Brésil : Les Indiens et le coup porté à la Constitution
Publié le 15 Avril 2015
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Les Indiens vont occuper Brasilia. En choisissant le mot "Indien", je perds une partie de mes lecteurs. C'est une association immédiate : "Indien ? Ça ne m'interesse pas. Les Indiens sont loin, les Indiens sont chiants, les Indiens ne me concernent pas". Voilà, clic fatal, page suivante. Bon, pour ceux qui continuent à me lire, une information : plus de mille représentants indigènes occupent Brasilia du 13 au 16 avril, au nom de leurs droits, mais aussi au nom des droits de tous les Brésiliens. Il y a en cours un coup porté contre la Constitution au Congrès National. Pour qu'il réussisse, il faut votre désintérêt.
Gardez en mémoire ce sigle et ce numéro : PEC 215. Quand on parle de PEC 215, déjà le sigle et le numéro repoussent les gens parce qu'en eux est représentée toute une connotation de bureaucratie et un processus législatif duquel la majorité de la population se sent exclue. Les parlementaires qui veulent l'approuver comptent sur ce retrait, car la désinformation de la majorité en ce qui concerne ce qui est de fait en jeu est ce qui peut garantir l'approbation de la PEC 215. Si pendant des siècles la parole écrite fut un instrument de domination des élites sur le peuple, aujourd'hui c'est ce langage, cette terminologie qui nous rendent analphabètes et nous tiennent à l'écart du centre du pouvoir où notre destin est décidé. Il faut vaincre cette barrière et s'approprier les codes pour participer au débat qui modifie la vie de tous. L'aliénation a, cette fois-ci, un prix impossible à payer.
Qu'est-ce qu'une PEC ? Une PEC est une Proposition d'Amendement Constitutionel (Proposta de Emenda Constitucional, en portugais). Un instrument pour, en thèse, améliorer la Constitution de 1988. Ce que cette PEC, la 215, prétend, en résumé, est de transférer de l'Exécutif au Congrès (Législatif) le pouvoir de démarquer les terres indigènes, les territoires quilombolas* et les unités de conservation environnementale. Sauf qu'un résumé, comme tout le monde le sait, n'explique jamais complètement les choses. Le droit à leur territoire ancestral est une garantie fondamentale de la Constitution car la terre est une partie essentielle de la vie des Indiens. Sans elle, on condamne des peuples entiers à la mort physique (génocide) et culturelle (éthnocide). Cela explique pourquoi, en 2012, un groupe de Guarani Kaiowá du Mato Grosso do Sul a demandé, dans une lettre aux blancs, qu'ils soient déclarés morts. Ils préfèraient être exterminés plutôt que d'être expulsés une fois de plus :
"Nous demandons donc au gouvernement et à la Justice Fédérale de ne pas émettre cet ordre d’expulsion. Nous sollicitons que soit décrété notre mort collective et que nous soyons tous enterrés ici. Nous demandons que soit décrétée une fois pour toute notre décimation / extinction totale et que soient utilisés des tracteurs pour ouvrir notre fosse commune. Ceci est notre demande faite aux juges fédéraux."
(extrait de la lettre ouverte de la communauté Guarani Kaiowá de Pyelito Kue/Mbrakay du 10 octobre 2012. L'intégralité de la lettre : https://www.facebook.com/notes/soutien-europ%C3%A9en-au-br%C3%A9sil-indig%C3%A8ne/lettre-ouverte-de-la-communaut%C3%A9-guarani-kaiow%C3%A1/369538956466181 - NDT)
Sans la terre de ses ancêtres, un Indien n'est pas. Il n'existe pas. Les Guarani Kaiowá, une des éthnies dans la plus dramatique des situations au Brésil, et probablement dans le monde, témoignent du suicide d'un adolescent tous les 5 jours, en général pendu à un arbre, en raison du manque de perspective de vivre avec dignité sur le territoire de ses ancêtres. C'est pour cela que ce groupe a affirmé préférer mourir que d'être expulsé, une fois de plus, car au moins, hommes, femmes et enfants mourraient ensembles, parce que les indigènes se conjuguent au pluriel, et ils mourraient sur le sol auquel ils appartiennent.
