Osvaldo Rodriguez : Luis Alberto Corvalan
Publié le 24 Mai 2013
Combien de fois te surprit le matin,
le soleil qui chaque jour s’élève
sur la cime élevée
(tu venais d’un pays où le jour se lève tard
mais le soleil arrive toujours).
Combien de fois tu as marché sous les arbres
du parc Forestier ou dans l’Alameda,
ou le parc Bustamante au premier rang
sur les drapeaux nos emblèmes rouges ?
Cette fois-là dans la marche pour le Viêt-Nam,
sous la sueur du chemin tu distribuais des oranges,
ou quand tu dus subir l’épreuve des héros
le stade ennemi contre la résistance
ou bien au Nord où servit ton exemple
serré sous le soleil mais toujours compagnon.
Et puis ensuite être le voyageur
de tant de ports, de tant de gares,
à l’air libre ton cœur de vingt-sept ans
où battait le peuple ?
Et maintenant tu dors dans un espace
où ma vie ne sert à rien.
Ainsi que les oiseaux qui voient venir la fin
et, naturellement, volent à la mort.
Ce poème devrait être fait par tous,
humide et transparent
comme une goutte de chaque larme
de ceux qui te cherchent à présent.
Avec toute la tristesse de mes os qui craquaient
quand j’ai su que tu étais mort.
C’est pourquoi je te demande de t’approcher,
de venir travailler avec moi,
y eût-il une forêt de larmes
pour me trahir,
viens, il faut aussi
que je m’appuie sur toi.
On sait que ta dernière tâche fut de planter un arbre,
un arbre qui grandira
aussi longtemps que dresseront le poing
ceux qui vont mourir comme des hommes,
car c’est ainsi que toi tu choisi ton chemin.
La note froide de ta mort
comme une épée
est venue nous surprendre au travail,
et si alors nous fûmes faibles
nous ne le serons plus.
Ensemble nous verrons l’aube au-dessus des ponts,
la cordillère sera la même mère blanche,
d’autres te prêteront leurs yeux.
Tu iras par la rue de toutes nos villes,
les rues poussiéreuses et difficiles,
la poussière vers les palmiers d’Arica,
à Iquique le sel
et Antofagasta avec son porche de sable.
La Olla Negra de Vallenar avec ses vers luisants,
les rues de Coquimbo
avec ses collines pointues comme des tentes de bédouins.
Le calme de la Serena,
le nuage poussiéreux de la Calera,
et tu passeras par Santiago comme un voyageur imaginaire
qui se hâte toujours au travail.
Dans le port tu seras au premier rang
comme toujours, et à Concepcion et à Talcahuano
et à Lota et à Curanilahue les hommes de la pêche,
des mines viendront t’accueillir.
Et au sud d’Osorno et à Valdivia avec son chemin d’eau
on saura que tu es arrivé et dans le vent d’Aysen et de Punta Arenas
où tu t’arrêteras juste pour prendre haleine.
Et dans toute l’aube des travailleurs
tu verras l’arbre que tu as planté,
tu serreras la main de ton père
qui es le père de tous nos enfants
et, le regardant dans les yeux, tu lui diras :
j'ai fait ce que je devais faire.
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Osvaldo Rodriguez
Traduction de Bernard Sesé (revue Europe octobre 1976)
Osvaldo Rodriguez, né en 1943 à Valparaiso, poète et musicien chilien. L’un des fondateurs de La nouvelle chanson chilienne. Il a enregistré de nombreux disques et publié des recueils de poèmes. Il est mort en 1996 à Bardolino en Italie. Il est l’auteur de la chanson Valparaiso sur sa ville natale Il était connu sous le nom de Gitano.
Sur Luis Alberto Corvalan
Agronome chilien, militant du parti communiste du Chili, né en 1948 et décédé en 1975. Il était le fils du sénateur Luis Corvalan.
Membre de l’unidad popular, lors de la dictature de pinochet, il est arrêté et torturé au camp de concentration de Chacabuco pendant un an. A sa libération avec 43 autres personnes dont Angel Parra, il enregistre discrètement Chacabuco qui consacrera plus tard Angel.
Exilé en Bulgarie, il meurt à l’âge de 27 ans à Sofia des conséquences de la torture.