MEXIQUE : BRUTALE EXTINCTION DE LA "LUMIÈRE"

Publié le 28 Octobre 2009

Avec l'illégalité qui le caractérise, le gouvernement mexicain de Felipe
Calderón a fermé manu militari l'entreprise publique en charge de la
distribution d'électricité dans le centre du pays, cherchant ainsi à
s'assurer la main-mise sur un secteur clef qui lui échappait et à faire
taire un des derniers syndicats indépendants, combatifs et puissants du
pays. 56 000 familles sont touchées directement par la mesure.

Un peu avant minuit le samedi 10 octobre, le président a envoyé 6 000 agents
de la Police fédérale (PF)* occuper les installations de la compagnie
publique Luz y Fuerza del Centro. Les Mexicains étaient alors occupés à
fêter la victoire de l'équipe nationale de football. Un décret exécutif
publié dans une édition spéciale du journal officiel le dimanche prononce la
liquidation de la compagnie. Une intervention télévisée du chef de l'État
vient expliquer le sens de la mesure. L'opération, visiblement préparée de
longue date, a duré seulement trois heures et a affecté les États de Mexico,
Puebla, Morelos et Hidalgo, ainsi que la ville de Mexico. Plusieurs cas de
violences ont étés dénoncés par les employés. Luz y Fuerza del Centro
assurait la distribution de l'électricité dans le centre du pays couvrant
les besoins de 25 % de la population nationale. Le reste du pays comme la
production d'électricité étant géré par la Commission fédérale d'électricité
(CFE) désormais en charge de la totalité du territoire. L'objectif est de
briser le puissant Syndicat des électriciens du Mexique (SME) qui a été
acteur de plusieurs mouvements de résistance au gouvernement et reste un des
rares syndicats qui ne soit pas étroitement lié au pouvoir. 44 000
travailleurs syndiqués se sont ainsi retrouvés invités à retirer leur chèque
de solde avec une prime pour ceux qui le feraient dans le premier mois. La
mesure touche aussi 12 000 inactifs retraités. L'Etat propose deux ans et
demi de prestation d'avance et dans certains cas le maintient des
pensions, le budget étant réduit à 10 % du coût global actuel.

En finir avec le "modèle terroriste de l'organisation des travailleurs"

La justification du gouvernement repose sur les coûts d'exploitation
largement supérieurs aux autres entreprises publiques, incriminant les
"privilèges" des salariés ainsi que leur trop grand nombre (8 000 employés
seraient suffisants), ou des pratiques relevant d'une époque révolue qui
selon les experts ont conduit le pays vers le retard économique.

Les causes des pertes financières sont plus probablement à chercher dans les
grandes dettes des officines gouvernementales, des industriels, et autres
grands comptes - 6 500 dossiers représentants plus de 75 % des revenus de la
défunte compagnie.

Par ailleurs l'État fixe les prix de vente de l'électricité au public comme
ceux d'achat à la CFE. Les rabais accordés à l'industrie ont aussi aidé au
déséquilibre des comptes, justifiant ainsi l'action de l'État.

Les fonctionnaires du gouvernement promettent de ne pas aller vers la
privatisation, mais les travailleurs n'ont pas la mémoire si courte ; le gaz
et le réseau téléphonique n'ont étés privatisés que dans les années 90.
Toutes les entreprises publiques sont dans la ligne de mire, Petroleos de
Mexico (Pemex) en tête. Le SME était en tête de la résistance à ces
privatisations. Par ailleurs les traités signés démentent la volonté des
fonctionnaires : le secteur énergétique entre dans le cadre du Traité de
libre-échange pour l'Amérique du Nord (TLCAN) qui prévoit une organisation
globale des réseaux énergétiques orientée vers les grands flux - de
préférence sud/nord - et exploités par des entreprises internationales. La
CFE soustraite déjà 40 % de sa production d'énergie à des entreprises
privées, ainsi qu'une partie des interventions sur le réseau. Ce qui est
inconstitutionnel, le caractère public de l'électricité comptant parmi les
fondamentaux de l'État mexicain. Enfin, le marché de la fibre optique est
très convoité, et le réseau adapté de Luz y Fuerza en sera le fil conducteur
pour le principal centre économique du pays. Sous-traité par la CFE, il fera
le bonheur d'entreprises telles que Nextel et Televisa, deux conglomérats de
médias et de banques qui exercent déjà un énorme pouvoir
médiatico-économique sur le pays.

