BINNIZÁ ET IKOOTS : Parcs éoliens contre souveraineté alimentaire

Publié le 26 Octobre 2013

BINNIZÁ ET IKOOTS : Parcs éoliens contre souveraineté alimentaire

La vie communautaire des peuples binniza et ikojts a cours le long des
territoires avoisinant la lagune sud de l’isthme de Tehuantepec, au sud du
Mexique. Ces communautés y ont engendré une région bioculturelle (cf.
Eckart Boege, in Patrimonio biocultural de los pueblos indígenas), au
travers d’une transformation respectueuse et harmonieuse de la nature,
réalisée grâce aux savoirs anciens et historiques de maîtrise et
d’exploitation des ressources naturelles.

Un aspect fondamental de ce paysage agro-bio-culturel insulaire repose sur
la coexistence de la « mer morte » et des pêcheurs : ceux-ci y travaillent
de façon artisanale à pied, à l’épervier et/ou au filet, en bordure des
grandes lagunes ou au milieu des lagunes saisonnières ; mais aussi sur des
voiliers ikojts, mettant le vent à profit afin de pêcher crevettes,
mulets, poisson-chats, chanos (poisson-lait), écrevisses, ormeaux,
dorades, et quelques 50 autres espèces de poissons issus de la mer
lagunaire, qui nourrissent les populations de la région et sont troqués
sur les marchés locaux, ou bien vendus sur les marchés régionaux.

Les fermes binniza constituent un autre paysage agro-bio-culturel de la
région, où est pratiqué le système de culture de la milpa , et où est
semé le xubahuini, un maïs de la variété zapalote chico, petit, blanc et
résistant aux vents violents, mûr en quatre mois à peine, adapté et
sélectionné depuis des milliers d’années par les peuples paysans, les
véritables sélectionneurs agronomiques des plantes. Les zones de milpa les
plus notables de la région se situent à Santa Maria Xadani, Guixhiro (nom
binniza de la colonie agricole d’Alvaro Obregon), Santa Rosa de Lima, San
Blas Atempa, ainsi que sur les terres ejidales « Charis » et « Zapata ».
Ces milpas produisent en sus du maïs des haricots secs, des variétés de
tomates locales, du sésame, des cacahuètes, du piment dit xigundu et de
fleurs de cempasúchil (guié biguá en binniza), en plus des arbres
valorisés pour leur bois ou pour l’ombre qu’ils procurent, tel que le
guanacaste (oreille cafre), le lambimbo (cabrillet à feuilles de
laurier-tin), l’amandier, le pochota, appelé aussi ceiba (fromager), et le
gulabere (une espèce locale de Cordia); de même que des arbres fruitiers
et des arbres à fleurs de grande valeur, comme le tamarinier, le bananier,
le manguier, le cerisier, le papayer, le goyavier, le sapotillier, le
citronnier, le corossolier, le papause (arbre de la même famille),
l’avocatier dit yashu, le palmier ; et, parmi les arbres à fleurs, le
guiechachi (frangipanier) et le guiexhuba, ou jasmin de l’isthme.

Il en découle d’importantes activités culturelles et gastronomiques, qui
entretiennent une grande partie de la souveraineté alimentaire de cette
région et la consommation locale des produits locaux ; il suffit pour s’en
convaincre de visiter le marché régional de Juchitán, celui de Tehuantepec
ou n’importe quel marché local ou de quartier, où l’on peut trouver des
tortillas de différentes épaisseurs, textures et tailles, parmi lesquelles
les guetabiguis appelées aussi totopos (biscuits de maïs parsemés de
trous, typiques de l’isthme), les guetabicuni ou memelitas (galettes
épaisses de maïs), les tamales (farine de maïs fourrées, cuites à la
vapeur) dits guetabadxizé et guetazé , les guetabingui de crevettes et de
poisson assaisonnées à l’axiote (graines de roucou), les bouillons
pimentés de crevettes et de poisson agrémentés de boulettes de farine de
maïs et de feuilles d’epazote, les tamales de purée de haricots, les
fromages marinés au piment, le jus de tamarin, les bananes frites, la
mangue au piment, l’eau de coco, le vin de palmier de coyol, ou le bupu –
cette dernière préparation étant obtenue à partir d’un mélange de bouillon
de maïs et de mousse de fleur de frangipanier.

Des aliments toujours présents dans la gastronomie binniza, que l’on
retrouve dans les buffets traditionnels des veillées religieuses ou durant
la Saa Guidxi, l’une des principales fêtes communales organisées par et
pour le peuple, durant laquelle les femmes portent leurs huipils ornés de
broderies aux motifs de tulipes, de fleurs de frangipanier, de fleurs
d’arums et de roses ; des dessins bordés suivant une motif symétrique
symbolisant le cosmos, où les fleurs représentent les étoiles et les
directions cosmiques.

Ces paysages s’intègrent à un ensemble régional où la forêt basse et
feuillue et la mangrove constituent les principaux écosystèmes. La faune
et la flore y sont exploités sans y être dévastées (arbres dits yagasiidi,
palmiers, sapotilliers, arbustes et huizaches – sortes d’acacias des
prairies sèches du Mexique). Y vivent des tortues, des couleuvres à
collier, des couleuvres geophis, des lièvres dits « de Tehuantepec », des
ragondins, des oiseaux tels que le bruant à queue rousse, le troglodyte
géant, le pigeon ou le zanate (quiscale à longue queue), des gucha’chi’
(iguanes), des ngupi (tatous), et des tlacuaches (opossums endémiques du
Mexique). Ainsi que le bétail, broutant le long des sentiers, des pistes
de brousse et des chemins.

