EZLN : Sixième déclaration de la forêt lacandone

Publié le 3 Juillet 2014

EZLN : Sixième déclaration de la forêt lacandone

Un texte monumental dans le mouvement, qui raconte avec simplicité et humilité les expériences tirées depuis le début du mouvement.

Ici, les deux premières parties traduites par hg que je remercie de me confier ce travail.

En lisant cette traduction, on a l'impression d'entendre en face de nous les indigènes qui, avec tout leur coeur nous narrent ce qu'ils ont vécu et ce dans quoi ils se projettent.

Caroleone

*****

ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE du MEXIQUE.
Voici la SIXIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE

Ceci est notre parole toute simple.

Son but ? Toucher le cœur des gens modestes et simples comme nous, et, comme nous, dignes et rebelles.

Nous voulons tout simplement

- raconter ce qu’a été notre parcours et dire où nous en sommes aujourd’hui,

- expliquer comment nous voyons le monde et notre pays,

- exposer ce que nous pensons faire et comment nous comptons nous y prendre,

-et aussi inviter d’autres personnes à cheminer avec nous dans cette immensité qui s’appelle le Mexique et cette plus grande immensité encore qui s’appelle le monde.

Tout simplement faire savoir à tous les cœurs honnêtes et nobles, ce que nous voulons pour le Mexique et pour le monde.

Voici donc cette parole toute simple, qui veut s’adresser à ceux qui sont comme nous, afin d’établir une alliance avec eux, où qu’ils vivent et où qu’ils luttent.

I. CE QUE NOUS SOMMES.

Nous sommes les zapatistes de l’EZLN, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale. C’est vrai qu’on nous appelle aussi les “neo-zapatistes”.

Donc, nous les zapatistes de l’EZLN nous avons pris les armes en janvier 1994 parce que nous nous sommes rendu compte que ça commençait à bien faire, toute cette méchanceté de la part des puissants, qui ne font que nous humilier, nous voler, nous mettre en prison, et nous tuer. Et, malgré ça, personne ne disait rien, personne ne faisait rien.

C’est pour cette raison que nous avons dit “¡Ya Basta!”. Ça suffit, nous n’accepterons plus qu’ils nous humilient et qu’ils nous maltraitent. Pire que des animaux. Et nous avons ajouté que nous voulons la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains, même si nous nous sommes focalisés sur les peuples indiens. Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque nous, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, nous sommes presque tous de vrais indigènes d’ici, du Chiapas.

Il n’empêche que ce n’est pas seulement pour nous que nous ne voulons lutter, ou seulement pour les indigènes du Chiapas, ou même seulement pour les peuples indiens du Mexique. Non, ce que nous voulons c’est lutter avec tous ceux qui sont modestes et simples comme nous et qui vivent dans un grand dénuement ; ceux qui souffrent, victimes de l’exploitation et des vols des riches et de leurs mauvais gouvernements, ici dans notre Mexique comme dans d’autres pays du monde.

Mais voici notre petite histoire : donc, nous en avons eu assez de nous faire exploiter par ceux qui détiennent les pouvoirs, ce qui fait que nous nous sommes organisés pour nous défendre, et lutter pour la justice. Au début nous n’étions pas nombreux, juste quelques-uns, et nous allions parler à d’autres personnes comme nous, un peu partout, et les écouter.

C’est ce que nous avons fait pendant pas mal d’années et nous l’avons fait en secret, sans faire de bruit. Nous avons ainsi constitué nos forces en silence. Ça nous a pris à peu près dix ans. Et puis notre nombre s’est accru, et finalement, nous étions plusieurs milliers. Et nous avons commencé à bien nous préparer sur le plan politique et sur le plan militaire. Et puis, voilà que, sans crier gare, pendant que les riches étaient en train de fêter le nouvel an, eh bien, nous sommes descendus dans leurs villes …et nous les avons prises, ces villes ; et nous leur avons dit à tous : « Hé, nous sommes là ! il va falloir tenir compte de nous ». Vous pensez si les riches ont eu une sacrée frousse ! Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils nous ont envoyé leurs troupes en masse. Pour nous éliminer. C’est ce qu’ils font toujours quand les exploités se rebellent : ils cherchent à les éliminer tous.

