Publié : 23/09/2023

La Sorbonne occupée @mustapha Saha

Des pans entiers de la population subissent quotidiennement des violences symboliques, des intimidations discursives et des dramatisations médiatiques. Les villes sont assourdissantes, jour et nuit, avec le hurlement des sirènes. Les craintes demeurent comme des valves préventives. La société française sombre dans une psychose collective.

France contre Afrique : La « décivilisation » idéologisée par l'extrême droite

Par Mustapha Saha*

23 septembre 2023.- Le 30 août 2023, les étudiants maliens, burkinabè et nigériens ont reçu une notification du ministère français des Affaires étrangères annulant leur séjour en France. Une directive du ministère français de la Culture, transmise par les directions régionales de la culture, mardi 12 septembre 2023, ordonne « de suspendre sans délai et sans exception, tous les projets de coopération menés avec des institutions ou des ressortissants du Mali, du Burkina Faso et du Niger ». Tout soutien financier doit également être suspendu, y compris via les structures françaises, comme les associations par exemple. De même, aucune invitation ne doit être adressée à un ressortissant de ces pays. A partir d’aujourd’hui, la France ne délivre plus de visa aux ressortissants de ces trois pays sans exception.

Le 13 septembre, l'Union nationale des entreprises artistiques et culturelles a publié un communiqué dans lequel elle souligne le ton menaçant du message gouvernemental qui procède par intimidation. Cette interdiction totale de trois pays qui traversent des crises très graves n'a évidemment aucun sens d'un point de vue artistique et constitue une grave erreur d'un point de vue politique. Cette politique d’interdiction de circulation des artistes et de leurs œuvres n’a jamais prévalu dans aucune autre crise internationale, des plus récentes aux plus anciennes.

En 2021-2022, la France a accueilli près de 92 000 étudiants subsahariens, représentant 14 pour cent des étudiants mobiles de la région et 23 pour cent du nombre d'étudiants de nationalité étrangère sur le territoire français.

La France piétine les conventions internationales qu'elle a signées, notamment la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles signée à Paris le 20 octobre 2005 par la Conférence générale des Nations Unies. la diversité en tant que patrimoine commun de l’humanité qui doit être célébré et préservé dans la pleine réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Convention reconnaît l'importance des savoirs traditionnels, en particulier les systèmes de connaissances des peuples autochtones, en tant que sources de richesse matérielle et immatérielle, ainsi que leur contribution positive au développement durable.

La diversité culturelle se nourrit d'échanges constants et se renforce par la libre circulation des idées. Les expressions culturelles ne s'épanouissent que dans la liberté de pensée, d'expression et d'information. Il est également utile de rappeler la Déclaration universelle sur la diversité culturelle du 2 novembre 2001, qui confère à ces principes un caractère inaliénable.

Le discours officiel use et abuse de la notion douteuse de « décivilisation ». La présence française dans ses anciennes colonies est considérée comme un rempart essentiel contre les tentations de régression et d’arriération. Souvenons-nous du discours prononcé sans vergogne le 26 juillet 2007 sur le sol africain par un président français nostalgique des temps bénis de la colonisation : « L’Afrique a sa part de responsabilité. La colonisation n’est pas responsable des guerres internes, des génocides, des dictatures, du fanatisme, de la corruption, des prévarications. La tragédie de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire. Il ne se précipite jamais vers le futur. Dans cet univers où la nature contrôle tout, l'homme africain reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout est écrit d'avance.

Un crime occidental contre les sociétés non occidentales

C'est le même discours de l'actuel président à propos des banlieues : « J'ai parlé de décivilisation. Par conséquent, nous devons travailler à re-civiliser. L’occidentalisme appelle barbarie tout ce qui échappe à son paradigme. Le technocratisme appelle désormais décivilisation tout ce qui s'oppose à ses modèles. De toute façon, le capitalisme ne peut exister qu’à travers sa fonction colonisatrice. Le néolibéralisme recourt à la vieille rhétorique dévalorisante de l’altérité rebelle. La décivilisation s’exprime comme un constat de décadence, qui nécessite un rétablissement de l’ordre, une politisation de la société.

