Vladimir Maïakovski, Marie (extrait)
Publié le 11 Décembre 2012
Je vous confie un extrait de ce poème que j'adore et qui m'éclate et même parfois m'inspire.
Caroleone
(…)
Marie !
J’ai peur que ma mémoire perde ton nom,
comme le poète craint de s’aliéner le mot
que sa souffrance nocturne a fait venir au monde
et qui par sa grandeur aurait égalé dieu.
Ton corps, Marie,
je l’aimerai et veillerai sur lui
comme un soldat
auquel la guerre a laissé un moignon
et qui prend soin de son unique jambe
en inutile
et solitaire compagnon.
Marie
- Alors c’est oui ?
C’est non !
Ha!
Voilà qu’il me faudra
reprendre mon cœur plein
obscur, contrit,
puis l’arroser de larmes,
le porter comme un chien,
qui porte dans sa niche
sa patte écrasée par un train.
J’égaie la route avec le sang qui suinte de mon
cœur ;
et sur la piste
les fleurs se collent à ma vareuse dans la
poussière.
Et le soleil fera ses mille tours
valsant, telle Hérodiade, autour
de cette terre
la tête de saint Jean-Baptiste.
Et lorsque le soleil aura fini
d’avoir dansé ma dernière année,
ma trace jusqu’à chez mon Père sera semée
d’un million de gouttes sanglantes de ma vie.
Sale après tant de nuits passées au caniveau,
j’émergerai alors,
me dresserai à ses côtés,
me pencherai
et lui dirai dans son oreille :
- Ecoutez, monsieur Dieu !
N’en avez-vous donc pas assez
de tremper toute la sainte journée
vos vieux yeux
gonflés de bonasserie dans la gelée des nuages ?
Et si nous allions faire -vous savez –
sur l’arbre de l’étude du bien et du mauvais
un grand remue-ménage !
Omniprésent, tu seras dans chaque placard,
et nous couvrirons la table de tels vins
que même saint Pierre apôtre, qui est si balourd,
aura envie de danser le ki-ka-pou.
Nous repeuplerons l’Eden avec des petites Eves :
fais-moi signe
et sitôt dit,
je t’amènerai des boulevards un tas de filles
superbes
dès cette nuit.
Alors, d’accord ?
Non, tu ne veux pas ?
Et tu secoues la tête, espèce de chevelu ?
Tu fronces tes sourcils chenus et lourds ?
Tu crois
que l’autre, là, avec ses ailes,
et qui se tient derrière toi,
pourrait comprendre quelque chose
au tendre amour ?
Car moi aussi je suis ou j’ai été un ange
-j’ai regardé dans tous les yeux tel un agneau
de sucre,
Mais je ne veux offrir à des juments
des vases sévriens pétris dans la souffrance.
Ô tout-puissant, tu as créé des bras,
tu as voulu
que chaque créature ait une tête,
-alors pourquoi n’as-tu donc pas conçu
que les baisers, baisers, baisers soient libres
de tourments ?
Moi qui croyais
que tu étais un gigantesque dieu omnipotent,
je vois que tu n’es qu’un petit raté
un dieusaillon minime.
Regarde bien ! Je vais me baisser à présent
pour retirer un long surin de ma bottine.
Tas de fripouilles ailées !
Garez vos plumes dans votre paradis !
Je vais vous faire trembler !
A toi qui pues l’encens,
je découdrai une boutonnière
d’ici jusqu’en Patagonie.
Place, laissez-moi passer !
Je ne ferai jamais machine arrière.
Que je sois dans mon droit
ou dise des mensonges,
je ne peux être plus tranquille qu’en ce moment
présent.
Voyez
-on a encore coupé la tête des étoiles
et fait du ciel un abattoir sanglant !
Eh ! Vous !
Le ciel !
Découvrez-vous !
C’est moi qui viens !
Silence.
L’univers est sourd
et dort, sa patte aux pinces stellaires
sous son oreille immense.
Vladimir Maïakovski ( Le nuage en pantalon)