Stromboli per sempre
Publié le 4 Juin 2013
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Qui sont ces petites fourmis qui se déplacent tout là-haut sur le volcan ?
Ce sont des hommes.
Des points noirs juchés sur un volcan rouge de 924 mètres,
il faut le voir pour le croire.
Nous y allons, c’est parti pour une marche de forçats,
le chemin semble léger, tracé, c’est un chemin de chèvres,
empruntons-le d’un pas d’entrain.
Il est 22 heures, le soleil tombe dans la mer turquoise,
une nuit d’exception s’offre à nous.
En avons-nous conscience ?
Je ne le crois pas.
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Nous avons 15 ans, il est l’heure de gravir le volcan,
pressons-nous, nous serons alors plus vite revenus,
pour se pelotonner l’un contre l’autre dans nos duvets d’amitié et d’amour
sur le pont du bateau des pêcheurs de thon.
J’attaque la pente avec les marcheurs savoyards,
ils sont habitués, la montagne c’est leur domaine,
quatre heures de marche nous attendent, ils partent vite.
A un moment ils ne sont plus devant moi,
je me trompe de route, je les récupère sur un autre chemin.
Nous n’avons pas de lampe, des hollandais nous éclairent,
nous glissons, pour deux pas avancés, nous en reculons d’un,
une lumière naturelle peu à peu éclaire notre vue :
tous les quarts d’heure un jet de feu illumine les cieux.
C’est beau, on croit rêver,
un feu d’artifice géant nous attend au sommet.
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Mais le froid s’accentue,
le chemin disparaît,
nous continuons de grimper sur la roche qui s’enfuit.
Elle roule sous nos pieds,
ne tiens pas pour deux sous, elle semble vouloir fuir
ce mont qui prend feu.
A quatre pattes ou presque dans la nuit sans étoiles
nous arrivons au sommet.
Les copains sont là, dans leurs sacs de couchage : ils campent au-dessus du cratère.
Le froid est vif, mais pourtant
nous sommes juste au-dessus d’un brasier.
On dirait l’enfer du Dante,
il dû s’en inspirer quand il écrivit sa Divine comédie.
On dirait un barbecue géant,
mais qui doit griller dans ces mâchoires de lave ?
J’écris et je réalise que jamais plus
je ne verrais un tel spectacle,
un air de fin du monde,
un bouillonnement de viscères terrestres,
un gigantesque feu de camp alimenté par les pierres de la terre.
Tu exploses mais ne fais pas de mal, Stromboli éternel.
Quand ta colère ensuite jaillit pour de vrai,
elle éclate en une fureur divine.
Nous étions repartis mais j’entendis en France ton discours utérin,
tes tripes de sorties, tu ruminais ta colère depuis des décennies,
la nature t’a donné une force que tu ne maîtrises guère,
ta grandeur en Europe à présent reconnue,
ton sommeil qui semblait trompeur
les as bien dupé ces parvenus.
Pourtant depuis 2500 ans tu ronges ton frein minéral
et envoie ta rage en fugaces étincelles,
la moue qui semble risette n’était qu’avertissement,
car nous le savons, il ne faut pas te provoquer.
Quand « iddu » est en colère, les îliens prennent la poudre d’escampette,
tel un dieu des Incas, sa parole est vénérée.
Nous repartons, tournons le dos aux fusées,
seul leur bruit accompagne notre retour.
La marche est pénible, la nuit bien entamée,
nous ne coucherons pas au-dessus du brasier,
le bouillon rouge et brûlant attire comme un aimant,
à 15 ans on préfère les bras d’un amant.
C’est un volcan qui crache ses tourments
en jets lumineux qui jaillissent sous nos yeux,
c’est un volcan géant héritier d’un passé
qui ne laissa que des pierres à fouler sous nos pieds.
Carole Radureau (03/06/2013)
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