Vous n'effacerez pas Miguel Hernandez
Publié le 12 Mai 2012
Les chants rugueux de la terre
Ah, comme elle est belle la terre de mon jardin. Elle sent un parfum de mère qui rend amoureux...
Miguel Hernández avait les entrailles nouées à la terre et la tête contre les chaudes mamelles de ses chèvres. De là tous les tressaillements du monde lui parvenaient. Lui le petit paysan « à la tête de patate », savait dire au vent et aux hommes le pouls des choses qui battent, des hommes qui souffrent.
Dans un jardin de bouches
Futures et dorées,
Mon ombre brillera.
Pour la liberté je saigne, je lutte, je survis. Pour la liberté...(Le blessé)
Il était né dans une petite ville, Orihuela, près d'Alicante, le 30 octobre1910. Son père était gardien de chèvres. Il y passa sa jeunesse en gardant les troupeaux et en regardant passer les rêves dans les nuages, attendant sur le dos que ses chèvres broutent le temps qui passe. Les figuiers de barbarie, les palmiers, les orangers, étaient sa ligne d'horizon:
Je suis grand à force de regarder les palmiers,
rude à force de vivre avec les montagnes...
Autodidacte, à peine dégrossi par les Jésuites (école San Domingo de 1924 à 1925), il ne se nourrissait que de livres de poésie et de rosée. Aussi étonnant que cela puisse paraître c'est le très complexe et tortueux Gongora qui le fascina et modela ses premiers poèmes (les lunes examinées1933- Peritos en lunas). De Gongora il avait pris le goût des images fantasques, incongrues alliées à une forme stricte. Saint-Jean de la Croix était aussi une de ses lectures préférées. Son meilleur ami fut Ramón Sigé, écrivain officiel de la ville.
Répondant à un appel intérieur il quitte sa ville natale, sa femme et ses enfants pour rejoindre Madrid, comme un papillon vers la lampe. Sa solitude semblait trop étroite et le besoin de rencontrer d'autres poètes trop fort. Et à 21 ans le voici sur les routes passant de la poussière au bitume.
Ses rencontres avec Lorca, Alberti et Neruda sont pour lui un choc profond. Lui le paysan taciturne se trouve en face des grands poètes espagnols et qui le reconnaissent et le protègent. Tous s'émerveillent devant ce « pasteur-poète » qui sent si bon la terre et l'authentique. Lui continuait à se sentir perdu, sans la tendresse de ses chèvres, ni le frémissement de la terre. Il se résigna à travailler chez un notaire.
Il n'y rencontra pas l'obscure magie du droit, mais l'amour en la personne de Josefina Manrresa. Sa poésie se soulève alors en chant sensuel. « El rayo que no cesa » (L'éclair qui jamais ne s'éteint), entrevoit le tragique de la vie et la magie de l'amour.
Miguel Hernandez et sa femme
Il fut aussi le secrétaire de José María Cossío, spécialiste taurin. Peu à peu l'influence déterminante de Pablo Neruda change son écriture. Il se dégage de l'ombre de l'ami précieux Ramón Sigé, englué dans le religieux, et qui meurt en 1935 le laissant quasiment orphelin.
Et ce jeune paysan prend conscience des houles sociales, de la souffrance du peuple. Il deviendra après sa mort, une icône des communistes. En 1936, Miguel devient totalement madrilène dans cette atmosphère de guerre montante qui rôde. Ses amis soutiennent la République et tout naturellement il les rejoint. Ses poèmes chantent « la liberté à défendre ». L'horrible guerre civile qu'il voit monter, la tragédie du quotidien, change du tout au tout son écriture qui devient compacte et violente. Partisan de l'armée républicaine en septembre, 5é régiment, il voit son fils mourir et les carnages de la guerre tout autour de lui.
Je suis de ceux qui jouissent d'une mort quotidienne. (Élégie première à Lorca)
Il devient le commissaire à la culture du « Bataillon de El campesino ». Sa foi communiste le fait participer à Moscou au Vème festival du théâtre
soviétique. Plus important que cela il se sera marié en 1937, chez lui à Orihuela avec Josefina. Il aura un fils Manuel Ramón en 1938, qui mourra en bas-âge à dix mois, et dont il ne verra ni la
naissance, ni la mort, et un autre Manuel Miguel en 1939. Pour eux il écrit de merveilleux poèmes de tendresse et d'espoir (Berceuse à l'oignon).
Lui, enfant jamais idolâtré mais battu par son père qui ne supportait pas de le voir lire et écrire au lieu de surveiller le troupeau, aura su écrire les plus
touchants poèmes d'amour, sans que jamais la haine ou la vengeance ne niche en lui.