La région des lagunes de l’isthme (« lagune de la mer morte », « lagune
supérieure » et « lagune supérieure »), est considérée comme un “site
prioritaire pour la conservation des milieux côtiers et océaniques du
Mexique » (Commission nationale mexicaine de la biodiversité, 1998). C’est
le patrimoine bioculturel de ces villages qui sera « fusillé » de
différentes façons par les aérogénérateurs des parcs éoliens des sociétés
Unión Fenosa, Iberdrola, Mareña Renovables et Preneal, et les activités
nourrissant la souveraineté alimentaire régionale qui s’en trouveraient
affectées.

Bien que les terres sur lesquelles s’érigent les parcs éoliens bénéficient
de systèmes d’irrigation, l’agro-biodiversité et l’agriculture y auraient
chaque fois un peu moins d’espace. La déforestation incontrôlée et le
recouvrement du sol par des milliers de tonnes de ciment entraîneront
sécheresse et désertification. Les aérogénérateurs ne pouvant être mis en
service s’ils sont entourés d’arbres de plus de 3 mètres, sans en avoir la
permission ni en subir de conséquences judiciaires, les responsables du
parc éolien de « Piedra Larga » à Union Hidalgo ont ainsi coupé en
décembre 2011 une centaine de huanacastes de la forêt basse feuillue, de
20 à 30 mètres de haut, dont les racines tiennent lieu de milieu
communicant entre les affluents souterrains, les nappes phréatiques et les
estuaires.

Il se passe la même chose au sein du parc éolien de Playa de San Vicente
(Bii Yoxho), où la forêt et les mangroves sont détruites et recouvertes
par les milliers de tonnes de ciment servant de bases à des
aérogénérateurs mesurant jusqu’à 120 mètres de haut, distants les uns des
autres de 75 mètres. En construction: d’énormes et interminables rideaux
de lames de couteau, décapitant les oiseaux et découpant en morceaux
chauve-souris, oiseaux endémiques et oiseaux migrateurs de ce corridor
migratoire avicole, le plus important du continent – il se dit que près de
600 000 oiseaux y passeraient chaque jour.

Si un parc éolien était construit sur la langue de terre de la barra de
Santa Térésa, les lubrifiants s’écoulant hors du moteur des
aérogénérateurs contamineraient le milieu lagunaire au sein duquel, tout
comme dans les mangroves, se déposent les larves des crevettes et se
reproduisent les poissons, qui ont tous deux une importance vitale dans la
vie économique et alimentaire de la région. Le comblement des lagunes est
à prévoir, si ces 200 aérogénérateurs sont construits sur la langue de
terre située au centre de cette grande « mer morte », à l’extrémité de
laquelle se situe l’île dite de Pueblo Viejo (« village ancien », centre
archéologique et cérémoniel), où la présence du peuple ikojt est
millénaire.

Par ce biais, ce sont les métiers ainsi que la chaîne de production
économique et artisanale de la région qui sont détruits : une catastrophe
commerciale totalement bénéfique pour les entreprises, dont ne profitent
en dernier ressort que de manière misérable les techniciens étrangers et
les caciques, propriétaires terriens locaux qui leur louent les terres.
Rien d’autre, pour le peuple, que la destruction de son environnement
communal. Et c’est ce développement industriel qui se drape sous la
bannière des faux discours sur « l’énergie propre » ; mais pour la
chercheuse Patricia Mora, « l’usage intensif des ressources naturelles ne
peut être qualifié d’énergie verte ». Les dégâts bio-culturels engendrés
par la dimension du mégaprojet de « Corridor éolien de l’Isthme de
Tehuantepec » sont incommensurables.

Les projets et mégaprojets antérieurs – chemins de fer, autoroutes,
raffineries, élevage intensif de bétail, agro-industries, pesticides,
entreprises contaminant les rivières et absence de gestion adéquate des
déchets urbains et des déchets toxiques – ont déjà beaucoup détruit, et
poussé le peuple à bout. Ce dont l’Isthme a besoin, c’est de
reforestation, de culture de milpas, de pêche et de protection des
écosystèmes ayant résisté aux attaques du capitalisme, et qui hébergent la
nature associée aux peuples binnizá et ikojts.

Sofía Olhovich Filonova,
Supplément mensuel Ojarasca n°197 du quotidien La Jornada, septemb
re 2013

trad: mag', siete nubes.

(1) La milpa est un système agricole mexicain millénaire, reposant sur la
culture combinée au sein de la même parcelle de maïs, de haricots, de
courges et de nombreuses autres plantes comestibles.

(2) L’ejido est un système de gestion collective des terres agricoles
associant de quelques dizaines à plusieurs milliers de paysans sur une
portion de terres donnée, reconnue officiellement comme telle par les
institutions agraires mexicaines. Bien que les parcelles y soient divisées
entre ses membres, la propriété de la terre et leur gestion administrative
y sont gérés en commun au travers de l’assemblée des ejidatarios, et de
la nomination de représentants révocables, nommés tous les trois ans. Le
système de l’ejido, reconnu et entériné par la Constitution
révolutionnaire mexicaine de 1917, est depuis 1992 remis en question par
les réformes néo-libérales agraires mises en œuvre par les gouvernements
mexicains successifs, qui, sous la pression des accords de libre-échange,
cherchent à parvenir à la reprivatisation totale du système de possession
des terres au Mexique. De nombreuses communautés de tout le pays y
opposent heureusement une résistance farouche.

Note perso : binniza est le nom que se donnent les zapotèques.

Rédigé par caroleone

Publié dans #indigènes et indiens, #ABYA YALA, #Mexique, #pilleurs et pollueurs

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