement son être infantil pour qu'ensuite, lorsqu'il vivra une autre phase de sa vie, il ne se sente pas vide d'enfance. On lui offre des activités éducatives pour qu'il apprenne en s'amusant et qu'il s'amuse tout en apprenant le processus continu qui lui fera percevoir que tout fait partie d'une grande toile qui s'unit à l'infini.
Dans le même mouvement, il sera introduit dans l'univers spirituel. Nourri des histoires racontées par les vieux du village, l'enfant et le jeune commencent à percevoir que c'est dans son corps que résident les sens de l'existence. Ces sens sont offerts par la mémoire ancestrale concentrée chez les vieux conteurs d'histoires. Ce sont eux qui actualisent le passé et lui permettent de rencontrer le présent en montrant à la communauté la présence du savoir immémorial capable de donner du sens à être dans le monde.
Tout ce processus est alimenté par des rituels qui rappellent le passé pour signifier le présent. Ce sont des mouvements du corps animés par des chants et des danses, répétés dans le but de "maintenir le ciel suspendu". La danse rappelle la nécessité d'être reconnaissant envers les esprits créateurs; cela nous raconte que nous avons besoin de sens pour vivre dignement; cela ordonne l'existence. Chaque groupe d'âge ritualise à sa façon. Chacun se sent responsable du tout, de l'unité, de la continuité sociale.
Éduqer c'est donc impliquer. C'est révéler. C'est signifier. C'est montrer les sens de l'existence. C'est offrir. Et cela ne se termine pas quand la personne est diplômée. Il n'y a pas de diplôme. Celui qui vit le présent est toujours dans ce processus d'éducation.
C'est pourquoi l'enfant sera toujours un enfant. Pleinement enfant. Cela garanti que le jeune sera jeune au bon moment. L'adulte vivra cette phase de sa vie sans nostalgie de l'enfance, car il l'aura vécue pleinement. C'est la même chose pour les vieux. Ce que chacun porte en lui, c'est la joie et les douleurs qu'il a vécu à chaque moment de sa vie. Cela ne s'effacera pas en lui, mais c'est ce qui le maintient lié au présent.
Résumé : l'éducation traditionnelle indigène fonctionne. Les personnes se sentent complètes lorsqu'elles comprennent que la complétude n'est possible que dans un contexte social, collectif. Chaque phase par lesquelles passe un indigène - depuis sa plus tendre enfance - alimente un regard pour le tout, car la connaissance qu'il acquiert et qu'il vit est un savoir holistique qui ne se dédouble pas en mille spécialités, mais il comprend l'humain comme une unité intégrée à un Tout plus grand et Unique.
Considérer les peuples indigènes à partir d'une vision rase de production, de consommation, de richesse et de pauvreté est pour le moins une manière de les vider des sens qu'ils recherchent pour eux mêmes.
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Par Daniel Munduruku, diplômé en philosophie, histoire et psychologie, docteur en éducation et écrivain primé de l'éthnie Munduruku, le 15-05-2009
source : http://www.contioutra.com/a-milenar...
photo de Antonio Carlos Ferreira Banavita
L'art millénaire d'éduquer chez les peuples indigènes
Éduquer c'est donner du sens. C'est donner du sens à notre être dans le monde. Nos corps ont besoin de ce sens pour se réaliser pleinement. Mais nos corps sont aussi vides d'images qui doivent ...