Le yeokwa, rituel du peuple enawene nawe pour le maintien de l’ordre social et cosmique

Publié le 21 Octobre 2013

Le yeokwa, rituel du peuple enawene nawe pour le maintien de l’ordre social et cosmique

image unesco

En 2011, le rituel yeokwa a été inscrit au patrimoine culturel et immatériel de l’UNESCO.

Voici en quoi il consiste et pourquoi il est précieux que ce genre de rite soit préservé.

Le peuple enawene nawe qui compte environ 540 personnes de langue arawak vit sur le bord de la rivière Iquê en Amazonie brésilienne. Les légumes et le poisson sont à la base de leur alimentation. Ils connaissent parfaitement le processus de reproduction et la migration des poissons et organisent de grandes expéditions de pêche qui utilisent plusieurs techniques : les poisons végétaux ou pêche au timbo, l’arc et les flèches, les hameçons, les nasses coniques et les barrages.

Le yeokwa ou yãkwa est un rituel visant à maintenir l’ordre cosmique et social du peuple enawene nawe.

Le rituel rattache la biodiversité locale à une cosmologie complexe et symbolique qui relie les domaines distincts et cependant inséparables que sont la société, la culture et la nature.

Le yeokwa, rituel du peuple enawene nawe pour le maintien de l’ordre social et cosmique

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Le rituel

D’une durée de sept mois tout au long de la saison sèche il a lieu en l’honneur des esprits yakairiti qui sont les détenteurs des ressources naturelles et seigneurs de la mort et des malheurs. Le rituel a pour but d’apaiser leur faim en leur offrant du sel gemme, du poisson, des aliments rituels, des danses et des musiques. L’exécution de ce rituel est vitale et lié aux différents aspects de leur vie sociale.

Il fait partie des activités quotidiennes du peuple. Il renforce le sentiment d’appartenance, exprime l’idée qu’il se fait de lui-même et des autres peuples. Ces aspects sont liés à la mémoire, aux mythes, à la place privilégiée qu’occupent le chant, la flûte et la musique dans le rituel.

Tous les ans le village est scindé en deux clans alternant. D’un côté les hommes qui doivent accueillir les esprits avec les femmes et les enfants qui restent au village .Ils produisent le sel gemme pour les offrandes, fabriquent les costumes rituels, nettoient la cour du village et le chemin qu’utilisent les esprits, prévoient les réserves de bois pour les feux nocturnes, entretiennent les stocks de manioc.

Les seconds sont les hommes qui partent pêcher pendant deux mois dans les retenues de barrages disséminés sur leur territoire traditionnel. Ils construisent les barrages de pêche, capturent le poisson, le boucanent, le stockent avant de le ramener au village.

Une série de rituels composent la dramaturgie des enawene nawe : yãkwa/lerohi/ Keteoko/ salumã.

Le yeokwa, rituel du peuple enawene nawe pour le maintien de l’ordre social et cosmique

La saison sèche ou lokayti correspond aux rituels en l’honneur des esprits yakairiti : yãkwa et leroh.

La saison des pluies ou onekinira correspond aux rituels liés aux esprits enore nawe : salumã et kateoko.

L’ensemble de techniques associées au rituel du yãkwa allie des connaissances dans plusieurs domaines : l’agriculture, l’artisanat (costumes, outils, instruments de musique), la construction (la maison des flûtes, les barrages de pêche), la transformation de la nourriture, la gestion du territoire, les arts du spectacle et de la musique.

Les chanteurs par exemple tiennent un rôle important. Ce sont les experts indispensables à l’accompagnement des quatre rituels marquant les célébrations. Ils conduisent la société enawene nawe sur les chemins menant aux esprits dans l’univers, le passé, le présent et le futur. Ils sont les gardiens de la mémoire collective, les maîtres de la musique et des arts rituels.

La pêche

C’est l’un des rares peuples au monde qui ne consomme pas de viande rouge. La pêche se pratique de plusieurs façons, avec des crochets, des arcs et des flèches, des barrages….

image © Fiona Watson/Survival International

Le yeokwa, rituel du peuple enawene nawe pour le maintien de l’ordre social et cosmique

Le poisson est boucané et ramené en pirogue au village, il est pêché parfois selon une tradition qui se nomme la pêche au timbo dont voici le détail :

La pêche au timbó offre le plus grand plaisir et le meilleur rendement. Elle est l’occasion de réunir hommes, femmes et enfants dans une même activité. Une partie des pêcheurs se positionne en amont de la rivière et écrase des lianes qui libèrent un suc toxique contenant des particules de saponine. Celles-ci pénètrent dans les ouies des poissons provoquant leur paralysie, sans toutefois affecter la qualité de leur chair.

C’est ce que pratiquent également les indiens wayanas en Guyane française, la pêche à la nivrée que je détaille sur l’article qui leur est consacré.

La pêche à la nivrée sur cocomagnanville

Le yeokwa, rituel du peuple enawene nawe pour le maintien de l’ordre social et cosmique

Au début du Yãkwa, les Enawene Nawe construisent des waitiwina (barrages) à travers l’ Adowina (le rio Preto).