Oui, mais voilà, ils ne nous ont pas éliminés du tout, parce que nous nous sommes très bien préparés avant la guerre. Et, dans nos montagnes nous étions en position de force. Les militaires se sont mis à notre recherche ; ils nous canardaient avec leurs bombes et leurs balles. Ils étaient déjà prêts à exterminer pour de bon tous les indigènes ; parce qu’ils n’arrivaient pas à distinguer les zapatistes des non-zapatistes. Et nous, nous changions de position pour combattre, et nous combattions en changeant de position, comme l’avaient fait nos ancêtres avant nous. Sans nous laisser dominer, sans nous rendre, et sans connaître de défaite.

Et c’est alors que les gens des villes sont descendus dans la rue et se sont mis à donner de la voix pour que la guerre s’arrête. Eh bien, nous avons cessé nos combats. Et nous les avons écoutés, ces frères et sœurs de la ville, qui nous disaient d’essayer de trouver un arrangement, quelque chose comme un accord avec les mauvais gouvernements afin que le problème soit résolu sans massacre.

Et nous avons tenu compte des gens, parce que ces gens sont - comme on dit - “le peuple”, disons le peuple mexicain. C’est comme ça que nous avons déposé les armes et que nous avons eu recours à la parole.

Résultat ? Les gouvernements ont dit « Oui, nous allons bien nous comporter. Oui, nous sommes prêts au dialogue. Ok pour passer des accords et les respecter ». Et nous avons répondu « Eh bien, parfait ! ». Mais nous avons aussi pensé que ce serait tout de même bien de connaître ces gens qui sont descendus dans la rue pour faire cesser les combats. Si bien que, pendant que nous étions en train de discuter avec les mauvais gouvernements, nous avons aussi parlé avec ces personnes ; et nous avons constaté que, pour l’essentiel, il s’agissait de gens modestes et simples tout comme nous ; et nous avons bien compris pourquoi nous luttions, eux comme nous. Et ces gens, nous les avons appelés la “société civile” parce que, pour la majorité, ce n’était pas des gens des partis politiques : c’était des gens tout à fait ordinaires ; comme nous ; des gens simples et modestes.

Oui mais, voilà, les mauvais gouvernements ne voulaient pas d’un vrai traité. Ça n’était qu’une ruse de leur part, de dire que nous allions parler et passer un accord. En fait, ils préparaient leurs attaques pour nous éliminer une bonne fois pour toutes. Et, de fait, ils nous ont attaqués à plusieurs reprises. Mais ils ne nous ont pas vaincus parce que nous avons bien résisté et beaucoup de gens dans le monde entier se sont mobilisés. Et là, les mauvais gouvernements se sont dit que c’était un problème, ça, que beaucoup de gens se rendent compte de ce qui était en train de se passer avec l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, et donc – changement de programme - ils se sont mis à faire comme si rien ne se passait.

Oui mais, pendant ce temps-là, ils continuaient de nous encercler, de nous assiéger, en attendant que – ben, comme nos montagnes sont loin de partout ! – ils attendaient que les gens oublient cette terre zapatiste perdue quelque part, là-bas, au loin. Et régulièrement, les mauvais gouvernements nous ont mis à l’épreuve. Ils essayaient de nous tromper ou de nous attaquer, comme en février 1995 quand ils nous ont envoyé l’armée (et pas qu’un peu !) mais, cette fois non plus, ils ne nous ont pas vaincus. Parce que, répétons-le, nous n’étions pas seuls : beaucoup de gens nous ont soutenus. Et nous, nous avons bien résisté.

