La faim sévit dans le nord de la Colombie

Publié le 3 Avril 2015

REPORTAGE • Trois mille enfants sont décédés officiellement de malnutrition entre 2008 et 2013 dans le département de La Guajira, pourtant riche en ressources naturelles. Et l’hécatombe continue.

Des arbustes rachitiques disputent le territoire sablonneux aux cactus. Le climat semi-désertique du département de La Guajira, dans le nord de la Colombie, ne facilite pas l’abondance des récoltes. Mais le soleil a bon dos. Contamination, corruption, déplacements forcés, irresponsabilité des autorités locales et abandon de la part des pouvoirs publics (lire ci-dessous) sont quelques-unes des causes de la malnutrition qui entraîne la mort de centaines d’enfants chaque année. Officiellement, trois mille mineurs sont décédés entre 2008 et 2013. Mais il ne s’agit que des cas dûment enregistrés. Selon de nombreuses sources locales, l’hécatombe serait bien plus importante.

Maïs, eau et sucre pour seule nourriture
Cela fait plusieurs années que Omaira Pushaina Ipuana, 24 ans, ne peut presque plus rien planter. Depuis huit ans, la municipalité d’Uribia déverse ses égouts directement dans la rivière qui alimente son village en eau. La station d’épuration, construite par un sous-traitant privé, n’a jamais été mise en service, à la suite d’une mésentente entre les municipalités locales et l’entreprise. Résultat: l’écoulement du précieux liquide se trouve souvent stoppé par les immondices en amont et le peu qui arrive est contaminé par des matières fécales.
Sur le terrain ensablé de la finca (ferme), les cinq enfants de la jeune femme du peuple indigène wayuu ont faim. «Je ne leur donne pratiquement que de la chicha (maïs mêlé à de l’eau et du sucre, ndlr)», assure-t-elle. La communauté autochtone de Shiruria, mille cinq cents âmes, souffre aussi de troubles gastro-intestinaux. «Deux enfants de mes cousines sont morts à la fin de l’année dernière», témoigne Omaira Ipuana. Les autorités traditionnelles font état d’un total de cinq bambins décédés dans cette bourgade en décembre 2014.

Une multinationale suisse en cause
Un peu plus loin, près de la ville de Manaure, la situation n’est pas plus reluisante. Rosalinda Rosado Flores, jeune leader wayuu, raconte son expérience traumatisante en tant que promotrice de la santé auprès de quelque six cents communautés indigènes de la région: «En à peine deux ans, sur les soixante cas de mineurs sous-alimentés que j’ai identifiés, six sont morts de malnutrition», assure-t-elle. Rosalinda Flores était aussi chargée de délivrer aux autochtones des paquets d’aliments destinés aux enfants de moins de 5 ans, des denrées envoyées par l’Institut public colombien de Bien être familial, le Bienestar. «Mais ces vivres ne suffisent que pour deux à trois jours», s’indigne-t-elle. «Je n’ai pu passer qu’une seule fois dans la plupart de ces communes. Alors à quoi cela sert-il?»
Plus au sud, tout autour de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert du monde, «El Cerrejòn», détenue pour un tiers par Xstrata, une multinationale domiciliée en Suisse, les riverains se plaignent aussi de la faim. Les déplacements forcés de plusieurs milliers de personnes, initiés au début des années 1980 et toujours en cours, ont tout d’abord jeté nombre d’entre eux dans l’extrême pauvreté et ont déstabilisé les économies agro-pastorales des populations locales. «Après avoir été chassés de nos terres, nous sommes passés du statut de producteur agricole à celui de consommateur», résume Rogelio Ustate, dirigeant afro-colombien de la communauté de Tabaco, qui a été délogée en 2001 de son territoire par les forces de l’ordre pour y faire place à la mine.

De la terre et des puits
Puis, l’exploitation massive de la houille, accompagnée d’un déboisement de quelque 60 000 hectares, a peu à peu modifié le climat et les conditions biologiques du milieu local, assurent des représentants des communautés avoisinantes. «Avant il pleuvait plus et les rivières avaient un débit correct. Avec les explosions de Cerrejón, qui provoquent des minitremblements de terre, et la poussière constante qui émane de la mine, tout s’est asséché. Et les plantes et les arbres sont contaminés», raconte Nelson Ipuana Uriana, de la réserve indigène wayuu de Caicimapa. Il assure que la moitié de ses voisins se trouvent en situation de pénurie alimentaire.
Partout, les mêmes revendications: au-delà d’une aide humanitaire d’urgence, que l’Etat et l’entreprise Cerrejón indemnisent convenablement les communautés affectées par la mine, que le gouvernement octroie des terres et finance des projets productifs pour tous les paysans souffrant de la malnutrition. «Les pouvoirs publics doivent fournir quelques hectares à chaque famille, des outils adaptés et creuser des puits pour permettre l’irrigation», suggère Nelson Ipuana Uriana. Depuis quelques années, après la mobilisation des autochtones et le relais de l’information dans les médias colombiens, les autorités locales ont commencé à réagir. Mais la corruption et l’absence de politique cohérente entravent toute action publique (lire ci-contre et ci-dessous). Seules quelques miettes arrivent jusqu’aux plus nécessiteux, assurent tous les acteurs sociaux sur place. (…)

source: http://www.lecourrier.ch/128941/la_faim_sevit_dans_le_nord_de_la_colombie

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Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Colombie, #indigènes et indiens, #Wayuu

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D
Encore un chantier capital , il était bon de faire connaître le problème crucial
C
Les Wayuu sont un de mes peuples chouchous si je puis dire que j'en ai....