Le forfait nuisible
Le pouvoir de démarquer les terres indigènes, les territoires quilombolas et les unités de conservation est attribué au pouvoir exécutif par la Constitution, et ce n'est pas par hasard, ni par un jet de dés qui déterminerait un résultat qui n'importe pas. Il a été attribué par des critères clairs, étudiés en profondeur, avec l'objectif de reconnaître les droits et de protéger l'intérêt de tous les Brésiliens. C'est l'Exécutif qui a la structure et les conditions techniques pour suivre le processus nécessaire aux démarcations, depuis les équipes formées pour réaliser les études qui prouvent l'occupation traditionnelle jusqu'à la résolution de conflits et l'éventuelle nécessité d'indemnisations. De la même manière, il est évident que la création de zones de préservation font partie de la stratégie de la politique sociale et environnementale de n'importe quel gouvernement.
Quand les parlementaires essayent de retirer le pouvoir de démarcation de l'Exécutif pour se le remettre à eux mêmes, ce qu'ils tentent de faire n'est pas d'améliorer la Constitution, mais de lui porter atteinte. Dans la pratique, la PEC 215 est seulement la pire de toutes les diverses stratégies en cours pour en finir avec les avancées de la Constitution au sujet de la préservation de l'environnement, des peuples indigènes, des quilombolas et des riverains agro-extractivistes qui le protègent. Dans la pratique, si la PEC 215 est adoptée, le plus probable est la paralysation des création d'unités de conservation. Et c'est sur ce point que la PEC 215 en vient à menacer le droit fondamental de tous les Brésiliens à un environnement écologiquement équilibré et, par extension, à menacer le droit à la vie.
La PEC 215, à laquelle se sont ajoutées diverses breloques dangereuses, est devenue une espèce de forfait nuisible. Elle prétend aussi déterminer que seuls les peuples indigènes qui étaient "physiquement" sur leurs terres au moment de la promulgation de la Constitution de 1988 auraient droit à ces terres. Ainsi, tous ceux qui avaient été expulsés de leurs terres auparavant, aussi bien par des trafiquants que par les projets d'occupation encouragés par l'État, en seraient dépossédés définitivement. Cette proposition légalise le crime, car les Indiens expulsés par la force de leurs territoires seraient "rendus coupables" de ne pas les occuper, les perdant pour toujours. On dirait une histoire de fou, mais c'est exactement cela qui est défendu. En enquêtant sur les crimes de la dictature, la Commission Nationale de la Vérité a constaté que, pour seulement dix éthnies, 8350 Indiens ont été assassinés. La réparation au moyen de la démarcation et de la récupération environnementale de leurs terres a été considérée comme une mesureminimum pour rétablir la justice.
Mais il y a encore pire dans la PEC 215. Elle prétend ouvrir des exceptions à l'usufruit exclusif des peuples indigènes, telles que la location de leurs terres à des non indiens, la permanence de noyaux urbains et de propriétés rurales, la construction de routes, de voies ferrées et fluviales. Elle cherche aussi à réviser les processus de démarcation en cours, de même que d'empécher l'agrandissement de terres déjà démarquées. Il y a aussi le risque que la PEC 215 ouvre un espace, si elle est approuvée, pour que les terres déjà garanties puissent souffrir des modifications en fonction de nouveaux critères. Pour mieux comprendre : si la PEC 215 est approuvée, ce qui peut se produire c'est que d'une part il n'y ait pas de démarcation de nouvelles terres, et d'autre part que soit retirée la protection de celles qui étaient déjà garanties.