C’est pourquoi les mauvais gouvernements se sont vus bien obligés de passer des accords avec l’EZLN : ces accords s’appellent “Accords de San Andrés” (“San Andrés”, c’est le nom de la commune où ces accords ont été signés). Dans ces discussions nous n’étions pas les seuls à parler avec ceux des mauvais gouvernements : nous avions invité beaucoup de gens, et beaucoup d’organisations, qui étaient - ou qui sont en lutte - pour les peuples indiens du Mexique. Tout le monde a donné son point de vue, et nous nous sommes tous mis d’accord sur ce que nous allions dire aux mauvais gouvernements. Et c’est comme ça que ça s’est passé, ce dialogue ; il n’y avait pas que les zapatistes d’un côté et les gouvernements de l’autre : avec les zapatistes il y avait les peuples indiens du Mexique et ceux qui les soutiennent.

Et qu’est-ce qui s’est passé ? Au terme de ces accords, les mauvais gouvernements ont annoncé que oui, ils allaient reconnaître les droits des peuples indiens du Mexique et respecter leur culture. Et inscrire cette reconnaissance dans la Constitution. Mais une fois signés ces accords, les mauvais gouvernements ont fait comme s’ils les avaient oubliés ; plusieurs années sont passées et ces accords sont restés lettre morte. Et voilà !

Et même, bien au contraire, le gouvernement a encore attaqué les indigènes pour leur faire abandonner la lutte.

C’est ainsi que, le 22 décembre 1997, celui qu’on appelle la Cédille a fait assassiner 45 personnes : des hommes, des femmes, des vieux et des enfants, dans le village du Chiapas qui s’appelle Acteal.

Ce crime atroce ne s’oublie pas si facilement. Il est la preuve que les mauvais gouvernements n’ont aucun scrupule à attaquer et à assassiner ceux qui se rebellent contre les injustices. Et pendant ce temps-là, nous les zapatistes, nous faisions tout pour que les accords soient respectés, pendant que nous résistions dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Et alors nous nous sommes mis à parler avec les autres peuples indiens du Mexique et leurs organisations et nous avons passé un accord avec eux pour lutter ensemble dans le même but : la reconnaissance des droits des indigènes et de leur culture.

Et, bon, il y a eu aussi beaucoup de gens du monde entier pour nous soutenir, dont des personnes très respectées parce que leur parole a du poids : de grands intellectuels, des artistes et des scientifiques ; du Mexique comme du monde entier.

Et nous avons aussi organisé des rencontres internationales, qui nous ont permis de discuter avec des personnes d’Amérique, d’Asie, d’Europe, d’Afrique et d’Océanie ; ce qui nous a permis de connaître leurs luttes et leurs manières d’agir.

Nous avions appelé ces rencontres « Rencontres “intergalactiques” ». C’était pour rire, bien sûr ; ben oui, nous avions aussi invité ceux d’autres planètes, mais il semble qu’ils ne soient pas venus ; à moins qu’ils soient venus incognito !

Bon, mais quoi qu’il en soit, les mauvais gouvernements ne tenaient pas leurs promesses. Nous nous sommes mis à parler avec des tas de Mexicains pour obtenir leur soutien. Et nous avons commencé par organiser la marche “Des 1.111″ sur Mexico. “Des 1.111″ parce qu’y allait un compañero ou une compañera venu de chaque village zapatiste. Mais le gouvernement n’en a tenu aucun compte.

Par la suite, en 1999, nous avons fait une consultation à travers le pays. Résultat ? la majorité était d’accord avec les revendications des peuples indiens. N’empêche que, une fois de plus, les mauvais gouvernements n’en ont pas tenu compte.

Et, enfin, en 2001, nous avons fait ce qui s’est appelé “La marche pour la dignité indigène”. Des millions de Mexicains l’ont soutenue. Des Mexicains et des gens d’autres pays. Cette fois, c’est arrivé jusqu’aux députés et sénateurs, c’est-à-dire au Congrès de l’Union, pour exiger la reconnaissance des indigènes mexicains.