Luz y Fuerza est aussi accusée de perdre plus de 30 % de l'énergie qui lui
est fournie, c'est-à-dire de ne pas faire correctement la chasse aux
"colgados"  branchés illégalement sur le réseau. Dans un pays comme le
Mexique, avec des zones très pauvres aux abords de la ville de Mexico ainsi
que dans les campagnes environnantes, vallées ouvrières et paysannes, les
employés de Luz y Fuerza étaient de fait responsables d'actes de corruption,
ainsi que de solidarité, et ce relativement à l'électricité, mais aussi au
transport de passagers comme de marchandises. Cette forme de corruption est
rendue possible par les tarifs élevés et l'absence de politique sociale
adéquate pour une grande partie de la population ; elle reste de surcroît la
forme la plus économique d'avoir accès à la lumière.

Une autre forme de corruption est celle des élites syndicales, qui profitant
de leur place dominante prélèvent des taxes, par exemple à l'embauche ou à
la promotion. La direction est reconnue proche de Andrés Manuel Lopez
Obrador, l'ex-candidat du PRD (Parti de la révolution démocratique, censé
être de centre gauche) à l'élection présidentielle. Vaincu par la fraude, il
mène depuis 2006 un mouvement de protestation ample. Le gouvernement fait
ainsi coup double en discriminant son rival comme étant un allié et
défenseur de la corruption. Un combat du gouvernement tout à fait sélectif :
les centrales syndicales liées au pouvoir étant les premières promotrices de
pratiques dénoncées comme responsables du retard économique du pays. Les
pratiques d'extorsion et de pots-de-vin au sein de la CFE ont fait l'affaire
d'un rapport mi-juillet.

Le Syndicat des électriciens a pour sa part toujours été un outil de lutte
au service des travailleurs, engagé dans les luttes publiques et solidaires.
Les  étudiants de l'UNAM (Université nationale autonome de Mexico) s'en
souviennent**, nombreux d'ailleurs avaient trouvé leur place dans
l'ex-compagnie. Les illuminations d'événements "intergalactiques" dans la
jungle chiapanèque ont bénéficié de l'appui et de la main-d'oeuvre du
syndicat. Plusieurs campagnes de solidarité avec différents prisonniers
politiques tels ceux d'Atenco ou de Oaxaca ont été et sont soutenues avec
l'apport de "los de la luz", ceux de la lumière. C'était une base d'appui de
la gauche institutionnelle comme de ceux en bas à gauche, tels qu'ils se
définissent. Si la direction syndicale est indéfendable et en partie
responsable de la situation actuelle, cette attaque n'en reste pas moins un
coup dur porté aux travailleurs organisés, et un avertissement
supplémentaire à qui ne se soumet pas au programme économique et militaire
du Parti d'action nationale (PAN).

La légitimité par la force pour un gouvernement illégal

Le gouvernement affirme que l'usage de la police fédérale militarisée est
une mesure préventive. Il prétend éviter ainsi que les travailleurs qui se
mettraient en grève gardent le contrôle des installations et coupent le
courant aux usagers. L'expulsion a eu lieu avec "luxe de violence", les
policiers en profitant pour régler leurs comptes avec les travailleurs du
SME. Des tentatives de forcer ces derniers à travailler ont été aussi
dénoncées.

Ces méthodes pour s'assurer une industrie clef sont celles utilisées par les
dictatures et tous les pouvoirs qui se maintiennent par la force contre la
volonté du peuple. Un tel déploiement de policiers militarisés revient à
traiter les travailleurs comme des narcotrafiquants ou des terroristes.
Méthodes auxquelles les mexicains sont de plus en plus habitués tant elles
deviennent régulières et sont rapportées sous tous les angles par la presse.
Les abus de pouvoir des corps militarisés deviennent aussi monnaie courante,
contre les radios et polices communautaires (entendez populaires), contre
les travailleurs et les populations. Une violence d'État qui est une menace
et une intimidation envers qui se met en travers des exigences de
l'ultra-droite au pouvoir.