Ce qu'il y a derrière ce coup de force
Cela serait un monde parfait pour qui ? Pour moi, pour vous ? Je ne le crois pas. Mais ça l'est pour certains. Ça l'est toujours pour quelques uns. Il suffit de voir qui est aux commandes de la commission de la PEC 215 pour comprendre. Toute sa coordination est de la dite "bancada ruralista" (groupe parlementaire ruraliste - NDT). Mais il est important de comprendre de quels ruralistes nous parlons, afin de ne pas renforcer une fausse opposition à l'encontre des producteurs ruraux du Brésil, ceux qui de fait produisent des aliments pour les Brésiliens. Un monde sans terres indigènes ni unités de conservation serait-il bon pour ceux qui produisent des aliments pour le pays ? Il me semble que non. Les producteurs ruraux intelligents et qui ont un esprit public, qu'ils soient petits ou grands, ont besoin des forêts. Et s'ils ont besoin des forêts, ils ont besoin des terres indigènes et des zones de préservation environnementale.
Alors, si ce monde n'est bon ni pour moi ni pour vous, ni même pour ceux qui produisent de la nourriture, pour qui est-il bon ? On peut toujours avoir une piste en suivant l'argent. Dans ce cas, l'argent du financement des campagnes électorales. Selon le Portail de Nouvelles Socio-Environnementales, dans une analyse faite à partir des données du Tribunal Supérieur Électoral (TSE), au moins 20 des presque 50 députés de la commission spéciale qui analyse la PEC 215 ont été financés par des grandes entreprises de l'agro-industrie, du secteur minier et électrique, de la construction civile, du bois ainsi que par des banques. Certains de ces parlementaires ont reçu individuellement plus d'un million de reais d'entreprises liées à ces secteurs.
Ceci est un chapitre important pour comprendre les "pourquoi". Aussi bien les terres indigènes que les unités de conservation sont des terres publiques. Les peuples indigènes ont l'usufruit de ces terres. Les unités de conservation sont des parcs et des forêts nationaux, des stations écologiques, des réserves extractivistes ou biologiques, des refuges de la vie sylvestre etc... qui appartiennent à nous tous et qui sont créés pour empécher une exploitation prédatrice et protéger la biodiversité, réalité stratégique pour le développement soutenable.
Comment dès lors mettre la main sur ces terres publiques et protégées (ou qui devraient être protégées), des terres qui sont un patrimoine de tous les Brésiliens, afin qu'elles puissent devenir privées, pour l'exploitation et le bénéfice de quelques uns ? En les déprotégeant. Et comment faire cela ? En attaquant la Constitution. Mais comment attaquer la Constitution ? En travestissant ce coup de force par la légalité du processus législatif. Considérant le gouvernement fragilisé, avec un taux d'approbation populaire très bas et peu de soutien même de sa propre base, ainsi qu'un Congrès le plus conservateur depuis la redémocratisation, voilà, on a toutes les conditions réunies pour pratiquer le crime.
Si ensuite le Suprème Tribunal Fédéral considère cet amendement anticonstitutionel, des années se seront écoulées, et aussi bien la privatisation d'espaces publics que la dévastation d'éco-systèmes comme la forêt amazonienne ou le cerrado seront devenus des faits accomplis. Il suffit de suivre la trajectoire de Belo Monte, qui malgré les illégalités constamment dénoncées, les nombreuses actions du Ministère Public Fédéral et la suspicion de paiements de pots de vin par les constructeurs dans la mire de l'opération Lava Jato, devient un fait accompli sur les rives du Xingu. Quand cela arrivera finalement au Suprème Tribunal Fédéral, ce sera déjà trop tard.
Les Indiens, ces étrangers natifs
La conversion du public en privé, en bénéfice des grands intérêts particuliers de l'exploitation de la terre et des ressources naturelles du Brésil, c'est ce qui est en jeu dans les manigances de gens très puissants. Il revient à la population brésilienne de s'informer et de participer au débat si elle conclut que ce n'est pas le projet de pays qu'elle souhaite. Pour les peuples indigènes, les quilombolas, les riverains ? Il me semble que cela serait déjà un motif plus que suffisant. Sur les Indiens en particulier, ceux qui ont d'énormes intérêts dans les richesses ders terres qu'ils occupent ont l'habitude de divulguer l'idée qu'ils seraient "des entraves au développement" ou qu'ils ne seraient plus "de vrais Indiens". Mais des entraves à quel développement et au développement pour qui ? Et quelle serait cette catégorie de "vrais Indiens" ?