Et puis, finalement, ben non ; les politiques du parti PRI, du parti PAN et du parti PRD se sont mis d’accord pour tout bonnement ignorer les droits et la culture des indigènes. Ça, c’était en avril 2001. Les politiques ont ainsi montré clairement qu’ils n’en ont rien à cirer de la décence, en vauriens qu’ils sont, et que leur seul souci est de gagner leur bon pognon, comme tous les mauvais gouvernants.

Ceci il faut s’en souvenir parce que vous allez voir qu’ils vont bientôt dire que, oui, ça y est, cette fois ils vont les reconnaître, les droits indigènes ; mais c’est un pur mensonge ; c’est juste pour ramasser des voix.

Non, ils ont eu leur chance, et ils n’ont pas su la saisir.

Tout ça nous a montré que, de toute évidence, ça ne sert à rien de dialoguer et de négocier avec les mauvais gouvernements du Mexique.

Pourquoi ça ne sert à rien de parler avec les politiques ? Eh bien parce qu’ils ne sont sincères ni dans leur cœur ni dans leur parole. Ce sont des fourbes, des menteurs. On ne peut pas compter sur eux. C’est clair que, le jour où les politiques du PRI du PAN et du PRD ont voté une loi restée sans effet, ils ont bouzillé une fois pour toutes le dialogue en montrant clairement que ce qu’ils acceptent et ce qu’ils signent, ça n’a aucune espèce d’importance. Ils n’ont pas de parole.

Et depuis, nous n’avons plus repris contact avec les pouvoirs fédéraux parce que nous avons compris que le dialogue et la négociation avaient capoté à cause de ces partis politiques. Nous avons vu que tout leur était égal : le sang, la mort, la souffrance, les mobilisations, les consultations, les efforts, les prises de position nationales et internationales, les rencontres, les accords, les signatures, les engagements. En se comportant de cette manière, la classe politique n’a pas seulement fermé la porte, une fois de plus, aux peuples indiens ; elle a aussi porté un coup fatal aux chances de mettre fin à la guerre de manière pacifique, discutée et négociée. Et qui pourrait croire, de ce fait, qu’ils vont tenir leurs engagements quand ils passent un accord avec qui que ce soit ?

Bon, tout ceci, c’est pour faire le bilan de ce que nous avons vécu.

Alors ? Eh bien, alors, après avoir pesé tout ça, nous avons réfléchi dans nos cœurs à ce que nous allions faire. Et la première chose qui nous est apparue c’est que notre cœur n’était plus comme avant, comme au début de notre lutte, mais qu’il était plus grand ; oui, parce que nous avons touché le cœur de beaucoup de belles personnes. Et, en même temps, nous avons vu que notre cœur était plus amoché, plus meurtri. Non pas meurtri à cause de la fourberie des mauvais gouvernements, mais parce que, en touchant les cœurs des autres, eh bien, nous avons aussi touché ce qui leur fait mal. En quelque sorte, nous nous sommes vus dans un miroir.

II. OÙ NOUS EN SOMMES MAINTENANT

Alors, en tant que zapatistes, nous avons pensé qu’il ne suffisait pas d’arrêter de dialoguer avec le gouvernement, mais qu’il était nécessaire de continuer la lutte malgré ces parasites fainéants de politiques. L’EZLN a donc décidé de mettre en application de son côté, toute seule (de manière, on va dire, “unilatérale”), de mettre en application les Accords de San Andrés à propos des droits et de la culture indigènes. Pendant 4 ans, de mi-2001 à mi-2005, nous nous sommes consacrés à ça. (Et à d’autres choses encore, qui seront exposées plus loin).

