Ayotzinapa, l'école militante des étudiants disparus

Publié le 13 Octobre 2014

L'école normale d'Ayotzinapa que fréquentaient les étudiants mexicains disparus est connue pour être un foyer de contestation politique. Ses élèves ont à cœur de changer le système. Beaucoup viennent d'en payer le prix fort

Juan Diego Quesada, 11 octobre 2014, El pays

Pour être admis à l'école de formation des maîtres d'Ayotzinapa [Etat de Guerrero], les étudiants doivent passer un examen et se soumettre à une déclaration de ressources. Bernardo Flores, fils de paysan, n'était propriétaire que d'une maison en pisé avec un toit de planches et d'une vieille jument. Il remplissait donc les conditions de pauvreté requises par l'établissement.

Son envie d'être instituteur dans l'une des communautés rurales de cette région montagneuse en a rapidement fait un élève modèle. El Cochi, comme l'appellent ses amis, fait partie des 42 étudiants disparus, enlevés par la police municipale d'Iguala, noyautée par des groupes mafieux mexicains.

Un terreau idéal pour des jeunes politisés

L'école normale d'Ayotzinapa est adossée à une petite route secondaire, à trois heures de Mexico. Les étudiants, issus en majorité de familles qui cultivent le maïs et les haricots, étudient et vivent ensemble. Les décisions concernant la gestion de l'établissement sont prises au cours d'assemblées où chacun vote à main levée et où le discours révolutionnaire est la norme. Sur les murs, des affiches font la promotion du mouvement ouvrier et paysan. "Le berceau de la conscience sociale" peut-on lire sur une affiche à l'entrée. L'extrême pauvreté, la violence et la corruption endémique qui sévissent dans l'Etat du Guerrero, dans le sud-est du Mexique, forment un terreau idéal pour des générations de jeunes très politisés, soucieux de changer le système.

Le 26 septembre dernier, une centaine d'étudiants de première et deuxième année ont pris deux bus pour aller à Iguala, à un peu moins de 100 km par la route. Les étudiants ont pour habitude de s'approprier bus et conducteurs quand ils veulent se rendre quelque part. "Ces véhicules sont au service du peuple", justifie un membre de la direction de l'établissement.

"Ils ont fait feu sur un copain"

Ce jour-là, ils s'étaient rendus à la gare d'Iguala pour obtenir trois autobus supplémentaires et ils ont été interceptés par la police municipale dès la sortie de la ville. Les étudiants en tête du convoi sont descendus du bus pour demander aux policiers de les laisser passer. "Quand nous avons essayé de déplacer leur voiture, ils ont commencé à nous canarder", raconte l'un des élèves. Les policiers ont ouvert le feu et tué deux d'entre eux, un autre étudiant a été blessé à la tête. Plus de 40 étudiants ont été arrêtés (dont El Cochi) et les autres ont réussi à s'enfuir par les collines.

Un jeune au crâne rasé, comme tous les étudiants de première année, raconte que les policiers ont tiré de sang-froid. "Ils ont fait feu sur un copain presque à bout portant. La balle lui est entrée dans la mâchoire et lui a explosé la tête. Il était méconnaissable. Ils ont continué à tirer et nous avons pris la fuite comme nous avons pu. Nous étions cernés par des voitures de police, des policiers, et j'ai même vu des gens en civil."

"Tais-toi connard. Mêle-toi de ce qui te regarde"

Il a passé une partie de la nuit caché chez une dame qui a bien voulu lui offrir asile, et à l'aube il s'est présenté au commissariat avec d'autres élèves pour réclamer la libération de ses amis. "Tais-toi connard. Mêle-toi de ce qui te regarde", lui a lancé un policier pour couper court à ses protestations. José, qui souhaite garder l'anonymat, s'est ensuite rendu à la morgue afin d'identifier l'un des corps. L'étudiant était défiguré : on lui avait lacéré le visage au cutter et arraché les yeux.

Le dimanche soir, les proches des disparus, des hommes de condition modeste ainsi que des femmes avec des enfants en bas âge, se sont réunis afin de se mobiliser face à la "passivité des politiques". "Ils doivent nous les rendre vivants, lance un homme." "C'est la faute du gouverneur de Guerrero, ajoute un autre." "Il faut faire un coup d'Etat".

Ces hommes et ces femmes se disent convaincus que les 28 cadavres trouvés dans une fosse d'Iguala par les autorités ne sont pas les corps de leurs enfants. Une spécialiste argentine de l'identification des corps travaille en ce moment avec les légistes mexicains.

Il ne perd pas espoir de le revoir vivant

L'histoire de la lutte des étudiants de Ayotzinapa ne date pas d'hier. En décembre 2011, deux étudiants avaient été assassinés pour avoir manifesté le long d'une route. Deux immenses portraits de ces jeunes, érigés en martyrs de la lutte sociale, sont affichés sur l'une des façades de l'école. Fidèle à la tradition de la lutte armée, courante dans la région, cette école a souvent nourri un vivier de guérilleros. A quelques mètres des portraits, un autel avec un Christ et un San Judas Tadeo [Saint Jude-Thaddée, saint patron des causes désespérées qui fait l'objet d'une grande dévotion au Mexique] veille sur les disparus.

Quand le père de El Cochi a appris que son fils avait disparu, il a abandonné son champ et n'a pas hésité à faire cinq heures de route pour se rendre à Ayotzinapa. Selon les éléments de l'enquête, la carte électorale de son fils a été retrouvée tachée de sang dans l'un des autobus pris pour cible par la police. Pourtant, personne n'est capable de lui dire où se trouve ce document. L'agriculteur a le pressentiment que son fils est vivant. Il l'imagine apeuré et affamé dans un taudis où ses ravisseurs le retiendraient prisonnier. Mais il ne perd pas espoir de le revoir vivant.

http://www.courrierinternational.com/article/2014/10/11/ayotzinapa-l-ecole-militante-des-etudiants-disparus?page=all

CSPCL

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Mexique, #Répression, #Ayotzinapa

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