Cela vaut la peine d'examiner ces préjugés de près pour se rendre compte qu'ils ne tiennent pas la route, après une confrontation minimum avec la réalité. Tout d'abord "l"'Indien n'existe pas, il y a une énorme diversité dans la manière qu'a chacun des 242 peuples recensés par l'Institut Socio Environnemental de donner un sens à ce que nous appelons le monde et comment il se voit dans le monde - ou dans les mondes. Le Brésil est le premier des 17 paýs méga-divers du monde, en grande partie en raison de ses peuples indigènes. Par pays méga-divers, on définit ceux qui concentrent la plus grande partie de la biodiversité du monde, et par conséquent, la planète entière dépend de leurs préservations. Cela est la plus grande richesse du Brésil, mais la cupidité de quelques uns, et l'ignorance de beaucoup, la menace et la détruit, mettant en risque la vie de tous.
Les peuples indigènes, guardiens de la biodiversité, sont réduits au silence par la simplification, parfois tout simplement imbécile, généralement motivée par de mauvaises intentions, en les caractérisant comme "l"'Indien et une "entrave au développement". On estime qu'il y avait plus de mille peuples indigènes lorsque les Européens ont débarqué au Brésil. Aujourd'hui, une partie des parlementaires de l'actuel Congrès ne mesure pas ses efforts pour terminer le génocide débuté il y a 500 ans.
Quand la Constitution a assuré les droits des peuples indigènes, en 1988, elle n'a pas créé de nouveaux droits, elle a seulement reconnu les droits pré-existants, car ces peuples étaient déjà là avant n'importe lequel des Européens. Légalement, il ne s'agit pas de "donner" des terres aux peuples indigènes, mais simplement de démarquer les terres qui étaient déjà les leurs depuis toujours. Dans ce processus, de la responsabilité de l'Exécutif, il faut indemniser les fermiers et les agriculteurs qui possèdent des titres légaux de propriété (et le mot "légaux" doit être souligné), donnés par les gouvernements lors des nombreux projets d'occupation, des gens qui n'ont pas la moindre responsabilité d'avoir été installés avec leurs familles sur des territoires indigènes. D'après la Constitution, l'État avait un délai de cinq ans pour démarquer les terres indigènes. Comme nous le savons, plus de 25 ans se sont écoulés et des dizaines de terres indigènes n'ont pas été démarquées.
Comme nous le savons aussi, l'illégalité n'est pas bonne pour le pays : les conflits fonciers qui se répandent au Brésil, en semant des cadavres, sont le résultat de la lenteur à respecter la Constitution, laquelle est aujourd'hui sous la menace du groupe ruraliste au Congrès. Il convient de rappeler que les droits fondamentaux sont inscrits dans la Constitution afin que la majorité au pouvoir ne puisse pas les menacer au nom de ses intérêts. L'importance de cette protection n'en est que plus claire si l'on observe l'actuelle composition du Congrès : il y a des dizaines de ruralistes et aucun indigène.
Dans le chapitre "mensonges & manipulations" sur les peuples indigènes, il y a au moins trois lignes de pensée très populaires au Congrès mais aussi hors du Congrès. Il y a les "retardistes", des gens qui ont étudié et qui collectionnent les diplômes, mais qui préfèrent ignorer l'anthropologie et les penseurs du niveau de Claude Lévi-Strauss, et qui considèrent que les Indiens sont "retardés". Pour eux, il y a une chaîne évolutive unique de laquelle on ne peut échapper et qui va de la pierre taillée à l'Ipad. Ils n'arrivent pas - ou ne veulent pas - avoir un minimum d'amplitude de pensée pour comprendre la multiplicité des choix et des parcours possibles à la trajectoire d'un peuple. Ils n'arrivent pas non plus à percevoir que ces différences sont justement ce qui forme la richesse de l'expérience humaine. Et, bien sûr, ils préfèrent "oublier" ce que le type de "progrès" qu'ils défendent provoque sur la planète.