Les barrages sont érigés à l’aide de branchages entrelacés qui forment un treillage dans lequel sont insérés des dizaines de pièges coniques. Ecorces et plantes grimpantes assurent l’assemblage.

L’Adowina est une bonne rivière pour les witiwina, explique un Enawene Nawe. Les arbres sont hauts et la terre est bonne.

Le yeokwa, rituel du peuple enawene nawe pour le maintien de l’ordre social et cosmique

image © Fiona Watson/Survival International

L’eau est alors aspirée à travers les cônes, piégeant ainsi les poissons qui descendent la rivière après avoir pondu à sa source.

Le Yãkwa a été reconnu par le ministère de la Culture brésilien comme faisant partie de l’héritage culturel du pays.

Les poissons sont conservés dans de petits paniers tressés en feuilles de palmiers. Ils sont ensuite transportés au village dans des canoës.

Une fois le rituel terminé, les barrages sont détruits afin que les poissons puissent à nouveau remonter la rivière pour y pondre.

Un Enawene Nawe a dit à un représentant de Survival : ‘Si les poissons tombent malades et meurent, il en sera de même pour les Enawene Nawe’.

Le territoire et son avenir compromis

La biodiversité joue un rôle primordial dans la cadre du yãkwa et ce socle est menacé par l’occupation des terres du Mato Grosso, terres de culture et d’élevage qui au cours du XXe siècle aggrave les menaces pesant sur le territoire indigène enawene nawe et sur la perpétuation de leur rituel. Comme pour les autres groupes indigènes de la région, leur territoire devient un îlot de déforestation et de dévastation.

Les principales raisons sont :

  • Extraction intensive des ressources naturelles (exploitation minière et forestière)
  • Pollution de l’eau par les produits chimiques
  • Pratique de l’élevage extensif
  • Alluvionnement des eaux d’amont
  • Projets de construction de routes, voies d’eau et barrages
  • Drainage et détournement des cours d’eau
  • Pêche illégale, commerce d’espèces sauvages

En 2009, un évènement tragique se produit dans la célébration de la cérémonie des enawene nawe : ils ne réussissent pas à capturer assez de poisson pour accomplir le rituel malgré la construction de 5 barrages. C’est la funai (fédération nationale des peuples autochtones) qui a dû acheter du poisson pour leur permettre de poursuivre leur rituel.

Les rituels de pêche des enawene ne suffisent pas à procurer une nourriture abondante. Ils ont une alimentation qui manque de protéines, leurs sources proviennent uniquement de la consommation de poisson et de volaille et leur survie et leur savoir sont en danger ainsi que celui du bassin de la Juruena. Les cultures dans les plantations (haricots, maïs) sont éloignées et ne sont pas très productives et des études démontrent un impact important sur la nutrition des enfants. Ceci est bien nouveau et ne s’était jamais vu auparavant.

sources : unesco, survival, socioambiantal via cocomagnanville

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C
Superbe article, comme les précédents, merci pour &quot;Eux&quot;<br /> J'ai eu l'occasion de connaitre, en vivant auprès d'eux, une des ethnies Pygmées vivant dans la forêt Gabonaise ........Ils m'ont sauvé la peau deux fois......Par extension je ressens très précisément les malheurs qu'endurent tous ces peuples!<br /> Akéwa, merci en langue Omyènè, Gabon (92 ethnies, 5 groupes linguistiques)
C
Bonsoir Christian,<br /> <br /> ça me fait plaisir que ce genre d'article rencontre un écho car j'ai décidé de mettre en avant ce patrimoine immatériel et culturel qui commence à être reconnu , en faisant le parallèle avec les articles plus généralistes que je fais sur les peuples.<br /> C'est passionnant...<br /> et varié...<br /> Hélas, je n'ai vu aucune mention des coutumes des peuples pygmées ni de thèmes ayant trait au Gabon. Malheureusement, il faut que les peuples reconnaissent le principe du patrimoine culturel et proposent un programme de sauvegarde bien détaillé et en cela je pense que parfois ils peuvent être aidés par des associations locales.<br /> Je crois sans être naïve au sujet de l'unesco que ce genre de reconnaissance est très important dans nombre de domaine et qu'il faudrait que toutes les pratiques de tous les peuples originaires soient sauvegardées...il y a fort à faire mais quelle belle façon aussi de s'imprégner de tous ces modes de vie si riches et si créatifs qui utilisent essentiellement l'environnement naturel et la cosmovision comme facteurs sociaux !<br /> Cela a dû être une riche expérience que ces sauvetages par les pygmées mais aussi de beaux souvenirs de ses hommes qui ont une telle connaissance de la nature et de ses remèdes. J'arrive à sortir un peu de mon Amérique ces derniers temps pour faire quelques incursions sur d'autres continents et j'ai quand même écrit un article sur les pygmées baka, c'était passionnant et aussi inquiétant quand à leur avenir si sombre.<br /> Toutes mes amitiés<br /> <br /> caro