La pêche à la nivrée

Publié le 13 Mai 2013

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La pêche à la nivrée

La méthode de pêche à la nivrée des amérindiens

Elle consiste à empoisonner toute l’eau d’une section de rivière à courant lent en y battant une liane pour en libérer la roténone, son principe actif qui est toxique pour les poissons (ichtyotoxique).

Les lianes amenées sur le lieu de pêche sont écrasées et défibrées à coups de gourdin et les fibres ainsi obtenues sont placées dans des katuris (sacs de palmes tressés pour cette circonstance) et immergées à plusieurs reprises à un mètre de profondeur. Les lianes sont parfois directement immergées et piétinées sous l’eau qui devient blanche.

Les poissons de taille suffisante et culinairement intéressante remontent à la surface puis, asphyxiés, meurent et tombent au fond ou sont emportés par le courant. Ceux qui flottent ou sont visibles entre deux eaux sont récupérés plus en aval à partir d’une pirogue ou dans la rivière, à la main ou au harpon. Les enfants plongent parfois sous l'eau pour repérer les poissons tombés au fond.

Le mot nivrée désigne l’ensemble des plantes ichtyotoxiques et la pratique traditionnelle de pêche utilisant ces plantes.

La pêche à la nivrée se pratique en saison sèche principalement au plus bas de l’étiage après un saut ou rapide sur une zone où le courant est lent.

A la fin de la saison sèche, dans certaines régions, la pêche peut se pratique au bord des mares qui subsistent en terrain marécageux après le retrait des eaux. La concentration de poissons y est alors élevée et il est possible de les attraper à la main. A ce moment de l’année ces étendues d’eau offrent l’abondance en poissons que procure artificiellement la pêche à la nivrée.

Les lianes utilisées le plus couramment et leurs différentes appellations

Les lianes sont des lonchocarpus dont on peut trouver plusieurs variétés. Elles sont de la famille des papilionacées (ou fabacées)

Lonchocarpus chrysophyllus Kleinh

En créole : nivrée (nivré, niwoué) nivrée mâle

En wayapi : imeku

En portugais : timbo legitimo

En palikur : ikun, ikun ahiné (dur ligneux)

En saramaka : mã naku

Espèce ichtyoxique dont les racines et les basses tiges contiennent une sève abondante qui exhale une forte odeur de haricot écrasé. Immergées dans les rapides elles provoquent un blanchiment de l’eau des rivières. Les effets se font sentir au bout de 10 à 20 minutes.

D’autres espèces lonchocarpus lianes sont utilisée sous le terme générique de timbo au Brésil, barbasco dans les pays hispanophones, et halari à Surinam et en Guyana et sont utilisés comme ichtyotoxiques par les amérindiens et les populations rurales de l’Amazonie et des Guyanes.

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Lonchocarpus floribundus benth.

Nivrée femelle

En créole : fimél-nivré, fimél-niwoué, nivrée coton

En palikur ; ikun nature

En wayana : kumaltimë

En saramaka : meku myéè

Cette liane est utilisée pareillement mais elle n’est connue que des créoles, des saramakas, des wayanas et des palikurs qui l’apprécient car elle se dilacère plus facilement comme du coton.

La roténone

Le principe actif de la plante, la roténone et ses dérivés, les roténoïdes ont la propriété d’asphyxier le poisson. En fait ils agissent sur tous les animaux en bloquant la respiration à l’intérieur des cellules au niveau des mitochondries mais les animaux à sang chaud sont protégés par leur revêtement cutané qui empêche la résorption du poison alors que les animaux à sang froid y sont sensibles.

Plusieurs méthodes de nivrées en Guyane française

Les nivrées sous couvert forestier
La nivrée de boue et la nivrée de crique

Ce sont des pratiques dont l’importance sur le milieu est modeste. Le volume de nivrée utilisé est toujours très faible et son action restreinte sur la mare. La roténone est photolabile et thermolabile en solution aqueuse sera complètement dégradée lors du retour de l’eau à l’issue de la saison sèche. Pour les deux méthodes, le poisson est à destination de la consommation familiale.

Nivrée de boue

Participants : 6 à10

1 pirogue

Liane : 2 à 4 kg

Distance : moins d’une heure

Outils : flèche, épuisette, machette

Durée : moins de deux heures

Production : 1.6 à 7 kg

Espèce cible : atipa

Nivrée de crique

Participants : 16

3 pirogues

Liane : plus de 10 kg

Distance : 20 mn

Outils : flèches, épuisette, machette

Durée : 3 heures

Production non pesée

Espèces cibles : aimara, poissons de crique

image Eric Lignier

Nivrées en eau vive

Elles sont indiquées pour les consommations individuelles, familiales ou commerciales.

Nivrée individuelle

Un pêcheur se promène avec un ou deux morceaux de liane (1.5 à 2 kg) utilisées de façons opportuniste au gré de ses déplacements pour empoisonner de très petits biefs ou des trous d’eau. Les poissons sont réservés à la consommation familiale.