La deuxième ligne de pensée est celle des "contrôleurs d'authenticité". Quand la classification des Indiens comme "retardés" et "entraves au développement" ne fonctionne pas, ils disent alors que oui les Indiens ont des droits, mais seulement les "vrais Indiens". Il y aurait donc les non-légitimes, ceux qui parlent portugais, qui utilisent des téléphones portables, qui regardent la télévision ou conduisent des voitures. Dans cette logique sous le seuil de la stupidité, les Brésiliens qui parlent anglais, vont à Disneyland, préfèrent le rock à la samba, et récemment, sont supporters d'équipes de foot européenes pourraient être considérés comme de faux Brésiliens et perdre ainsi leurs droits. À ce niveau de l'histoire humaine et avec autant de connaissances produites, on aurait aimé s'attendre à un peu plus de sophistication dans la compréhension de ce qui fait que quelqu'un est ce qu'il est.
Quand les deux mensonges précédents ont été démasqués, apparaissent les "bons Samaritains" pour sauver la Patrie - la leur. Ceux là trouvent que ceux qui aiment la nature sont les anthropologues et les environnementalistes, et que le rêve des indigènes, leur vrai rêve , dans leur "intrinsèque intime", est de vivre dans nos merveilleuses favelas et banlieues, avec un égout qui serpente devant la porte et la police qui tire comme à la foire, vivant de "Bolsa Familia" (allocation dérisoire destinée aux plus déshérités - NDT) et de paniers repas. Cela serait le sommet de l'évolution : de "faux Indien" à "Brésilien pauvre légitime". Qui pourrait résister à un tel progrès dans la vie ?
Un coup porté à la Constitution ici ou là et ces bons Samaritains en arrivent au point optimum : ils aident les Indiens qu'ils n'ont pas réussi à tuer à devenir pauvres, point final. Pourquoi des terres pour les Indiens s'il n'existe plus d'Indiens ? L'ignorance n'est battue que par la mauvaise foi. Mais c'est avec de tels préjugés, soigneusement disséminés et manipulés, que l'on essaye de transformer les indigènes en une sorte d'étrangers natifs, comme si ceux "d'ailleurs" étaient ceux qui ont toujours été là. Cette xénophobie inversée serait seulement un non-sens si elle n'était totalement perverse, au service d'objectifs bien déterminés.
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Adhérer ou penser ?
Il y a beaucoup de terre pour peu d'Indiens ? Comme a l'habitude de le dire le socio-environnementaliste Márcio Santili, "il y a beaucoup de terre pour peu de fazendeiros". Selon le recensement de 2010 de l'IBGE (Institut Brésilien de Géographie et de Statistiques -NDT), il y a 517 mille Indiens sur moins de 107 millions d'hectares de terres indigènes, l'équivalent de 12,5% du territoire brésilien. Et où se trouvent ces terres ? Plus de 98% d'entre elles sont dans l'Amazonie Légale - et moins de 2% en dehors. Mais les 46 mille propriétaires de terres, selon le recensement agricole de l'IBGE, exploitent une zone bien plus grande : plus de 144 millions d'hectares.
Sur la réalité de la concentration foncière dans le pays, qui continue à croître, le Cadastre d'Immeubles Ruraux de l'Incra (Institut National de Colonisation et Réforme Agraire) montre que les 130 mille grandes propriétés rurales particulières concentrent presque 50% de toutes les terres privées enregistrées à l'Incra. Mais les presque 4 millions de petites propriétés équivalent, toutes ensembles, à un cinquième de tout ça : 10% de toutes les terres enregistrées. Dans une entrevue au journal O Globo, le chercheur Ariovaldo Umbelino de Oliveira, coordinateur de l'Atlas de la Terre, a affirmé que presque 176 millions d'hectares sont improductifs au Brésil. Se pencher sur les chiffres est déjà un bon début pour penser plutôt que pour simplement adhérer.