Voilà : nous avons commencé à mettre en place les « communes autonomes rebelles zapatistes ». Il s’agit de la manière dont se sont organisés les villages pour gouverner et se gouverner, pour se renforcer. Ce mode de gouvernement autonome n’a pas été inventé comme ça par l’EZLN, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale. C’est un mix entre plusieurs siècles de résistance indigène, et l’expérience zapatiste elle-même. On pourrait appeler ça « l’auto-gouvernement des communautés ». Ça veut dire que personne ne vient de l’extérieur pour gouverner, mais que ce sont les villages qui décident, par eux-mêmes, de « qui gouverne » et de « comment il gouverne ? ». Et s’il n’obéit pas, il est démis de ses fonctions. Oui-oui : si celui qui commande n’obéit pas au village, eh bien, il dégage ! Il quitte sa fonction d’autorité. Et il est remplacé.

Mais nous avons dû admettre que toutes les communes autonomes n’étaient pas à égalité : certaines étaient plus avancées et recevaient plus de soutien de la société civile, tandis que d’autres étaient plus isolées. Il a donc fallu trouver une solution pour que ce soit plus équitable.

Et puis, nous avons aussi constaté que l’EZLN avec sa branche politico-militaire se mêlait de décisions qui concernaient les autorités démocratiques, disons “civiles”. Et là, problème : la branche politico-militaire de l’EZLN n’est bien sûr pas démocratique, puisque que c’est une armée !

Mais ça ne va pas, ça : qu’il y ait le militaire en haut, et le démocratique en bas. Il ne faut pas que le démocratique soit décidé militairement. Ça doit être l’inverse : autrement dit : en haut, le politique démocratique décide ; et en bas, le militaire obéit. Ou c’est peut-être encore mieux s’il n’y a rien en bas : si tout est complètement horizontal, sans militaires. Et voilà pourquoi les zapatistes sont tous des soldats : c’est pour qu’il n’y ait pas de soldats…

OK ? Alors, pour ce problème, ce qu’on a fait ? Eh bien, nous nous sommes mis à séparer le politico-militaire, d’une part, des formes démocratiques d’organisation autonome des communautés zapatistes, d’autre part. Ainsi des actions et des décisions qui auparavant étaient l’affaire de l’EZLN, sont progressivement devenues l’affaire des autorités villageoises démocratiquement élues. Bien sûr, dit comme ça, ça paraît facile ; mais à mettre en œuvre, c’est une tout autre paire de manches ! Comme, pendant toutes ces années, il s’est agi, d’abord, de préparer la guerre, puis de la mener, cette guerre, vous pensez bien qu’on a vite fait de prendre le pli du politico-militaire. Mais quoi qu’il en soit nous l’avons fait parce que : ce qu’on dit, on le fait ; c’est comme ça, chez nous. C’est quoi ça ? dire quelque chose qu’on ne ferait pas ensuite ???

Et voilà comment sont nées les Assemblées de Bon Gouvernement, en août 2003. Et c’est dans ce cadre qu’on a continué à auto-apprendre ce que c’est que de “diriger en obéissant”.

Depuis lors, et jusqu’à mi-2005, la direction de l’EZLN ne s’est plus mêlée de dicter sa loi dans le domaine civil. Ça ne l’a pas empêchée d’accompagner et de soutenir les autorités élues démocratiquement par les villages, ni de s’assurer qu’on informait bien les villages, ainsi que la société civile nationale et internationale, des soutiens reçus et de ce à quoi ils étaient utilisés. Et maintenant, nous sommes en train de transférer aux bases de soutien zapatistes ce boulot de surveillance du bon gouvernement. Comment ? sous la forme de fonctions occupées temporairement, par roulement, de sorte que tous et toutes apprennent à effectuer cette tâche. Nous pensons qu’un peuple qui ne surveille pas ses dirigeants est condamné à être esclave. Or nous, nous nous battons pour être libres, pas pour changer de patron tous les six ans !