Même les corps de police locaux ne sont pas à l'abri de ces prises d'assaut
qui ne servent que rarement à éradiquer la corruption les abus ou
l'infiltration du narcotrafic. L'AFI à été ainsi intégrée sous la menace des
armes à la PFP en 2008. Les militarisés - fédéraux - sont désormais en
charge de l'inspection des armes et du matériel des polices d'états et
municipales. Une mesure pour éviter le trafic d'armes vers le narcotrafic,
lequel, c'est pourtant de notoriété publique, achète ses armes aux
États-Unis ou à l'armée.

Après s'être illustrée, à Atenco et à Oaxaca mais aussi dans de nombreuses
autres occasions, comme un corps répressif, la police fédérale à été
renforcée suite à l'élection frauduleuse de l'actuel gouvernement. Ses
effectifs ont plus que doublé pour atteindre un total de quelque 40 000
hommes, son budget a été multiplié en conséquence : une façon de déguiser
des militaires en policiers pour affronter la population, une façon
d'assurer sa persistance au pouvoir. Une militarisation du pays qui fait les
profits de l'industrie d'armement américaine mais aussi européenne***.

L'avenir sans "la luz"

Les premières semaines de gestion du réseau par la CFE ont donné lieu à de
nombreuses extinctions, dont une, critique, concernant un hôpital ; par
ailleurs plusieurs véhicules de compagnies privées ont étés vus travaillant
sur le réseau, et certaines interventions se sont déroulées avec l'appui de
la police, sans conflits cependant. La lutte par le sabotage a été écartée
des moyens d'action pour ne pas prêter flanc aux critiques déjà avancées par
le gouvernement.

Les campagnes de discrédit des médias semblent aussi préparées de longue
date tant les discours sont harmonisés et ne laissent aucune chance aux
travailleurs. Le président a remercié les télévisions et radios de leurs
efforts pour "maintenir le pays informe".

Le 15 octobre les électriciens ont marché pour demander l'abrogation du
décret. Entre 200 et 450 000 personnes se sont jointes au cortège, ce qui à
fait parler de point de cristallisation du mécontentement social. Des
négociations ont été ouvertes puis fermées, la cessation d'activité de la
compagnie restant non négociable. Cette liquidation est pourtant illégale au
vu de la Constitution mexicaine, seul le Congrès pouvait prendre cette
décision ; celui-ci a commencé à débattre de sa position, et plusieurs
actions juridiques sont entamées. Le SME organise des brigades d'information
et appelle à la solidarité pour affronter le gouvernement et obtenir la
réouverture de l'entreprise. Une lutte longue se prépare pour des
travailleurs invités à trouver leur place dans la nouvelle compagnie en
charge ou ses sous-traitants privés. Avec de graves pertes en termes
d'acquis sociaux et de conditions de travail.

Francis Goche et Sebastien Cortés.


* la PF est issue de la fusion entre l'AFI, Agence fédérale d'investigation,
et la PFP, Police fédérale préventive, corps de police militarisé créé en
1998 comme bras arme de la lutte contre la délinquance organisée, et exemple
pour la rénovation des forces de police locales inefficientes ou corrompues.
En 2008, plusieurs éléments de la PFP sont inculpés pour organisation de
séquestrations contre rançon, ce qui amène le gouvernement à la reformer et
à la renommer.

** Lors de l'année universitaire 1999-2000 les étudiants de l'UNAM rejettent
la privatisation de l'université lors d'une grève massive qui durera pas
moins de. dix mois.

*** Plusieurs accords de coopération lient les polices et armées françaises
et mexicaines : programmes de formation, asessorat d'expert, échanges
d'information, accès aux signaux satellitaires et aide scientifique. Autant
d'éléments utiles aux marchés français de l'armement, de la biométrie et des
nanotechnologies.




Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Mexique

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T
<br /> Les gouvernements et Etats répressifs procèdent tousquasiment de la même façon pour réprimer les salariés en lutte.<br /> Ils ne conaissent que l'usage de la force, les flics.<br /> <br /> <br />