Il manque d'espace pour la production alimentaire dans le pays ? Tout indique que non. Dans un pays avec cette quantité de terres destinées à l'agriculture et à l'élevage et avec cette concentration de terres entre les mains de quelques uns, affirmer que le problème du développement est les peuples indigènes est tout juste moins ridicule que l'affirmation de Katia Abreu, la "latifundiária", qui dit qu'il n'existe plus de latifundio au Brésil, et aujourd'hui ministre de l'agriculture, qui affirme que "le problème est que les Indiens sont sortis de la forêt et sont descendus dans les zones de production". Les Indiens, ces envahisseurs du monde des autres. Mais c'est ainsi que l'histoire est distordue et est racontée à la population.
Alors oui, respecter les droits des peuples indigènes serait déjà un motif suffisant pour lutter contre la PEC 215. Mais la PEC 215 ne menace pas seulement les peuples indigènes et les populations traditionnelles. Elle menace la vie de tous les Brésiliens (et de tous les terriens - NDT). Mais pourquoi ? Parce que si nous avons des forêts sur pied, c'est grâce aux peuples indigènes et aux populations traditionnelles, ce sont eux l'obstacle sur le chemin d'un type d'exploitation qui, après avoir tout consumé, les bénéfices privatisés pour quelques uns, nous laisse le prix de la dévastation. Et maintenant, dans la région sud-est, nous commençons enfin à comprendre, avec l'effondrement des ressources hydriques, quel est le prix de la dévastation. Finalement, nous commençons à comprendre combien nous avons corrodé notre vie quotidienne en détruisant les forêts et en contaminant les cours d'eau. Ce n'est plus quelque chose de subjectif, une abstraction, mais quelque chose de bien concret. Ce n'est plus dans un lointain futur, c'est ici et maintenant. Ce ne sont plus nos petits enfants mais nos enfants qui en souffriront et en souffrent déjà sur cette planète pressée comme un citron. Nos enfants comme nous mêmes. Et cela ne fait que commencer.
Se battre démocratiquement pour empécher la PEC 215 n'est pas une attitude altruiste, ce n'est pas un effort pour respecter les droits indigènes, ce n'est pas quelque chose que nous faisons parce que nous sommes des gens biens. Empécher la PEC 215 c'est répondre à notre instinct de survie dans un monde où les changements climatiques sont probablement le plus grand défi de l'histoire humaine sur cette planète, la seule que nous ayons mais que nous détruisons. Si le coup porté à la Constitution est vainqueur, l'environnement au Brésil perdra la plupart des barrières qui empèchent encore la dévastation, et cela réunira les conditions et ouvrira la porte à l'accélération de la corrosion de la vie.
La presse et la population prêtent très attention aux protestations dans les rues du Brésil. Ce qui est curieux c'est que quand ce sont les Indiens qui occupent l'espace public, malgré toutes leurs couleurs, leur fascinante diversité, ils courrent le risque de devenir automatiquement invisibles. Leur douleur, leur mort et leurs paroles cessent d'exister - ou n'existent que diminuées. Le regard des non-indiens les traversent. Cette fois-ci, bien que seulement par instinct de survie, il serait pertinent de les voir. Mais, bien sûr, on peut aussi conclure que le meilleur pour nous tous est de vivre encerclés de ciment, de fumée et de rivières de merde.
note du traducteur Quilombola : ce sont les communautés descendantes des esclaves en fuite. Ces fugitifs avaient établi des "quilombo", des sociétés noires autonomes, dans des régions reculées du pays. Les quilombolas ont un statut de communautés traditionnelles reconnues par la constitution, et par conséquent ont droit à l'usufruit du territoire qu'ils occupent.
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par Eliane Brum
publié le 13 avril 2015
source : http://brasil.elpais.com/brasil/2015/04/13/opinion/1428933225_013931.html