Sa vérité d'homme fit sa vérité de poète, portant en lui trois blessures: d'amour, la mort, de la vie. Et surtout les blessures de son peuple. Sa joie d'écrire en gravant dans sa tête les mots avant de les coucher sur papier, lors de ses longues marches, se transmet dans la passion de ses mots. Sa liberté insolente, son authenticité profonde, son éthique qui lui fera refuser toute compromission même pour sauver sa vie, en font une figure inaltérable de poète debout, de l'homme debout. Un homme solidaire et solaire, ardent artisan des mots. Il est mort les yeux ouverts, physiquement et symboliquement, confiant dans les hommes. Le pasteur d'Orihuela fait maintenant paître ses mots dans les prairies d'étoiles et il court toujours après ses chèvres avant que nulle ne nous manquent les jours de grande faim de l'espoir.
La liberté est quelque chose
qui seulement dans tes entrailles
bat comme l'éclair. (Cancionero d'absences)
Témoin de l'atroce il transcrit dans ses recueils « Viento del pueblo » (1937) et « El hombre acecha » (1938), la déshumanisation des hommes. Après le triomphe du fascisme de Franco, il tente de s'enfuir au Portugal, alors que ses amis lui proposent de se réfugier à l'ambassade du Chili, mais la Garde Civile l'arrête et le torture en 1939.
Dans sa prison de Madrid, à Torrijos, il continue à écrire de la poésie, souvent sur du papier-toilette ou des morceaux épars de papier. Ses amis (Neruda surtout), intercèdent pour le sauver et le faire s'enfuir. Mais lui, fier et orgueilleux de la bonté et de la dignité des pauvres, n'a de cesse que de vouloir revenir dans sa ville natale Orihuela, où sa famille est restée. Neruda s'occupe de sa famille. Mais il ne peut que tenter de prendre de vitesse la condamnation à mort qui plane sur la tête de Miguel Hernández en juillet 1940. Il réussit à faire commuer la peine de Miguel en trente années de prison.
Il sera aussi de nouveau emprisonné dans la prison d'Alicante, où avec pour seule compagne sa tuberculose, il passera trois ans. Il parlera de son « tourisme carcéral» qui lui fit « visiter» treize prisons différentes.
Dans cet isolement total il écrit « Cancionero y romancero de ausencias ». Si forte est la censure que ce recueil ne sera publié qu'en 1958.
Miguel Hernández meurt le 28 mars 1942 de tuberculose, dans sa prison, à cinq heures et demie du matin, portant en lui du fond de ses ténèbres des messages d'espoir.
Je ne me résigne pas, non: je désespère.
Dans son cachot les fièvres l'ont emporté loin des murs des hommes.
Sur les murs de l'hôpital il aura écrit ces ultimes graffitis :
Adieu, frères, camarades, amis : laissez-moi prendre mon congé du soleil et des champs.
Ainsi se refermait la trajectoire d'un petit paysan, presque inculte qui aura rencontré ses pairs poètes qui ne le rejetèrent point, il aura rencontré aussi l'humanité afin de devenir le porte-parole des opprimés. Sa poésie militante chante encore plus l'amour que la foi en des lendemains radieux. La mort y est tapie, l'injustice est le monstre à abattre, mais l'amour est le plus fort jusqu'au bout.
Non, il n'y a pas de prison pour l'homme
Ils ne pourront pas m'attacher, non.
Ce monde plein de chaînes
m'est petit et étranger.
Qui enferme un sourire?
Qui emmure une voix....
Libre je suis. Sens-moi libre
Seulement par amour.
Entre romarin, rivière, crottin de ses chèvres, jasmin, odeur de paille, ombres des mûriers, livres dévorés sous les arbres, s'est écrite une guirlande de poèmes entre soleil et ombre devenus étendards de la liberté, draps soyeux de l'amour.
Je suis une fenêtre ouverte qui écoute,
par où voir ténébreuse la vie.
Mais il y a un rayon de soleil dans la lutte
qui laisse à jamais l'ombre vaincue. (L'ombre éternelle)
Gabriel Celaya s’était exclamé : « La poésie est une arme chargée de futur ».
Le tyran Franco pourrit au milieu des charognes, et la poésie de Miguel Hernández est toujours elle un printemps vivant, le printemps du futur. Le berger-poète, expert sous les lunes, drapé dans la dignité des pauvres, chante les louanges des enfants démunis, du peuple en lutte. Ses poèmes ont l'odeur de la paille, le goût du lait, le chaud réalisme de la terre. Comme il le disait: Mon sang est un chemin (Mi sangre es un camino). Les traces de son sang sont maintenant ses poèmes. Nous les suivons. Nous nous souvenons de lui.
« Miguel: je me souviens de toi
après le soleil et la poussière,
avant la même lune,
tombe d'un rêve amoureux.» (après l'amour)
Enrique Morente l'a chanté, Paco Ibanez, Joan Michel Serrat aussi, Vicente Pradal le chantera, ainsi vivent de bouche en bouche les poètes.
À jamais.
Même si sous la terre
mon corps aimant se trouve
écris-moi dans la terre
parce que moi je te répondrai.( Lettre)
Gil Pressnitzer