L’EZLN, pendant ces 4 ans, a aussi transmis aux Assemblées de Bon Gouvernement et aux Communes Autonomes les soutiens et les contacts venus de tout le Mexique et du monde entier, pendant ces années de guerre et de résistance. De plus, pendant ce temps, l’EZLN a soutenu économiquement et politiquement les communautés zapatistes. Elles avancent ainsi avec moins de difficultés dans la construction de leur autonomie et l’amélioration de leurs conditions de vie. C’est pas grand-chose, mais c’est bien plus que ce qu’elles avaient avant le début du soulèvement, en janvier 1994.

D’ailleurs, si vous consultez une de ces études que font les gouvernements, vous verrez que les seules communautés indigènes qui ont amélioré leurs conditions de vie – on entend par là la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement – eh bien les seules dont les conditions de vie se sont améliorées, ce sont celles qui se trouvent en « territoire zapatiste » c’est-à-dire là où se trouvent nos villages. Et tout cela a été rendu possible grâce aux progrès des villages zapatistes et au soutien très important qui a été reçu de personnes généreuses et nobles, que nous appelons “sociétés civiles”, et de leurs organisations du monde entier. Comme si toutes ces personnes avaient concrétisé l’idée qu’un “autre monde est possible” ; mais pas dans les bla-bla, dans les faits !

Les villages ont fait de beaux progrès. Maintenant il y a davantage de compañeros et de compañeras qui apprennent à gouverner. Pour autant, bien que, petit à petit, de plus en plus de femmes accèdent à ces fonctions, on manque encore de considération pour les compañeras : il faudrait qu’elles puissent participer davantage à cette œuvre qu’est la lutte. Par la suite, les Assemblées de Bon Gouvernement ont aussi permis d’améliorer la coordination entre les communes autonomes, ainsi que de résoudre des problèmes avec d’autres organisations et avec les autorités officielles. De nets progrès, aussi, quant aux projets des communautés : une répartition plus équitable des projets et des soutiens de la société civile du monde entier : la santé et l’éducation se sont améliorées bien qu’il reste encore au moins autant à faire pour arriver à ce que ça devrait être ; de même pour le logement et l’alimentation ; et dans certaines zones, le problème foncier s’est nettement amélioré, du fait que les terres récupérées aux grands propriétaires ont été distribuées ; certaines zones continuent toutefois de souffrir du manque de terres à cultiver. Des progrès, encore, dans le soutien de la société civile nationale et internationale : auparavant, chacun allait où ça lui disait, tandis que, maintenant, les Assemblées de Bon Gouvernement les orientent où on en a le plus besoin.

De même, il y a de manière générale plus de compañeros et de compañeras qui apprennent à nouer des contacts avec les personnes d’autres régions du Mexique et du monde entier. Ils apprennent à respecter, et à se faire respecter ; ils découvrent qu’il existe divers univers, des mondes différents, qui ont chacun leur place, leur temps, et leur manière d’être ; et qu’entre eux le respect mutuel est nécessaire.

Vous voyez que, nous les zapatistes de l’EZLN, nous avons consacré notre temps à notre principale force : les villages qui nous soutiennent. Ce qui fait que la situation s’est améliorée. On ne pourra pas dire que l’organisation et la lutte zapatistes ont été vaines, puisque même s’ils nous éliminent complètement, notre lutte aura servi à quelque chose.

Il n’y a pas que les villages zapatistes à avoir grandi : l’EZLN aussi. C’est que, pendant tout ce temps, de nouvelles générations ont remodelé toute notre organisation. Ils ont pour ainsi dire insufflé une nouvelle force. Les commandants et commandantes, qui étaient en pleine maturité au début du soulèvement en 1994 sont aujourd’hui des sages, après 12 ans de guerre et de dialogue avec des milliers d’hommes et de femmes du monde entier. Les membres du CCRI – ce Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène est l’organe de direction politique et organisatrice zapatiste – eh bien, ses membres conseillent et orientent maintenant les nouveaux qui vont entrer dans la lutte, et ceux qui vont occuper des postes de direction. Ça fait déjà un moment que les “comités” (c’est comme ça qu’on les appelle ici, les membres du CCRI), ça fait déjà un bon bout de temps qu’ils préparaient la nouvelle génération de commandants et de commandantes qui, après une période d’instruction et de tests, commencent à se frotter aux tâches de gestion et d’organisation. Et puis, nos insurgés – au masculin et au féminin, ‘insurgé/e/s’ - miliciens, miliciennes, responsables locaux et régionaux, de même que ceux des bases de soutien, tout ce monde était jeune au début du soulèvement. Ce sont maintenant des hommes et des femmes mûr.e.s, des anciens combattants, et des leaders naturels de leurs unités et de leurs communautés.