La nivrée familiale ou villageoise de proximité

Participants : 9 à 23

3 à 6 pirogues

Lianes : 13 à 50 kg

Outils : harpon, flèches, machette, masque, épuisette

Durée : ½ journée

Production : 904 à 2105 kg

Espèces cibles : diverses, loricariidaes

Grande nivrée villageoise éloignée

Participants : 88

22 pirogues

Distance nulle

Lianes : 61 kg

Outils : harpon, machette, épuisette

Durée : ½ journée

Production : 158 kg

Espèeces cibles : diverses, loricariidaes, erythrinidaes, cichlidaes

Consommation familiale

Grande nivrée commerciale

Participants : 169

24 pirogues

Lianes : 850 kg

Durée de la pêche : 7h30

Durée de la campagne : 3 jours

Production : 976 kg

Espèces cibles : kumarus, loriccariidaes

Consommation familiale et commerciale

Aïmara avec l'aimable autorisation d'Etienne Druon

Aïmara avec l'aimable autorisation d'Etienne Druon

Image coumarou

Découverte

Les portugais la décrivent en 1560 sous le nom de « tupi de timbo »

La première description botanique d’un lonchocarpus ichtyotoxique fut faite en Guyane par Pierre Barrère en 1743. Les remarques faites sur l’utilisation de la liane et son nom amérindien « inekou » permettent d’affirmer qu’il s’agit bien de lonchocarpus.

En 1775 lors de ses prospections de la flore guyanaise, Aublet récolte dans la région de Roura une liane ichtyotoxique nommé nicou par les galibis et qu’il décrivit sous le nom de robinia nicou. Nom qui fut remplacé plus tard par celui de lonchocarpus nicou et c’est de ce nom que l’on désigne dans la plupart des ouvrages les plantes utiles de la région amazonienne et les Guyanes.

Impact sur l’environnement

Si la nivrée est pratiquée trop fréquemment, ou sur trop de sites, elle peut rapidement perturber puis épuiser le milieu, comme en d'autres lieux l'ont fait les techniques intensives de pêche au filet, à l'explosif, au cyanure ou avec d'autres produits chimiques.

Les amérindiens de ces régions pratiquent la nivrée sur des territoires immenses où ils vivent peu nombreux, mais souvent à des endroits stratégiquement placés. Or, si les écosystèmes guyanais sont d'une très riche biodiversité, les sols sont souvent d'une grande pauvreté et les écosystèmes d'une faible productivité. en 2000, on connaissait 480 espèces de poissons en Guyane, dont 250 dans le fleuve Maroni et 110 espèces répertoriées sur le seuls petit secteur de 1 km du Tempok où l’étude a été faite, et toutes les espèces ne sont pas encore décrites (rappel : la France métropolitaine en compte 84 espèces). Néanmoins en zone tropicale, si le nombre d'espèce est élevée, la biomasse par hectare est parfois modeste. Il convient donc de ne pas la surexploiter.

On connaissait les quantités de poissons pêchées, mais non celles qui étaient perdues, ni l'impact sur l'environnement.

Une étude récente a pu exploiter les données récoltées de l'expédition française Nivrée 2000 qui s'est déroulée sur le Haut-Maroni durant six semaines (octobre-novembre 2000) avec les indiens Wayana de la région d'Antécume-Pata. Des éco-anthropologues et des écologues spécialistes dont 12 chercheurs de l'IRD, du CNRS, de l'INRA, du Muséum national d'histoire naturelle de Paris, du Muséum d'histoire naturelle de Genève et de l'ENSAT de Toulouse ont étudié l’impact de sept pêches à la nivrée, dont une grande nivrée villageoise.

Ils ont aussi récupéré et étudié un échantillonnage de la faune des poissons locaux.

Selon les premières analyses, les invertébrés sont peu touchés, sauf les crustacés (crabes, écrevisses..), mais la roténone toucherait environ 90 % de l’environnement local, les poissons surtout. C'est donc une pêche qu'il ne faut pas pratiquer trop souvent, ce dont les indiens sont conscients. Cette étude s’est aussi intéressé à la composition et au volume de la part non récupérée par les pêcheurs. Elle a aussi évalué la courbe de croissance des poissons pour estimer le temps nécessaire pour la reconstitution du stock des poissons suite à une telle pêche. Ces chiffres permettent d'établir quelques règles de précaution pour la gestion de ce mode de pêche.

De nombreux peuples en dehors de peuples de Guyane pratiquent cette sorte de pêche en forêt amazonienne, ils sont même assez nombreux. Comme je les retrouve souvent, cet article s’imposait afin d’apporter une source d’information plus complète lors de la rédaction de mes articles.

Voici avec les liens des peuples déjà présents sur ce blog quelques exemples de peuples intéressés :

Guyane

Amérindiens : Les wayanas et les apalaï, les wayapi

Noirs marrons : les bonis ou alukus, les saramaca

Amazonie (Brésil, Equateur, Venezuela, Colombie ) : les kayapo, les uru eu wau wau, les cinta larga, les enawene nawé, les munduruku, les palikur, les piaroa,

les karitiana

Caroleone

Sources : wikipédia, piranhas enivrés, des poissons et des hommes en Guyane de François J Meunier, Les nivrées ou plantes ichtyotoxiques de la Guyane française IRD

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