Robert Jaulin utilise pour la première fois l'expression « génocide culturel » pour désigner la liquidation des cultures amérindiennes. Depuis la Restauration, l’Occident colonisateur a pensé la civilisation au singulier, comme un modèle exclusif de celui qui détient le monopole, un moule unique dans lequel l’humanité dans son ensemble doit s’insérer. La décivilisation présuppose une idéologie de conquête. Depuis l’invasion de l’Amérique et d’autres pays d’Asie, d’Océanie et d’Afrique, l’Occident s’est rendu coupable de dévastations massives. D’où un paradoxe flagrant. Comment peut-on prétendre être une civilisation quand on détruit méthodiquement d’autres cultures, d’autres civilisations ?

La décivilisation, conçue par Robert Jaulin, permet de réfléchir aux effets néfastes et pernicieux de la domination occidentale. La décivilisation idéologisée par l'extrême droite, désorganisant la vie quotidienne des autres, justifie la discrimination et la persécution contre diverses cultures. « Entendons par là à la fois la destruction du type d’organisation des relations de résidence, et la destruction du type d’organisation des rapports de consommation et de production. Quand nous ne sommes plus libres de dormir dans une grande et confortable maison collective faite de feuilles, et quand, au nom du progrès, nous devons vivre dans une petite maison solitaire faite de ciment, toute la structure sociale associée à cette maison collective la maison est détruite. Nous détruisons une culture en attaquant sa vie quotidienne, ce lieu de toute culture, c'est-à-dire la communauté qui génère la vie quotidienne » (Robert Jaulin). La décivilisation est donc l’occidentalisation du monde, la standardisation des comportements, la standardisation des modes de vie. La décivilisation est un crime occidental contre les sociétés non occidentales.

L’espace capitaliste occidental, son régime de production économique, est un espace illimité, sans lieux, un espace infini de fuite précipitée permanente. Le capitalisme est le pouvoir décivilisateur par excellence. La décivilisation est un long processus de dissolution des sociétés traditionnelles. Pour le sociologue Norbert Elias (1897-1990), la civilisation occidentale est la transformation du guerrier intrépide en courtisan raffiné.

Le président français comprend-il le sens historique, anthropologique, sociologique et philosophique du mot décivilisation qu'il utilise librement ? Probablement non. Il l’utilise évidemment dans le sens primaire, rudimentaire et prosaïque de perte de civilisation pour cibler les sauvages, les barbares et les non-civilisés. L'ancien ministre socialiste de l'Intérieur avait exhumé le vieux terme sauvage. La gouvernance française à la dérive est projetée dans l’histoire. « Entre le colonisateur et le colonisé, il n’y a de place que pour l’intimidation, la répression, le mépris, l’arrogance, la suffisance, l’autosatisfaction. J'entends la tempête. On me parle de progrès, de niveau de vie élevé. Je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, de terres confisquées,

Le colonialisme, revêtu du nouveau costume du mondialisme, n’a jamais cessé. Les Africains sont toujours disqualifiés en tant que populations arriérées. Les immigrés, stationnés dans les villes de l’exclusion, se considèrent comme des colonisés de l’intérieur. Le langage colonial devient moins coupable, actualisé et banalisé. La décivilisation devient synonyme de sauvagerie. Des pans entiers de la population subissent quotidiennement des violences symboliques, des intimidations discursives et des dramatisations médiatiques. Les villes sont assourdissantes, jour et nuit, avec le hurlement des sirènes. Les craintes demeurent comme des valves préventives. La société française sombre dans une psychose collective.

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* Mustafa Sapha est sociologue, poète, peintre, co-fondateur du Mouvement du 22 Mars en 1968.

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Source : https://redlatinasinfronteras.wordpress.com/2023/09/22/francia-versus-africa-la-descivilizacion-ideologizada-por-la-extrema-derecha/

traduction caro d'une tribune parue sur Servindi.org le 23/09/2023

La "descivilización" ideologizada por la extrema derecha

La "descivilización" ideologizada por la extrema derecha

El colonialismo, vestido con el nuevo traje del globalismo, nunca se ha detenido. Los africanos siempre están descalificados como poblaciones atrasadas.

https://www.servindi.org/actualidad-opinion/23/09/2023/francia-versus-africa-la-descivilizacion-ideologizada

"decivilisation"