Et ceux qui étaient encore tout gosses en janvier 94, eh bien, ce sont maintenant des jeunes ; des jeunes qui ont grandi dans la résistance ; des jeunes qui ont été formés pendant ces 12 ans de guerre dans la dignité rebelle mise à l’honneur par leur aînés. Ces jeunes ont une formation politique, technique et culturelle que nous n’avions pas, nous qui avons démarré le mouvement zapatiste. Cette jeunesse nourrit aujourd’hui, et de plus en plus, aussi bien nos troupes que les postes de direction de l’organisation. Et eux comme nous tous, ont vu les mensonges de la classe politique mexicaine et les ravages que provoquent ses actions dans notre patrie. Et tous, nous avons vu les grandes injustices et massacres que provoque la globalisation néo-libérale dans le monde entier.

Mais bon, de ceci, nous allons en reparler un peu plus loin.

Voilà donc l’EZLN, qui a résisté pendant 12 ans de guerre, 12 ans d’attaques militaires, politiques, idéologiques et économiques, 12 ans de siège, de harcèlement, de persécution.

Et ils ne nous ont pas vaincus, et nous ne nous sommes pas vendus, nous ne nous sommes pas rendus, et, par-dessus le marché, nous avons progressé. Davantage de compañeros d’un peu partout se sont engagés dans la lutte, et ainsi, au lieu de nous être affaiblis durant toutes ces années, nous en sortons renforcés. Bon il y a encore des problèmes, bien sûr, mais ils seront résolus. Il nous faut séparer encore plus le politico-militaire du civil-démocratique.

Pourtant, pourtant ! il y a des choses - les choses plus importantes puisqu’il s’agit des buts-mêmes pour lesquels nous luttons – eh bien, là, nous n’avons pas réussi comme il aurait fallu.

Et à cet égard, nous pensons - et notre cœur aussi nous le dit - que nous sommes arrivés à un point au-delà duquel nous ne pourrions plus progresser si nous restions où nous en sommes, c’est-à-dire si nous n’avançons pas. De surcroît, nous pourrions perdre tout ce dont nous disposons déjà. Autrement dit l’heure est venue de prendre une nouvelle fois des risques et de l’accomplir, ce pas ; c’est un pas dangereux, oui !, mais l’enjeu en vaut la chandelle.

Nous espérons, en liaison avec d’autres secteurs sociaux qui ont les mêmes besoins que nous, nous espérons obtenir ce dont nous manquons et à quoi nous avons droit. Un nouveau pas en avant dans la lutte indigène n’est possible que si l’indigène se joint aux ouvriers, aux paysans, aux étudiants, aux enseignants, aux employés… c’est-à-dire aux travailleurs des villes et des campagnes.

(A suivre…)

Depuis les montagnes du Sud-Est Mexicain.

Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène

Commandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale.

Mexique, le sixième mois de l’année 2005.

Version pour l’oral, établie par hg

à partir de celle disponible à Enlace Zapatista

http://enlacezapatista.ezln.org.mx/sdsl-fr/

qui est elle-même une traduction anonyme depuis l’espagnol

à partir de celle disponible à Enlace Zapatista

http://enlacezapatista.ezln.org.mx/sdsl-fr/

qui est elle-même une traduction anonyme depuis l’espagnol

Rédigé par caroleone

Publié dans #Le chiapas en lutte, #EZLN

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article